Les Éditions P.O.L sont une maison d`édition française créée en 1983 par Paul Otchakovsky-Laurens (« P. O.-L. »), aujourd`hui détenue à 88 % par le groupe d`édition Gallimard. Les éditions P.O.L proposent un catalogue éclectique de haute tenue littéraire, de la littérature expérimentale au roman plus traditionnel.
La maison est reconnue pour sa production importante de pièces de théâtre ou de recueils de poésie

» En tant que dernière réserve naturelle de désir sans fin et de plaisir gratuit, nous contrevenons à la marche du monde vers les abysses technologiques. En tant que dernière représentante de l’espèce humaine, nous faisons tache dans la grande parade post-humaniste ».
L’Arcadie dans la mythologie grecque est la patrie du dieu Pan. Représentée dans les siècles ultérieurs comme le pays du bonheur, le pays idéal, elle est le point de départ de l’utopie décrite ici par Emmanuelle Bayamak Tam. Farah, la jeune narratrice, est arrivée à l’âge de trois ans à Liberty House, une communauté libertaire située dans une zone blanche où se réfugient ses parents qui fuient la pollution électromagnétique.Elle y découvre une vie proche d’une nature préservée et harmonieuse, une sorte d’Eden, « un paradis avant la chute », où elle grandit au milieu de vergers en fleurs, de genêts et de grands pins où virevoltent les mésanges et les geais.A Liberty House, tout le monde « baigne dans l’amour ». Arcady, le chef, s’y comporte en »bon berger menant paître son troupeau ingénu ». Cette existence pastorale pourrait faire oublier le fonctionnement sectaire de ce lieu hors norme où on n’a aucun scrupule à dépouiller de vieilles femmes richissimes – il faut bien remplir les caisses vides- et où l’initiation sexuelle passe aussi par le gourou des lieux. Mais la drôlerie et l’humour tordent le cou à l’esprit de sérieux: Farah a une grand-mère LGBT, naturiste qui se promène nue à longueur de journée tandis que l’adolescente ne pense qu’à perdre sa virginité et qu’une brochette d’originaux occupe l’espace romanesque. Ainsi le lecteur se trouve-t’il déstabilisé, ne sachant que penser de ce drôle de lieu. Et lorsque la jeune fille se découvre atteinte du syndrome de Rokitanski qui la transforme en un être intersexué, ni fille ni garçon, c’est avec une force, une énergie folle et une drôlerie communicative qu’elle va transformer ce qui pourrait être une catastrophe en un atout étonnant. L’arrivée de migrants dans cette région transfrontalière va bouleverser l’équilibre de la communauté. Farah déçue par Arcady dont la mesquinerie finit par s’étaler au grand jour fuira- t’elle la communauté ou inventera-t’elle une utopie nouvelle?
Le roman instable passe constamment de l’utopie à la dystopie. Fin du monde et apocalypse cohabitent en effet avec les forces de vie et l’éloge du désir. En Arcadie la norme laisse place à la liberté, avec cette idée que la beauté est multiple, même celle qui est monstrueuse. Ce roman d’apprentissage à bien des égards fait figure d’ovni dans le paysage littéraire. Avec une grande liberté, Emmanuelle Bayamak Tam donne le sentiment d’avoir lâché la bride sur le cou de son personnage qui lui échappe peu à peu pour laisser libre cours à sa fantaisie.
» Rien ne résistera à cette convergence, à cette grande marche des fiertés, à cette vague migratoire d’un genre nouveau, aussi fluide que bigarré, aussi déviant que radical. Mon héritage est là aussi, dans la certitude que l’infraction doit primer sur la norme, dans la conviction qu’il ne peut y avoir de vie qu’irrégulière et de beauté que monstrueuse. »
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Tenir un journal dessiné, ce n'est pas donné à tout le monde. Le publier chez POL encore moins. Bon, c'est une fiction ! Mais c'est très réussi. le texte très moderne fait un peu penser à du Fabcaro. On suit les pensées et les doutes d'un jeune homme de 17 ans, très doué en dessin.
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Les éditions P.O.L. font paraître les oeuvres complètes du romancier Guillaume Dustan. Trois romans constituent ce premier volume, "Dans ma chambre", "Je sors ce soir" et "Plus fort que moi", accompagnés d'une préface générale, de notes et d'introductions de Thomas Clerc. Thomas Clerc est un essayiste représentatif de l'actuelle culture dominante Woke, mais ses réflexions érudites, approfondies et élaborées, font voir au lecteur un visage inattendu de cette culture, qui nous apparaît le plus souvent comme un fanatisme imbécile. La lecture de ses préfaces est pleine d'intérêt, par le mélange qu'elles présentent de réflexion philosophique et de mythologie de gauche.
Par contraste, les trois "textes" de Guillaume Dustan semblent étrangers à toute théorie et à toute pensée abstraite. C'est le choix de l'auteur, qui n'était pas un ignorant : son parti-pris d'écriture relâchée, soigneusement désaffiliée de tout héritage culturel, résulte d'une esthétique et d'une idéologie, que l'on voit aussi à l'oeuvre chez des auteurs comme Angot, Ernaux ou Despentes. Il présente ailleurs ces trois ouvrages comme une "autopornographie", et il lui a paru bon de raconter ses récits sexuels dans le style le plus laid possible. Bien sûr, lui et ses pareils s'imaginent que l'entrée de la sexualité "crue" dans la littérature est une libération en soi, alors qu'au fond ce n'est qu'un changement de rhétorique, une stylistique et une esthétique nouvelles (ou non). Tout cela n'a rien de cru, de trash et de tripal : par définition, écrire c'est créer de la culture, accumuler effets de style et de langue qui miment et imitent le langage parlé et sa crudité. Jamais un homme inculte n'écrirait comme cela : l'inculture s'accompagne d'un respect profond et irréfléchi pour la langue savante et classique. Il faut au contraire être un bourgeois cultivé pour savoir éliminer tout l'héritage culturel reçu et inventer une langue imaginaire parlée par des ignorants.
Comment expliquer l'omniprésence du sexe, ou plus précisément de l'homosexe, dans ces trois romans ? L'auteur a choisi de ne parler que de cela, et de ce qui s'y rattache : drogues, boîtes de nuit, musique, vêtements de marque, maladie du sida, sado-masochisme, etc... Dans l'univers de Guillaume Dustan, l'identité des personnages, à commencer par le narrateur, repose sur le sexe : après tout, ce sont des homo-sexuels, à savoir des êtres qui se définissent uniquement par leur sexualité, dont la "fierté", et l'essentiel de l'existence, consistent en cela. Un des mythèmes amusants de Thomas Clerc est l'expression "communauté homosexuelle" : Guillaume Dustan fournit au lecteur un document sur la vie de cette "communauté", à la fin du XX°s et dans les lieux où elle se concentre. On ne lui reprochera pas plus de se consacrer à cette minorité de minorité, qu'à Proust d'écrire sur les duchesses du Faubourg Saint-Germain.
Reste à dire un mot sur la nature romanesque de ces ouvrages, sous-titrés "romans". Un récit, même consacré à des faits réels, à l'exclusion de toute fiction, par sa structure, peut passer tout aussi bien pour un "roman" que pour une "autobiographie", ou une "autofiction". Il n'existe aucune définition formelle fiable du genre romanesque. On peut toutefois rappeler que le roman tel que nous le connaissons, relate les difficultés et les déboires d'un individu face à une société, ou à des groupes sociaux. Guillaume Dustan, en bon écrivain moderniste, répudie cette fonction critique, souvent ironique, toujours décalée, du roman et de son héros : son narrateur est un spécimen représentatif de la faune "communautaire", face à laquelle il n'a absolument aucun recul, ni aucun regard critique. Il est très bien intégré, il est parfaitement comme les autres. On est donc loin du roman véritable, ce qui n'est pas surprenant, puisque la culture woke rejette tout héritage, surtout quand il pourrait éveiller l'esprit.
L'unique point de divergence du narrateur avec ses congénères, c'est qu'il écrit. Mais ce que l'écriture pourrait avoir de démystificateur, d'éclairant sur les mensonges d'un groupe humain et sur sa mythologie, est totalement écrasé par l'obsession sexuelle et l'abrutissement des drogues. L'univers décrit peut fasciner et troubler, ces romans de Dustan sont très intéressants, malgré l'autolimitation et les parti-pris de l'auteur.
Thomas Clerc fait de Guillaume Dustan un écrivain dérangeant et iconoclaste. Non, c'est un conformiste.
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