Quoi qu'il arrive on ne parle bien qu'avec le coeur.
Sa seule allure retenait l'attention. D'une élégance que la coupe du vêtement épurait, cette femme dessinait au milieu des corps voisins une ligne que l'on aurait pu isoler comme une figure d'estampe. On devinait une absence d'apprêts, une sorte de souveraineté immédiate.
Le sort de l'humanité en général sera celui qu'elle méritera.
- Qu'est-ce que l'Académie ? coupa Ridruejo.
- C'est un endroit où l'on met vivants des auteurs qui mériteraient d'être morts, dit la marquise de Choisy.
- En Espagne, nous faisons le contraire avec nos héros, dit Ridruejo. Le généralissime fait construire un mausolée près de Madrid où l'on placera les dépouilles des guerriers qui auraient mérité de vivre.
Chaque vie est riche de celles que nous avons répudiées, parfois sans le savoir, comme on frôle une inconnue.
Chacun voit midi à sa porte, surtout quand l'indicible est en cause. Simone Veil, qui tentait en 1945 d'expliquer à des voisins niçois ce qu'avait été Auschwitz, s'entendit répondre: "C'est comme nous, on ne trouvait plus d'aubergines."
Étés des années 1960, pays de l’étrange bonheur, époque d’enfançons libérés des fatalités proches, familles involuées en escargots, fantôme conjuré de la guerre, récits tus ou transmis, projections mentales dans les romans d’autrefois – je lisais Paul Féval et Victor Hugo –, Paris comme la ville lointaine des conjurations et des Misérables, la France du Général et de Leny Escudero, des DS21 et des bidonvilles, aubes radieuse sur les cités nouvelles, passage ennuagé de Nounours et du marchand de sable, conscrits au bal du samedi soir et catherinettes coiffées, apothéose d’Astérix, douleur des Rapatriés, douce voix de Françoise Hardy, cinémas avec court-métrage et actualités, cerises sapides sur les marchés, télévision en noir et blanc, Jean-Luc Godard et ses lunettes noires, bikinis sur les plages avec Teppaz, Jean Nohain et sa moustache, le pont de Tancarville et les Caravelles dans le ciel, lents après-midi sous une ombre d’avant, porte-drapeaux à bérets devant les monuments aux morts, accent rocailleux de Jacques Duclos, twist et collants orange, intrigues des Six compagnons et du Club des Cinq, boucheries chevalines et kiosques à journaux, Le Jour le plus long et La Grande Vadrouille, ombres portées des guerres et des héros, Malraux devant le Panthéon, passage des nuits sans alertes, sentiment de la vastitude du monde, astronautes en orbite et starlettes sur la Croisette, je ne sais comment les hommes d’autrefois habitaient ce temps, les silences de mon grand-père ne m’en ont pas donné la clef, ni le vent qui passait sur les hivers, ni le soleil qui écrasait les campagnes, et les éclats de lumière que l’aube réveillait sur un pays d’ancienne mémoire.
La phrase antisémite du mois, prononcée par une jeune bourgeoise idiote et fortunée: "Je donnerais bien un prénom juif à mes enfants pour leur assurer un bon avenir professionnel." Celle-là, il fallait la trouver.
(En Autriche)
- Vous chercherez, répondit Agata. Les coupables ne manquent pas. Il y avait un monde, et il n'est plus. Vous savez, j'ai encore connu ce monde-là dans mon enfance (...) J'ai entendu ma nurse demander à ma mère "lequel de vos enfants vous accompagnera en promenade ?", et ma mère répondre : "Celui qui va avec ma robe bleue".
Il y a des existences tellement accablées que le rire, quand il surgit, est comme la possibilité d'un autre monde, d'une autre vie où il vous serait accordé comme un embellissement, comme un anoblissement.