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Citations de Yanick Lahens (186)


La mort saigna aux portes et le crépitement de la mitraille fit de grands yeux dans les murs.
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Devant la case d'Orvil et d'Ermancia, chacun y alla de son histoire pour raconter ces quinze ans en quelques minutes. les naissances, les morts et les départs. La terre vidée de son sang, de sa chair, montrant ses "zo genoux", la mer avare, l'éradication des porcs, la mort des petits métiers, la maladie du café, celle des palmistes et des citronniers, les vêtements venus d'ailleurs, les robes de chambre élimées des femmes du Minnesota qui réchauffaient les vieux os dans les campagnes, les bottes usagées des cow-boys du Texas pour travailler dans les jardins...
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Le corps incertain et l’âme floue, nous attendions, oreilles aux aguets et cœurs ouverts, ces mots goyave et canne qui font danser des papillons dans les yeux et battre le sang sous la peau.
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De cette ville j'ai tiré une leçon, une seule : ne jamais s'abandonner. Ne laisser aucun sentiment vous amollir l'âme. Au lieu du coeur, une matière dure et rude avait pris place à l'intérieur de ma poitrine juste entre les deux seins. J'ai reconnu ma petite pierre grise. Et j'ai respiré très fort pour être bien certaine qu'elle tenait encore solidement à sa place.
Dans cette île, dans cette ville, il faut être une pierre.
Coincée dans ce tap-tap, je me laisse petit à petit envahir par le bavardage de Lolo, assise à mes côtés. ...
Lolo parle beaucoup. Parle trop. D'ailleurs en ce moment même, elle glousse déjà avec son nouvel amant, "son vieux" comme elle l'appelle. Soixante ans bien sonnés et qui a peur. Peur de vieillir. Et qui veut éprouver sa virilité dans le velours de sa jeunesse à elle, dans les eaux de jouvence de ses vingt ans. "Alors il paie", m'a encore répété Lolo en me dressant la liste de tout ce à quoi elle estime avoir droit : un voyage à Miami, une implantation de cheveux à la Naomie Cambell, "Fini Joyeuse, ces rallonges jamais aux couleurs qu'il faut pour faire des tresses interminables comme une Blanche", des cartes pour son téléphone portable et bien sûr des vêtements, des vêtements en veux-tu, en voilà. Elle m'a confié qu'après son premeir voyage à Miami elle reviendrait pour ne pas éveiller des soupçons mais qu'au second elle disparaîtrait dans les champs d'orangers en Floride. "Tu sais bien que la misère et moi nous ne nous entendons pas bien du tout. Je ne suis pas comme tous ces gens autour de nous qui attendent que Dieu, Notre-Dame du Perpétuel Secours, saint Thérèse, Agoué, le patron, le gouvernement ou la révolution vienne à leur secours. Personne ne viendra nous sauver, Joyeuse, personne. Alors le vieux il ne reverra plus Lolo." Il y a un mois, curieuse, je lui ai demandé "Ton vieux, il est vieux comment ?". Elle m'a répondu comme si, concentrée et pensive, elle cherchait des mots pour décrire une expédition dans une contrée lointaine, l'Antarctique ou le pôle Nord : "Vieux comme quelque chose qui m'est étranger, Joyeuse, comment te dire...Quelque chose que je ne connais pas. Vieux comme la neige, froid comme l'hiver."
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Mère eut un mari, beaucoup d'amants mais aucun homme ne la posséda. Aucun d'eux ne fut son seigneur ni son maître. Ils partagèrent à peine leur soulagement passager . Ils ne lui apprirent pas grand chose hormis certains gestes au lit. Ne lui donnèrent rien à part quelques dollars. Mère n'est pas femme à acheter la paix d'une maison en vendant son a^me;
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Chevauchée moins de quarante secondes par un de ces dieux dont on dit qu’ils se repaissent de chair et de sang. Chevauchée sauvagement avant de s’écrouler cheveux hirsutes, yeux révulsés, jambes disloquées, sexe béant, exhibant ses entrailles de ferraille et de poussière, ses viscères et son sang.
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Pourquoi nous les Haïtiens ? Encore nous, toujours nous ? Comme si nous étions au monde pour mesurer les limites humaines, celles face à la souffrance, et tenir par une extraordinaire capacité à résister et à retourner les épreuves en énergie vitale, en créativité lumineuse. J'ai trouvé mes premières réponses dans la ferveur des chants qui n'ont pas manqué de se lever dans la nuit. Comme si ces voix qui montaient, tournaient résolument le dos au malheur, au désespoir.
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« Au tout début du mois de septembre 1962, Dorcélien était passé de village en village annoncer que des camions viendraient chercher des hommes et les emmèneraient à Port-au-Prince. Pour des rassemblements en l'honneur de l'homme à chapeau noir et à lunettes épaisses. » [...]notre vie n'allait pas tarder elle aussi à se flétrir, le sol se fissurer à nos pieds, et les robes claires de femmes se noircir de la teinte du deuil. Nous n'avons vu que plus tard la mort se déployer au-dessus de nous comme un affreux soleil. »

« Le prophète avait transformé des crève-la-faim, pauvres et maléré comme nous, en bandes organisées armées jusqu'aux dents auxquelles il ne faisait pas bon se frotter. Des Blancs venaient les voir, ils les prenaient pour des héros de western, des guerriers, et raffolaient de leurs noms de nuit : Jojo-mort-aux-rats, Hervé-piment-piké ou Chuck Norris. Des noms qui donnaient froid dans le dos. Des noms qui suggéraient que ces hommes pourraient faire d'eux leur prochain repas. Mais ces Blancs aimaient les sensations fortes. Alors ils écrivaient des articles pour les journaux et les filmaient pour faire peur à d'autres Blancs très loin qui les regarderaient à la télévision. »



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Nous avalions goulûment les mots sortant de cette bouche qui, comme les nôtres, disait tout en ne disant pas
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Cette scène ...lui avait laissé sa première impression forte et indélébile sur ce qu'il était et ce que représentait ce messager. Sur ce qui était grand et ce qui ne l'était pas. Ce qui était fort et ce qui était faible. Sur le chasseur et la proie. Sur celui qui écrase et celui qui est broyé
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Le 12 janvier 2012 à 16 h 53 minutes, dans un crépuscule qui cherchait déjà ses couleurs de fin et de commencement, Port-au-Prince a été chevauchée moins de quarante secondes par un de ces dieux dont on dit qu'ils se repaissent de chair et de sang. Chevauchée sauvagement avant de s'écrouler cheveux hisurtes, yeux résulvés, jambes disloquées, sexe béant, exhibant ses entrailles de ferraille et de poussière, ses viscères et son sang. Livrée, déshabillée, nue, Port-au-Prince n'était pourtant point obscène. ce qui le fut, c'est sa mise à nu forcée. Ce qui fut obscène et le demeure, c'est le scandale de sa pauvreté.
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Dieu que ce 12 janvier nous fait mal ! Cela on ne le dira pas assez non plus. On préférera plutôt, sans nuance aucune, claironner l'incompétence et la corruption absolues de toute l'administration publique haïtienne. Ce que je ressens comme une injure à la mémoire de tous ces travailleurs et travailleuses de l'ombre, comme une seconde mort.
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Contrairement à Angélique, Mère n’a jamais rien attendu de personne. Elle a répondu au malheur au coup par coup, l’encerclant quelquefois comme pour l’étreindre. La vie d’Angélique est un fruit dont elle aurait mangé la meilleure portion sans même s’en apercevoir, sans même en goûter le jus. Ceux qui l’approchent sont conduits à éprouver à son endroit une indulgence tiède qui ne débouche jamais sur une relation profonde et durable. Quelque part en elle est gravé ce signe qui distingue les perdants et qui finit par les isoler irrémédiablement de l’autre partie de l’humanité. Angélique est morte de cette mort lente que connaissaient les réprouvés. Angélique a attendu et n’a pas eu ce qu’elle espérait. Comme beaucoup de femmes, Angélique espérait tout et puisque ce tout n’est jamais arrivé, elle l’a perdu sur une seule mise. Attendre ce que l’on peut avoir et se rendre compte trop tard que l’on ne l’aura jamais fait une vie coulée dans un étroit moule de tristesse, une vie de vaincue. Mère est épuisée mais pas vaincue.
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Brune est partie avec cette photo de son père la tenant sur ses genoux en riant. Jamais douleur ne fut si profonde. Ramassant avec elle, au passage, colère et peur. Et ronces et broussailles et haine. Mais, pardessus tout, la peur. Peut d’être au mauvais endroit dans son lieu natal, peur de ne pas être à la hauteur, peur de mourir avant le temps. Alors Brune a fui ses peurs de toujours. Les nouvelles, elle ne les connaît pas encore. Et ne veut ni les comparer ni les mesurer à celles qu’elle ne connaît que trop bien. Brune rêve de contrées lointaines enneigées, antichambres du paradis, là où le feu n’a pas encore brûlé, même si elle le soupçonne de couver partout. Dans les vertes prairies, dans le vent, sous la pluie, dans les déserts. Mais elle chasse cette idée avec sa voix, qui balaie tout et porte son rêve. Elle sèmera des cailloux dans toutes les villes du monde pour ne pas perdre le chemin du retour, le chemin de l’enfance très loin enfouie.
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Le Blanc nous a apporté le malheur d'une main et des promesses de bonheur de l'autre. Qui, à moins de n'être pas normalement constitué, ne voudrait pas de cette chose extravagante qui a pour nom le bonheur et que l'on a fait miroiter au loin ? Toujours au loin. Et c'est d'ailleurs pour nous prouver que ce bonheur était à portée de main, que John a partagé quelques uns de nos maigres repas, a payé des notes de pharmacie de Mère et, à une période de vaches maigres, a même consenti à régler les funérailles d'une cousine qui n'existe pas. Nous avons empoché l'argent en silence. Il a deviné le subterfuge mais a joué le jeu pour amuser sa mauvaise conscience de messager des cieux. D'autant plus que sur terre, il voulait de Joyeuse. Et la première République noire plie ses femmes à genoux, pour quelques dollars, un repas, des carrés de chocolat. John regardait Joyeuse, il la regardait et avait du mal à se retenir pour ne pas planter ses dents dans ce morceau de chair fraîche et la dévorer là, sous nos yeux. Et cela, Joyeuse le sentait. Joyeuse était déjà si différente de moi. Grande, pulpeuse. Si sûre d'elle. Si effrontée et si sexuelle. Oui, le mot est lâché, c'est bien ce qu'elle est Joyeuse. Sexuelle.
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Cette peur qui le rongeait à l'approche d'Anse bleue, c'était celle, intime, qui fait virer la joie en un parfum acide et saisit sur le chemin du retour ceux partis il y a trop longtemps.
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Photographier, c'est mettre sur la même ligne de mire la tête, l'œil et le coeur.

Cartier-Bresson
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Le désir de Tertulien Mésidor pour Olmède Dorival fut immédiat et brutal, et fit monter en lui des envies de jambes emmêlées, de doigts furtifs, de croupe tenue à même les paumes, de senteurs de fougères et d'herbes mouillées.
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En septembre de l'année 1963, le malheur allait creuser des entailles profondes dans la vie de milliers d'hommes et de femmes. Des silhouettes furtives rasaient les murs dans la nuit de Port-au-Prince pour éviter les phares des DKW. Avec leurs casques, leurs fusils, les ombres bleues des miliciens avançaient dans les DKW, fouillant les entrailles de la ville. Ils défilaient dans les ténèbres, formant la horde de la haine, pourchassant les ombres fiévreuses, tremblantes, qui se glissaient entre les arbres, se précipitaient dans des corridors obscurs, tentant de se confondre avec les portes, les palissades, les fenêtres. C'étaient la cadence de leur propre coeur et le souffle de leur propre voix qui maintenaient encore debout ces frêles silhouettes et les faisaient avancer, aveugles, affolées. Et tous ces chuchotements, ces souffles, ces cris, ces crissements de pneus éveillaient les esprits cruels de la nuit. Alors, les ombres tremblantes guettaient les pas sur l'asphalte, le sang figé d'effroi dans leurs veines, jusqu'à ce qu'ils fussent fusillés par les phares des DKW, comme un prélude à leur deuxième mort, la vraie. Jusqu'à ce qu'un cri, longue lame aiguisée, ne tailladât la nuit.
En septembre 1963, l'homme à chapeau noir et lunettes épaisses recouvrit la ville d'un grand voile noir, Port-au-Prince aveugle, affaissée, à genoux, ne vit même pas son malheur et baissa la nuque qu milieu des hurlements de chiens fous. La mort saigna aux portes et le crépitement de la mitraille fit de grands yeux dans les murs. Jamais ces événements ne firent la une des journaux.
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Quand il nous croisa , l'envie de nous parler d'enfer et de paradis le saisit, mais père Bonin n'osa pas. Non, il n'osa pas. Le seul lieu pour reposer nos vieux os s'appelait la Guinée et, après la dure vie que nous avions mené sur terre, aucune divinité n'aurait l'idée de nous envoyer ailleurs brûler ces os là. Pour sûr nos yeux disaient tout cela, et même davantage. Alors l'espace de quelques secondes père Bonin eut du mal à nous reconnaître, nous ,les brebis de sa paroisse .A cause de toute cette cohorte de divinités lâchées dans nos veines. A cause de nos yeux de grandes cavales, luisants comme des lampes bobèches dans le petit matin.
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