« -Où serait-on mieux que parmi les gens qui vous aiment ?
Quelle joie pourrait être plus grande que celle de faire plaisir à l'autre ? »
sont des questions essentielles que se pose Babička (prononcez
Babitchka = Grand-mère en français).
S'il y a un livre que tous les tchèques connaissent, et qui mériterait d'être largement connu du lectorat français, c'est bien Babička.
C'est un magnifique roman, teinté de cette vision idéalisée que l'on garde des moments heureux de son enfance et qui lui donne des allures de conte.
C'est le roman d'une fillette qui a un jour promis à sa grand-mère de ne pas oublier ses paroles, et qui en lui rendant hommage avec ce livre, a fait aussi un très beau cadeau à son pays !
L'auteure, Božena Němcová (prononcez Bojena Niemcova), avec sa prose classique, est une des pierres fondatrices de la culture littéraire tchèque.
Ce roman est paru en 1855. Il s'inspire de l'enfance
De Božena Němcová,
une enfance qu'elle a passé à la campagne, en Bohème, et qui est particulièrement marquée par une présence, celle de sa grand-mère, Magdalena Novotná, une vieille dame pleine d'amour et de sagesse.
Cette grand-mère, dotée d'un solide bon sens terrien et d'une expérience douloureuse, ayant perdu son mari à la guerre, s'installe dans la famille de sa fille, dont le mari est au service d'une « princesse », dont la résidence d'été se situe dans une vallée idyllique du nord-est de la Bohème (aujourd'hui, les touristes se rendent dans cette vallée, rebaptisée
« Vallée de Babička »).
Cette grand-mère apparaît comme « la bonne fée » de tout son petit monde, arrangeant mariages et affaires diverses, consolant, punissant, ordonnant impitoyablement, et la maison, et les esprits.
C'est une vraie grand-mère comme on les aime, qui met ses petits-enfants sur ses genoux et leur raconte des histoires, dont les petits, accrochés à ses lèvres, ne veulent pas perdre un mot !
Elle a conscience d'être à un carrefour entre son ancien monde et le nouveau, qui est celui de ses petits-enfants. Elle aime son pays, elle est dans sa famille comme pour ses voisins, une gardienne de la tradition qu'elle entretient et transmet à son entourage. « Elle est toujours de bon conseil et tout le monde dit que c'est une femme accomplie. Elle ne dit que la sainte vérité ». Grand-mère est croyante, et superstitieuse aussi !
En rendant hommage à sa grand-mère, Božena Němcová donne aux tchèques un symbole fort, celui d'une grand-mère idéale, paysanne, bienveillante et du fait du caractère autobiographique du roman, elle devient elle-même, une légende. Ainsi, elle sera considérée comme « la mère de la littérature tchèque », qualifiée de «
George Sand tchèque » (
George Sand faisait partie des lectures
De Božena Němcová.). Elle deviendra aussi un symbole de résistance à l'occupant durant la 2e Guerre mondiale.
En 1940, d'ailleurs, son roman sera adapté au cinéma en mettant en avant son aspect patriotique, et le poète
Jaroslav Seifert (prix Nobel de littérature) lui consacrera un recueil.
C'est en 1853 à Prague, que Božena Němcová a commencé à écrire son roman, peu après le décès de son fils, et elle a mis fin à son récit l'année suivante.
Ce roman décrit une enfance idyllique, mais la vie
De Božena Němcová, a été dramatique : un mariage malheureux, des problèmes de santé, la pauvreté, ont conduit à la mort précoce de l'auteure à l'âge de 42 ans seulement.
Après sa mort, Božena Němcová est devenue un des symboles du réveil national en pays tchèques (partie intégrante de l'Empire austro-hongrois, où l'enseignement était alors dispensé en allemand), et a acquis le statut de quasi patronne du pays. Babička est vite devenu un des livres tchèques les + connus et les + appréciés, réédités + de 300 fois et traduit en + de 20 langues.
Le contexte historique est important dans ce roman. Babička est très attachée à sa culture : « Qui est de sang tchèque doit parler le tchèque. », mais elle finit tout de même par reconnaître que « nous sommes tous les enfants d'un seul père, une même mère nous nourrit et nous devons donc nous aimer que nous fussions ou pas de même pays. »
Finalement, peut-être que ce qui crée une identité nationale, outre une langue et une culture, et des traditions communes, ce sont les légendes,
les histoires et personnages locaux.
Ce roman se présente comme une succession de tableaux peints de la vie campagnarde, où les personnages sont attachants. L'histoire est délectable. Une histoire que j'ai dégustée de chapitre en chapitre, sachant bien qu'elle me laisserait nostalgique. Nostalgique, car quitter cette grand-mère a été pour moi un peu comme quitter la mienne. de sa vie se dégage un tel sentiment de sérénité et de complétude !
Dans ce récit, on découvre par-ci, par-là, quelques phrases et mots anciens, qui ne sont plus utilisés aujourd'hui. Ils font aussi le charme de cette lecture.
L'écriture est limpide et la lecture est apaisante. La plume
De Božena Němcová est poétique.
Nombre de passages m'ont fait penser à ceux de la douce atmosphère des nouvelles de
Iouri Kazakov : « Comme il faisait bon dans le séjour à l'heure du crépuscule ! Vorša fermait les volets, les fagots de résineux craquaient dans le poêle, un haut chandelier de bois était installé au milieu de la pièce, ses branches de métal portaient les flammes des brandons de sapin, puis
on installait tout autour bancs et tabourets pour les fileuses. »
Ce roman est conçu comme une boucle qui suit le mouvement des saisons. Il nous dévoile des traditions, des coutumes paysannes, des travaux rythmant le quotidien des gens. Il est question de veillées de contes, de foi naïve et simple, de fleurs, de forêts, de joies domestiques pleines d'enfants, de gens de la terre et de la bourgeoisie, mais aussi de souvenirs de guerre et d'amours malheureuses. Mais quand surviennent quelques événements un peu sombres et difficiles, une cohésion naturelle s'installe dans cette vallée. Chacun fait en sorte de prévenir, de soutenir l'autre, de l'aider à surmonter les problèmes. On a l'impression que cette vallée bucolique et ses habitants sont protégés par une bonté divine.
Et tout cela est agencé un peu à la façon d'un almanach, constitué d'anecdotes et de récits.
Ce récit est porteur d'un message universel. On cherche tous un refuge dans la vie, pour pouvoir se sentir accepté même avec nos défauts. On a besoin parfois d'une personne qui nous écoute, à laquelle on peut se confier. Babička incarne un tel refuge. Bien sûr, c'est un personnage idéalisé, mais n'avons-nous pas tous besoin d'idéaux ?
Babička, c'est aussi l'image d'un monde et d'un mode de pensée aujourd'hui disparus.
Je pense que cette grand-mère, avec sa droiture et sa sincérité profonde, ne pourrait pas apprécier de vivre à notre époque, et que cela lui causerait sans doute beaucoup de problèmes !
Aujourd'hui encore, Božena Němcová reste une figure symbolique dans son pays d'origine.
Elle incarne toute une époque difficile, mais marquée par beaucoup d'enthousiasme.
Elle reste l'auteure d'un livre exceptionnel, un refuge où l'on peut donc toujours se ressourcer.
Ce roman est culte. C'est une petite merveille, que je ne peux que conseiller vivement.
« La petite flamme de sa vie s'était éteinte ainsi que s'éteint doucement la lampe lorsqu'elle a consumé toute son huile. » (…) « toute la petite vallée pleura. »