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Citations de Vincent Delecroix (151)


Il n’y a pas de naufrage sans spectateurs. Même quand il n’y a personne, quand c’est au milieu de la mer et de la nuit sans témoin, même quand à des milliers de milles nautiques on ne voit pas âme qui vive et qu’il n’y a que des vagues et cette bouillie de nuit qui recouvre tout et engloutit tout, quand il n’y a pas plus d’yeux pour voir ça que de bras pour se tendre, il y a tout de même des spectateurs et le rivage, d’où on regarde ça, n’est jamais très loin, même si la distance est, en même temps, infinie. Même quand on ferme les yeux, on regarde et je n’en connais pas un seul qui pourrait dire Je n’étais pas là. Sans bouger de chez eux, tous au spectacle et le spectacle est permanent, il a lieu tous les jours, toutes les nuits, il continue pendant les jours de fête et même quand on fait autre chose on est tout de même spectateur du naufrage.
Des spectateurs aveugles et un spectacle pour aveugles. Ils regardent, ils ne voient rien, et d’ailleurs ils ne peuvent rien voir, vu que la scène est toute noire et qu’à cette distance, quand on est dans son canapé ou devant sa télé, on ne peut rien discerner. Ils ne voient rien mais ils sont quand même au spectacle. Il n’y a que moi qui ai les jumelles de théâtre et qui vois, mais pas un dans le public pour me les demander et me les emprunter, et moins encore pour monter sur la scène obscure, pas un qui fait mine de se lever pour mettre les pieds dans l’eau.
Il n’y a que moi qui vois et qui entends et qui réponds. Et l’aveugle qui maintenant crache sur moi en terminant son copieux déjeuner avec ses collègues avant de retourner dans son petit bureau, je lui demande : Le type qui dort dans un carton au pied de ton immeuble, connard, tu ne le vois pas non plus ? Pourtant il rame pareil sur le bitume et coule pareil. Il n’est pas à des dizaines de kilomètres en pleine mer, pourtant, et en pleine nuit, celui-là. Et il est assez facile à géolocaliser : il est au bout de ta chaussure. Alors tu lui envoies les secours ou c’est encore à moi de le faire ?
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Alors je devais comprendre qu'entre mal faire et faire le mal la distance apparemment n'était pas si grande, comme aussi il n'y avait qu'un pas entre la mauvaise volonté et la volonté mauvaise ...
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Depuis ce jour, à la question rituelle que je me pose le matin en me regardant dans le miroir de la salle de bains pour me raser, à cette question rituelle : es-tu un salaud ou un crétin ? je réponds désormais et invariablement : les deux.
Page 132
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Un jour nous allons tout perdre et nous le savons bien. Mais la perte a commencé bien avant : elle est partout dans notre existence. Non seulement nous perdons, tous et toujours, mais nous vivons avec ce qui est perdu, parlons avec les morts, errons dans nos souvenirs, rêvons de restitution. Ces expériences donnent à notre vie une irréductible dimension de survie. Presque à chaque instant, il faut apprendre à perdre.
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le regard de la femme de ma vie se porte une nouvelle fois sur moi et j'ai l'impression que mes cheveux blanchissent d'un seul coup, comme ceux de Charlton Heston sur le mont Sinaï.
Page 124
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Qu’est-ce que vous croyez que j’ai sous les yeux, tous les jours et toutes les nuits ? Si la mer bouffe des migrants à longueur de nuits, ce n’est pas un hasard : elle boufferait tout le monde si la terre ne résistait pas tant qu’elle peut. Toutes les nuits à mon poste j’entends la terre qui résiste, qui s’arc-boute et qui craque et la mer immense, noire comme l’enfer, qui ouvre la gueule et toutes les nuits on nourrit cette gueule, on enfourne dans cette gueule des petits bouts de monde qu’on vient racler sur le bord des côtes, des cuillères remplies de vingt, de trente pauvres, hommes, femmes et enfants, et la gueule monstrueuse avale ça, l’écume au bord des lèvres
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La vérité, ai-je dit, c’est que pour sauver les gens il ne faut tout simplement pas penser à eux et il ne faut pas avoir affaire à eux comme s’il s’agissait d’individus singuliers. On sauve des vies, pas des individus et quant à savoir si cette vie est celle d’un ingénieur qu’on a torturé ou d’un médecin qui fuit la guerre, d’un homme qui a perdu sa femme en Sierra Leone, d’une femme battue ou d’un gamin qui a envie de voir Big Ben, je m’en fous éperdument, pardon de le dire crûment. Le migrant qui m’a appelé quatorze fois, si ça se trouve, c’était peut-être un abruti qui battait sa femme, un minable ou une ordure et ce n’est pas parce qu’il commence à suffoquer dans une eau à dix degrés qu’il lave son âme, mais justement je m’en fous, de son âme, et de son histoire à peu près autant, et je lui dis quand même de m’envoyer sa géolocalisation sans lui demander de confesser ses péchés auparavant. Alors, en échange, qu’il ne me demande pas de lui tendre un mouchoir pour essuyer ses larmes ou de parler à sa femme ou à sa fille qu’il a embarquées dans cette merde, ça n’est pas mon boulot.
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V.D - Freud j'en suis sûr, se serait opposé le premier à cette injonction du "travail de deuil" et de la résilience, en y voyant un impératif destructeur, une exigence imbécile et d'ailleurs impossible à tenir.
(p 45)
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Je ne dis pas qu'il ne faut pas lire les Tragiques grecs, mais ce n'est pas une lecture sans risque, c'est tout. Marquis dit avec emphase que ça traite de choses éternelles, de la condition des hommes (rarement de celle des chiens, il faut le dire et, d'ailleurs, de manière assez peu flatteuse), du sens de la vie, du destin, etc., mais il n'y connaît strictement rien, il prend juste des airs : il croyait que Sophocle, ça désignait un genre particulier de lunettes. (Monocle, crétin, ou binocle).
Page 172
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Mais en réalité, ce qui nous choque alors n'est pas seulement la discordance entre le corps qui s'entend et le corps qui se voit. Si discordance il y a, c'est entre la représentation culturelle que nous avons du chant, c'est-à-dire tout ce que la culture y adjoint en termes de valeurs, de symboles, de clichés même, qui nous pousse à voir le corps chantant comme un corps spirituel (et il l'est en effet), et le démenti que lui présente ce corps intégral. Ce qui nous trouble alors nous trouble en réalité chaque fois que nous voyons et entendons chanter : c'est la présence massive de ce corps-là - son intégral dévoilement, son exhibition sans reste. Il n'y a pas de plus radicale exposition de soi-même. Ce qui nous trouble et nous fascine, c'est l'impudeur du chant.
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Alors je devais comprendre qu’entre mal faire et faire le mal la distance apparemment n’était pas si grande, comme aussi il n’y avait qu’un pas entre la mauvaise volonté et la volonté mauvaise. Et du coup ce n’était même plus une erreur de jugement, quelle que soit la nature de ce jugement, une mauvaise estimation de la situation, dont il était question, et la défaillance, elle n’était pas à chercher dans les services du CROSS mais en moi. Mais pas non plus, en moi, dans mes capacités à évaluer la situation et à prendre les bonnes décisions : dans mon âme pour ainsi dire, si quelque chose de ce genre existe. En sorte que la défaillance n’était peut-être pas ponctuelle non plus et qu’elle s’étendait au-delà des circonstances de cette nuit-là, ce n’était pas seulement comme si j’avais raté une marche cette nuit-là, que j’étais partie dans le décor pour quelques heures, oubliant quelque chose que tout le monde savait ou égarant temporairement quelque chose que tout le monde possédait, la conscience morale ou l’humanité, mais plutôt la révélation funeste d’une défaillance ou d’une anomalie bien plus durablement présente en moi. Un monstre, voilà sur quoi en définitive il s’agissait de faire la lumière.
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… tout deuil est singulier ?

Ph. F. – Singulier, en effet, est le mot (…) Il y a chaque fois, pour chacun, la singularité de la relation, mais surtout la singularité absolue de l’être perdu, qui reste insubstituable.
(p 22)

V.D. – Le deuil, au fond c’est cela : un évènement certes singulier et instantané, mais aussi continu, même s’il est fluctuant et susceptible de variations. De toutes les manières, le deuil est une épreuve du temps… Et il faut l’endurer, le temps !
(p 23)
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Oh mon amour, je voudrais que, là où tu te trouves, tu ne souffres plus jamais. Par moments même, je voudrais que tu m'aies oubliée, pour que je ne sois pas un objet de souffrance pour toi. Et puis, le moment d'après, bien sûr, je voudrais que tu ne m'oublies jamais, au contraire, et n'être pas la seule à regarder par la fenêtre en pleurant, à rester là comme une idiote, les bras ballants, inutile, avec tout mon corps inutile et mon sourire pour personne, ces dents éclatantes pour ne rien croquer, et tous ces jours vides devant moi.
Au moment où je t'ai perdu,j'ai bien compris que la souffrance allait être terrible. Je l'ai compris immédiatement, avec les premières larmes et les premières injures. Mais ce que je n'avais pas prévu, c'était l'ennui. Je m'apprêtais à souffrir d'amour et d'injustice, mais pas à souffrir d'ennui. Cette souffrance-là aiguise les autres, et les creuse et les écorche à chaque instant. Je veux bien que les souvenirs me brûlent, mais je ne sais pas quoi faire avec ce présent vide, cette plaie.
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Tu comprends , il ne suffit pas d'avoir une légère tendance à l'affabulation et l'air perpétuellement dans la lune ( et le lecteur goûtera bien sûr tout le sel prophétique mais involontaire, d'une telle remarque) pour avoir le droit, je dis bien le droit, la légitimité,l'autorisation d'écrire de la littérature et des romans en particulier.
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C'est typique des humains : démolir consciencieusement ce qui peut les rendre heureux, ne pas savoir résister au doute. Et tu ne peux rien, m'a-t-il dit, absolument rien, contre ce sentiment de solitude qui les tenaille.
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Qui se trouve sur le rivage ? Qui regarde le naufrage, depuis la terre ferme ? Est-ce que vraiment, il n’y a que moi, moi toute seule ? Ça arrangerait bien tout le monde, mais il ne faut pas croire : non, je ne suis pas seule, sur le rivage, je ne suis pas la seule à regarder de loin et à l’abri le spectacle interminable, nuit après nuit, des naufrages. (…)
Pendant que je me tiens là, sur la terre ferme, il y a tous les autres aussi, derrière moi, et ça fait du monde, des milliers, des millions de personnes. Tout le monde est là, le monde entier en vérité : le monde entier derrière moi, sur le rivage. (…)
Vous êtes tous là. Si je me retournais, je vous verrais tous, installés dans vos canapés sur le sable, dans vos chaises longues, dans vos bureaux, regardant sans regarder pendant que je tiens la vigie comme une conne, et après, une fois le spectacle terminé, fustigeant C’est scandaleux, C’est révoltant. Pourtant cette nuit je n’en ai pas vu un seul se jeter à l’eau pour venir en aide, pas un qui se soit proposé de regonfler le canot pneumatique avec ses petits poumons. Mais quand il s’agit de vociférer et de traiter les autres de monstres, là, tout le monde a du souffle.
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Depuis combien de temps j’avais cette pensée-là, cette conviction qui n’avait pas même la force d’une conviction véritable, je n’aurais pas pu le dire exactement, mais ce n’était pas Julien qui m’avait fourré ça dans la tête, ni lui ni personne d’autre. Pas lui en tout cas qui m’a appris ce que je sais, à savoir qu’il faut que l’un se noie pour qu’un autre puisse respirer à son aise et que l’air qu’on inspire c’est le souffle de celui qui expire, que l’un soit chassé pour qu’un autre s’installe, et qu’il n’y a pas une seule place qu’on occupe qui ne soit volée à un autre, qu’on a foutu à la mer.
(On me reproche de ne pas réussir à me mettre à leur place, ai-je encore songé. Mais la vérité est que c’est exactement le contraire : je suis à leur place parce que c’est leur place que j’occupe et eux, ceux qui se noient, ils sont à la mienne et ils coulent pour que je reste à la surface et je peux rester sur la terre ferme tant qu’ils sont dans l’eau).
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L’empathie, ai-je dit à la capitaine de gendarmerie, c’est une crétinerie luxueuse que se paient ceux qui ne font rien et qui s’émeuvent au spectacle de la souffrance. Tant mieux pour eux. Mais le vrai, c’est qu’on ne peut pas faire les deux à la fois. Il y a des gens, je suppose, qui sont très forts pour s’émouvoir sur le sort d’autres gens, et même pour s’intéresser à leur sort tout simplement, et je suppose aussi qu’ils sont nécessaires et je leur fais confiance pour me dire ce qu’il faut faire ; mais moi je ne suis pas très forte pour cela, et de toute manière ce n’est pas mon métier. Mon métier, de manière plus générale, ce n’est pas de m’intéresser à la vie de ces gens ni de m’émouvoir de leur souffrances, prétendues ou réelles, c’est de les sortir de la baille si c’est nécessaire. Je ne veux pas les connaître, ces gens. Je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec leur vie, je veux dire leur vie d’avant, leur existence, leur histoire, qui ils sont, ce qu’ils ont fait ou ce qu’ils valent et surtout ce qui les a poussés à être aussi cons. Moi je n’ai affaire qu’à la vie toute nue.
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Ph. F. – Les livres de Marie de Hennezel, « L’art de mourir », « La mort intime », « Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre » ont connu un grand succès il y a quelques années. François Mitterrand lui-même avait préfacé l’un de ces ouvrages, le présentant, toujours sous le même cliché, comme un livre de courage, une « leçon de vie ». Eh bien, pour moi, mourir, quelle que soit la situation, n’est pas un art. Il y a des morts qui sont sans doute moins violentes, moins sauvages, moins terribles que d’autres. Mais il n’est aucune mort qu’on puisse dire « belle ».
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Au moment où je t'ai perdu, j'ai bien compris que la souffrance allait être terrible. Je l'ai compris immédiatement, avec les premières larmes et les premières injures. Mais ce que je n'avais pas prévu, c'était l'ennui. Je m'apprêtais à souffrir d'amour et d'injustice, mais pas à souffrir d'ennui.
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