Sans surprise, c’est un roman incroyablement inconfortable, dérangeant et révulsant.
Nous voilà partageant l’intimité des pensées d’Humbert Humbert, plongeant dans sa confession, l’écoutant disserter sur les « nymphettes », ces fillettes (de neuf à quatorze ans précisément) au magnétisme sensuel, sexuel, apparemment irrésistible. L’écoutant se raconter, à la troisième personne parfois, ici imbu de sa personne, ici quelque peu misérabiliste quant à son incapacité à résister au pouvoir d’attraction de ces fillettes. Voilà un personnage parfois ridicule, souvent infâme, parfois troublant, souvent haïssable.
C’est terriblement perturbant de se laisser absorber par ses réflexions, ses explications, ses justifications vaines et absurdes. Humbert étant le narrateur, il n’y a pas de jugement directement porté sur ses actions durant la majorité du récit, c’est donc une plongée dans une âme trouble, éblouie par une obsession sans limite, par un amour dont il nie – la plupart du temps – la perversité. J’ai été écœurée et parfois abasourdie, notamment quand Humbert se plaint de la « frigidité » de Lolita.
C’était particulièrement troublant d’être happée par cette histoire, de constater la facilité avec laquelle les pages se tournaient. J’escomptais une lecture calvaire, je suis finalement partie sans réticence – quoique avec une nausée persistante – sur les routes étasuniennes avec Humbert et Lolita, j’ai parcouru avec curiosité la vie de cet abject personnage. Nabokov m’a plongée dans la psychologie d’un monstre, une psychologie décryptée avec tant de beauté, de finesse, d’intelligence, que je ne me suis jamais ennuyée.
Lolita, bien que personnage éponyme, est un personnage un peu flou. Non seulement on ne peut guère se fier à Humbert pour nous offrir un portrait fiable – à l’en croire, Lolita est instigatrice de leurs premières relations –, mais en plus, on quitte le roman sans réellement connaître la fillette qui l’a accompagné pendant des mois. En touchant à peine du doigt sa quête de liberté. Est-ce dû à la passivité de Lolita ou à l’égocentrisme du narrateur ? J’ai eu de la compassion pour elle (certains passages sont à briser le cœur), mais pas de la sympathie car la distance était infranchissable.
Lolita est un roman magnifiquement écrit. Le vocabulaire de Nabokov est incroyablement soigné et littéraire. Ou celui de son traducteur du moins. Sans forcément toujours connaître la définition exacte des mots, il est assez rare que je tombe – même dans les classiques – sur des termes dont le sens resterait obscur malgré le reste de la phrase, à moins d’être dans un champ lexical très technique et pointu. Or, dans Lolita, il y a eu une quantité étonnante d’adjectifs et d’adverbes qui m’étaient inconnus : hyaline, pubescente, télestiquement, flavescent, voire des bouts de phrases plutôt absconses du style « l’artiste en mnémonique ne saurait dédaigner de telles suffusions de couleurs fluentes » (à tes souhaits). Malgré tout, je vous rassure, le tout reste parfaitement fluide et lisible.
Moi qui craignais certaines scènes, certaines descriptions, j’ai pu me rassurer assez vite : Lolita n’est pas un texte cru et vulgaire. Tout est suggéré, évoqué d’un mot, et laissé à l’imagination du lecteur ou de la lectrice. Pas de relations intimes détaillées par le menu, le roman fait la part belle aux émotions, aux couleurs, aux odeurs, aux frôlements, à l’imagination et à l’anticipation perpétuelle dans laquelle vit le narrateur.
Lolita est une lecture, captivante, puissamment déroutante, littérairement sublime, mais face à laquelle notre moralité ne peut s’empêcher de freiner des quatre fers. Un bijou de la littérature certes, mais il m’a été extrêmement difficile de goûter sans réserve à cette intrigue. Ainsi, dualité rarement rencontrée dans mes lectures, j’ai aimé en m’en voulant d’aimer. Sentiment hautement inédit. Un roman qui ne s’oubliera pas de sitôt.
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