Wilbur Smith - Great Speech
Un pâle soleil perçait timidement le ciel gris et tirait des reflets vert tendre des champs qui bordaient la Tamise.
Son troupeau manquait de bergers, mais il était obligé de risquer le coup. A travers le ululement du vent, aussi strident qu'un barrage d'artillerie, il lui semblait entendre le ressac bombarder la côte rocailleuse... Le cap Alarm était bien là et attendait patiemment son navire.
A 60° de latitude Sud déferle une large ceinture d'eau libre qui encercle le globe sans rencontrer de masse terrestre. Elle contourne le cap de Bonne-Espérance, l'Australie et côtoie le cap Horn. Elle jouit de la redoutable réputation de provoquer les pires tempêtes du monde.
Les falaises tombaient verticalement dans la mer et leur pierre était si dure que l'eau les avait à peine érodées. Elles gardaient leurs arêtes tranchantes et les surfaces de dislocation se distinguaient nettement.
Traversant le pont qui franchissait la Loire, Levoisin plongea dans le dédale des ruelles étroites et encombrées de Nantes, trouvant miraculeusement des ouvertures où il n'en existait pas.
Tout comme le lever du rideau dévoile la scène, le brouillard s'ouvrit devant eux et ils découvrirent un paysage lunaire, composé d'icebergs chatoyants dans toutes les teintes de l'arc-en-ciel; la mer avait rongé le pied de ces falaises de glace, et creusé des voûtes majestueuses et de profondes cavernes.
Impressionnés par la beauté saisissante des tours de glace, ils suivaient avec intérêt cinq épaulards qui gambadaient autour du bateau. Les monstres s'approchaient si près qu'ils distinguaient les dessins blancs sur leurs bajoues et voyaient les dents meurtrières qui remplissaient leurs grandes gueules.

Il n’y avait qu’un seul mâle, d’au moins quinze paumes au garrot, le dos et les épaules noirs comme ceux d’une panthère, mais le ventre et les motifs complexes de son masque d’une blancheur nacrée. Ses grandes cornes striées, incurvées comme le cimeterre d’Aladin, étaient inclinées vers l’arrière jusqu’à toucher sa croupe, et, tel un étalon arabe, il cambrait fièrement l’encolure. Depuis longtemps disparue de ses montagnes méridionales à cause de la chasse, cette antilope, la plus noble de toutes celles d’Afrique, en était arrivée à symboliser aux yeux de Ralph Ballantyne ce pays neuf, sauvage et magnifique, entre le Limpopo et le puissant Zambèze aux eaux vertes.
Le grand mâle fixa avec arrogance les cavaliers sur la crête au-dessus de lui, puis il s’ébroua et rejeta sa tête en arrière de manière belliqueuse. Crinière au vent, sabots martelant le sol rocailleux, il conduisit au galop ses femelles couleur chocolat en haut de la crête opposée, et les trois hommes restèrent muets, subjugués par leur beauté.
- Cinq ans, dit Meren. Voilà cinq ans que nous sommes en route. Est-ce la fin de notre voyage, mage ?
- Oh, tu crois que cela a été si long, mon bon Meren ? demanda Taita, ses yeux taquins étincelants sous ses sourcils blanchis par le givre.
En réponse, Meren décrocha le carquois qu'il portait en bandoulière et lui montra les entailles taillées dans le cuir.
- J' ai fait une marque pour chaque jour, si tu veux compter... dit-il.
Il avait suivi et protégé Taita pendant plus de la moitié de sa vie, mais il était toujours incapable de dire avec certitude quand celui-ci parlait sérieusement ou plaisantait.
- Tu n'as pas répondu à ma question, mage vénéré. Sommes-nous au terme de notre voyage ?
- Non, dit Taita. Mais rassure-toi, c'est un bon début.
« Je t'ai enseigné tout ce que je connais de l'art de la guerre mais je n'ai rien pu t'apprendre de la vie. Chaque homme doit le faire de lui-même.»