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Citations de Willa Cather (219)


Il y avait des jours de sa vie qu'en dépit de leur manque apparent d'intérêt, Alexandra se rappelait pour avoir été particulièrement heureux ; des jours où elle se sentait proche des friches sans relief qui l'entouraient, où elle ressentait pour ainsi dire dans son propre corps la joyeuse germination du sol. Il y avait aussi des jours qu'Emil et elle avaient passés ensemble et qu'elle aimait infiniment à se remémorer. Tel, par exemple, le jour où ils étaient descendus près de la rivière. Un canard sauvage esseulé nageait, plongeait et se lissait les plumes, s'amusant, tout heureux dans la lumière pommelée. Nul être vivant n'avait paru si beau à Alexandra que ce canard sauvage. Des annés ayant passé, elle ne pouvait s'empêcher de penser que le canard était toujours au même endroit, à nager et plonger, toujours tout seul, sans la lumière du soleil, comme une espèce d'oiseau enchanté sur lequel ni le temps ni le changement n'avaient aucune prise.
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Ne trouves-tu pas ça curieux : il n'y a que deux ou trois histoires humaines, et elles ne font que se répéter aussi violemment que si elles n'avaient jamais eu lieu ; c'est comme les alouettes de ce pays, qui n'ont cessé de chanter les mêmes cinq notes depuis des milliers d'années.
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"Les oiseaux savent-ils que vous serez gentil avec eux, Ivar ? C'est pour ça qu'il en vient tant ?" demanda-t-il.
Ivar s'assit sur le plancher et replia ses pieds sous lui. "Vois-tu, petit frère, ils arrivent de très loin, et ils sont très fatigués. De là-haut où qu'ils volent, notre pays a l'air noir et tout plat. Il leur faut de l'eau à boire et pour se baigner avant de pouvoir continuer leur voyage. Ils regardent par-ci par-là et loin au dessous d'eux ils aperçoivent quelque chose qui brille, comme un morceau de verre serti dans la terre noire. C'est mon étang. Ils y viennent et personne ne vient les déranger. Des fois, même, je leur jette un peu de maïs. Ils racontent ça aux autres oiseaux et du coup, l'année d'après, il en vient encore plus par ici. Ils ont leurs routes là-haut, tout comme nous ici-bas."
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Ivar trouvait satisfaction à la solitude qu'il avait recherchée. Il n'aimait pas les déchets des demeures humaines : nourriture rompue, morceaux de porcelaines brisée, vieilles chaudières et vieilles bouilloires à thé jetées dans le carré de tournesols. Il préférait la propreté et la netteté de la terre herbue et sauvage. Il disait toujours que les blaireaux avaient des maisons plus propres que celles des gens et que le jour où il engagerait une femme de ménage, son nom serait Mme Blaireau. La meilleure façon dont il exprimait sa préférence pour sa ferme des libres étendues consistait à dire que sa Bible, en ces lieux, lui paraissait plus vraie. Que, debout sur le seuil de sa grotte, l'on contemplât la terre inégale, le ciel souriant, l'herbe bouclée, toute blanche dans la chaude lumière du soleil ; que l'on prêtat l'oreille au chant ravissant de l'alouette, au margaudage de la caille, au bruissement des sauterelles s'élevant sur le fond de ce silence immense, et l'on comprenait ce qu'Ivar voulait dire.
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St. Peter s’était toujours moqué de ceux qui lui parlaient de leurs « rêveries », tout comme il se moquait des gens qui avouaient naïvement qu’ils avaient de l’ »imagination ». Toute sa vie, son esprit s’était tourné vers des activités positives. Lorsqu’il n’était pas au travail, ou qu’il ne s’amusait pas ferme, il s’endormait. Jamais sa pensée n’était entre chien et loup. Et voilà que maintenant il appréciait énormément cette espèce d’oisiveté cérébrale semi-éveillée, comme s’il s’agissait d’un nouveau sens qui se manifesterait sur le tard, ou comme des dents de sagesse.
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Sa carrière, sa femme, sa famille, tout cela n’était pas du tout sa vie, rien qu’un enchaînement d’événements qui lui étaient arrivés.
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P 134 « Une fois, il y eu un bel orage électrique, avec trop peu de pluie pour risquer d’abîmer le grain déjà coupé. Les hommes allèrent se coucher dans la grange aussitôt après dîner. La vaisselle faite, Antonia grimpâmes sur le toit en pente du poulailler pour regarder les nuages. Le tonnerre faisait des roulements métalliques semblables au bruit des tôles agitées, et les éclairs surgissaient, traçaient des grands zigzags à travers le ciel, faisaient apparaître les choses et les rapprochaient de nous l’espace d’un instants. Le ciel d’un côté était chargé d’un damier de gros nuages d’orage tout noirs alors que vers l’est, il était clair et lumineux ; la partie avec les nuages en damier ressemblait à un pavement de marbre, comme le quai de quelque ville portuaire, vouée à la destruction. De grosses éclaboussures de pluie tiède tombaient sur nos visages tournées vers le ciel. Un nuage noir pas plus gros qu’une barque, dériva et entra dans l’espace clair, tout seul, et avança régulièrement vers l’ouest. Tout autour de nous, nous entendions le battement feutré des gouttes qui s’écrasaient dans la poussière molle de la cour de la ferme. »
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Il était bien content de ne pas avoir à songer à ses remuants compagnons pour le moment. Il pouvait parfaitement rester assis là, tranquillement jusqu’à midi, pour entendre de nouveau sonner la cloche. Dans l’intervalle évidemment, il lui faudrait essayer de réfléchir : tout cela était, bien sûr, de l’architecture gothique. Il avait plus ou moins lu des choses là-dessus, et il fallait bien qu’il se montrât capable de se rappeler quelque chose. Gothique… ce n’était qu’un mot. A ses yeux cela signifiait quelque chose de très pointu et de très acéré _ des arches aiguës, des toits pentus. Cela n’avait rien à voir avec ces colonnes blanches élancées qui s’élevaient si droit et si haut, ni avec cette verrière qui ardait là-haut sous sa voûte de ténèbres…
Tandis qu’il essayait en vain de songer à l ‘architecture, un vague souvenir de ses anciennes leçons d’astronomie vint lui caresser la cervelle – quelque chose où il était question d’étoiles dont la lumière voyage à travers l’espace des centaines d’années avant d’atteindre la Terre et l’œil humain. La pourpre, l’écarlate et le vert paon de cette verrière avaient brillé tout aussi longtemps avant de venir le toucher…
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... Mrs Harling et Frances [épouse et fille d'un riche notable de Black Hawk, ville où la famille Burden s'installe dans la seconde partie du livre] avaient eu une longue discussion avec Ambrosch au sujet de l'allocation qu'Antonia recevrait pour ses vêtements et son argent de poche. Selon l'idée d'Ambrosch, c'était à lui que les gages de sa soeur devaient être payés chaque mois, payés jusqu'au dernier centime, et c'était lui qui achèterait à Antonia les vêtements qu'il estimerait nécessaires. Lorsque Mrs Harling déclara fermement qu'elle réserverait cinquante dollars par an pour l'usage personnel d'Antonia, il prétendit qu'on attirait sa soeur en ville avec l'intention de l'habiller comme une dame et d'en faire une mijaurée. Mrs Harling nous fit une description colorée du manège d'Ambrosch pendant l'entrevue ; il bondissait à chaque instant et enfonçait sa casquette sur la tête, comme s'il mettait un point final à toute l'affaire ; sa mère le tirait alors par la veste et lui donnait des conseils en tchèque. Au bout du compte, Mrs Harling consentit à payer trois dollars par semaine les services d'Antonia - de bons gages à l'époque - et à lui fournir les chaussures. Ces chaussures d'ailleurs avaient donné lieu à une vive discussion ; Mrs Shimerda était arrivée à convaincre Mrs Harling en promettant de lui envoyer chaque année trois oies grasses, pour "être quitte." ...
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... Je m'assis au milieu du potager - les serpents n'auraient guère pu s'approcher sans être vus - et j'appuyai le dos contre un potiron jaune, que le soleil avait tiédi. Quelques coquerets, chargés de fruits, poussaient le long des sillons. J'écartai les gaines triangulaires qui protégeaient les fruits - on aurait dit des enveloppes de papier - et je mangeai quatre ou cinq baies. Tout autour de moi, des sauterelles géantes, deux fois plus grosses que les sauterelles de Virginie, faisaient de l'acrobatie parmi les feuillages desséchés. Les rats à bourse couraient sur le sol labouré. Dans le fond du vallon, le vent ne soufflait pas très fort, mais je l'entendais bourdonner sa chanson là-haut, sur la plaine où ondoyaient les hautes herbes. Sous mes jambes, la terre était chaude ; elle était chaude aussi quand je l'écrasais entre mes doigts. D'étranges petits insectes rouges apparurent et tournèrent autour de moi en escadrons flâneurs. Ils avaient le dos laqué de vermillon et semé de taches noires. Je restais aussi immobile que possible. Il ne se passa rien. D'ailleurs, je n'attendais aucun événement. Semblable à un potiron, j'étais simplement quelque chose qui gisait sous le soleil et recevait ses rayons, et je n'en demandais pas davantage. Je me sentais parfaitement heureux. Peut-être est-ce là ce qu'on éprouve quand on meurt et qu'on devient partie d'un grand tout, que ce soit l'air et le soleil, ou la bonté et la connaissance. Je ne sais pas, mais le bonheur, c'est ça : se dissoudre dans un grand tout. Et quand le bonheur nous vient, il nous vient aussi naturellement que le sommeil. ...
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Il arrive que des merveilles surviennent dans les pays les plus mornes - voire même dans les champs de maïs et de blé. Assise un soir au bord du trottoir, les pieds dans la poussière chaude, je vis une éclipse de Vénus. Nous étions alors seuls tous les trois. C'était par une nuit chaude, et les commis étaient rentrés chez eux après avoir fermé le magasin. Mr Dillon et Mr Trueman s'attardèrent un moment pour regarder le phénomène. C'était une nuit toute bleue, sans un souffle, et claire, sans le moindre nuage d'un horizon à l'autre. Tout semblait comme d'habitude au-dessus de nos têtes : c'était le ciel familier d'une nuit d'été ordinaire. Mais bientôt, nous vîmes une étoile brillante se déplacer. Mr Dillon me héla. Il me dit de regarder ce qui allait se passer car je pouvais, de toute ma vie, ne jamais plus voir un tel spectacle.

Cette grosse étoile s'approcha de la lune, toujours plus près, vite, très vite, jusqu'à ce que seule les sépare la largeur de la main, puis celle de deux doigts ; et alors elle disparut entièrement sous la masse de la lune, au beau milieu de sa circonférence. L'étoile que nous avions contemplée s'était évanouie. Nous attendîmes, durant je ne sais combien de temps, peut-être une quinzaine de minutes. Enfin nous vîmes une verrue brillante surgir de l'autre côté de la lune, pour une seule seconde, tant la mécanique du ciel est rapide. Pendant que les deux hommes poussaient des exclamations et m'invitaient à regarder le phénomène, la planète sortit complètement du disque doré et seule une fissure bleue la sépara de la lune : une fissure qui alla en grandissant très vite. La planète n'avait pas l'air de bouger mais l'espace de couleur bleu encre qui la séparait de la lune s'élargit. Et bientôt tout fut fini.
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[Mandy] plaça les pieds de grand-maman dans le tub et, accroupie à côté d'elle, lentement, doucement, elle se mit à frotter les jambes gonflées. Mandy était fatiguée aussi. Mrs Harris était assise, un bonnet de nuit sur la tête et un châle sur les épaules, les mains croisées sur la poitrine. Elle ne réclamait jamais ce moment d'apaisement ; c'était Mandy qui, n'ayant rien d'autre à offrir, lui en faisait cadeau. Si une comparaison entre deux absolus était chose possible, on eût dit que la plus nécessiteuse des deux était Mandy, mais c'était elle la plus jeune. La cuisine était tranquille et plongée dans l'ombre, sans autre lumière que celle d'une vieille lanterne. Elles ne parlaient ni l'une, ni l'autre. Mrs Harris s'endormit de bien-être et c'est à demi endormie elle aussi que Mandy se livra à l'un des plus vieux rites de compassion qui soient au monde.

Bien que le canapé de Mrs Harris fût privé de ressorts et que seul un mince matelas de coton la séparât des planches en bois, elle s'endormait dès qu'elle posait la tête sur l'oreiller. Tout ce qu'elle demandait, c'était de ne plus être debout sur ses jambes, d'être allongée, de réciter le psaume qui commençait par "Le Seigneur est mon berger." Vers quatre heures du matin cependant, elle commençait à sentir la dureté des planches sous son dos. La lourdeur des vieux duvets confectionnés à la maison lui pesait sans dégager de vraie chaleur autour de son ventre. Alors, elle prenait sous son oreiller le petit réconfort (comme elle l'appelait) que lui avait donné Mrs Rosen [l'une des rares à se rendre compte de l'égoïsme qui entoure Mrs Harris]. C'était un doux chandail de laine brossée dont l'une des manches était toute déchirée.
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C'était un cimetière plaisant, songea Rosicky, à la fois douillet et familier, ni bondé ni lugubre - entouré d'un bel espace. Gisant dans l'herbe haute, un homme pouvait embrasser du regard toute la voûte céleste au-dessus de lui, entendre le bruit des chariots et, en été, suivre les faucheuses qui, dans un grand cliquetis, venaient frôler la clôture. En outre, le cimetière était tout proche de la maison. Au-delà des tiges de maïs, son toit et son éolienne lui furent soudain si chers qu'il se promit d'écouter le médecin et de prendre soin de lui-même. Il était terriblement attaché à ces lieux, il devait l'admettre. Il n'était pas pressé de les quitter. Et il était réconfortant de penser que jamais il ne devrait aller plus loin que la lisière de son propre champ. La neige, qui tombait sur le cimetière et sur la neige, semblait unir les lieux. Dans le cimetière étaient enterrés de vieux voisins, pour la plupart des amis. En vérité, rien dans cet enclos ne pouvait susciter la gêne ou l'embarras. Or, l'embarras était le sentiment le plus désagréable que connût Rosicky. Il ne l'éprouvait pas souvent, il est vrai, sinon avec certaines gens qu'il ne comprenait pas du tout.

C'était une belle tempête de neige : rien n'était plus gracieux que cette neige floconnant doucement sur une campagne aussi offerte. Elle tombait, légère, délicate, mystérieuse, sur sa casquette, sur l'échine et la crinière des chevaux. Et avec elle se répandait dans l'air un parfum sec et frais. Elle annonçait le repos de la végétation, des hommes et des bêtes, du sol lui-même, et elle promettait une saison de longues nuits de sommeil, de petits déjeuners tranquilles, de moments paisibles au coin du feu. Ces pensées, ainsi que bien d'autres, se pressèrent dans l'esprit de Rosicky mais il finit tout bonnement par conclure que l'hiver approchait ; il claqua de la langue pour faire avancer les chevaux et continua son chemin.
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