Ce tome comprend une histoire complète et indépendante de toute autre. Il contient les 4 épisodes initialement parus en 2015, coécrits par
Eric Powell & Tim Wiesch, dessinés, encrés et mis en couleurs par
Eric Powell. Dans la postface, Powell explique que Wiesch est un véritable ami qui l'a recueilli pendant une période sombre, et que c'est lors de cette période qu'est née l'idée de ce projet bien noir.
C'est l'histoire d'un nain assis dans un bar de Brooklyn en 1979. 2 clients et le patron se moquent de sa petite taille et l'un d'eux lu offre un chocolat au lait. Il le boit, laisse un pourboire et un cadeau fatal, et sort dehors. Un adolescent se moque à nouveau de sa petite taille, il ne le fera pas 2 fois. Big Man (le surnom du nain) se rend à la gare routière et prend un billet pour Nashville. Il se remémore quelques moments de sa vie personnelle.
Delilah (la mère de Big Man) vivait mal la particularité de son fils, et a fini par quitter son mari. Ce dernier ne l'a pas très bien supporté et a connu une fin prématurée. La soeur de Big Man a été placée dans une famille, alors que lui est resté coincé dans un orphelinat où les autres adolescents lui ont mené la vie dure. Dès qu'il a pu, il a tenté de s'engager dans l'armée, mais a fini dans des missions d'une nature un peu particulière. Au temps présent du récit, il a reçu une lettre d'une certaine Holly (leurs relations seront expliquées par la suite) ce qui l'a décidé à mettre en oeuvre une vengeance des plus violentes.
Eric Powell est le créateur, scénariste et dessinateur de la série Goon (par exemple Chinatown et le mystérieux monsieur Wicker), comprenant des monstres surnaturels, un grand balèze se livrant à des trafics illégaux, et en fonction des épisodes une bonne dose de drame, ou un humour ravageur. le lecteur est donc fortement intrigué par cette histoire complète au scénario qui promet un niveau de violence terrifiant. Effectivement, il y a deux séquences de torture qui sont difficiles à soutenir du fait de l'expressivité des dessins. Les coscénaristes ont été chercher des horreurs immondes, et
Eric Powell les dessine sans rien cacher, avec des détails et une force des mouvements qui fait ressentir la violence de l'arrachement, avec des instruments basiques.
Au contraire de ce que laisse le supposer le début de l'histoire, il y a bien une intrigue, assez développée. Il s'agit d'une vengeance violente, réalisée par un individu dont l'histoire est détaillée, avec une explication concrète de la motivation de Big Man et de la raison de son intensité. le lecteur comprend bien que les coscénaristes ont écrit leur histoire à un moment de leur vie où ils avaient besoin d'extérioriser des sentiments très négatifs. Pour atteindre leurs objectifs, ils ont développé leur histoire sur 2 axes : l'histoire personnelle de Big Man, le déroulement de sa vengeance.
Effectivement, la jeunesse de Big Man est bien chargée en malheur. Son nanisme est mal vécu par sa mère, au point qu'elle préfère partir. Il est en butte aux brimades, puis aux méchancetés de ses camarades d'école, puis de l'orphelinat. Il ne peut même pas retrouver un semblant d'amour propre puisque sa taille ne lui permet pas d'être accepté dans l'armée. La narration le montre bien comme une victime maltraitée, mais qui refuse de se laisser faire. Dans le cadre contraint de cette narration en 4 épisodes, les auteurs réussissent quand même à contrebalancer ce qui aurait pu devenir une caricature, avec 2 personnages bénéfiques pour Big Man, son père, et une jeune fille. En outre l'attitude de Big Man n'est pas celle de quelqu'un de résigné. Il se conduit comme un adulte endurci par la maltraitance, et toujours prêt à rendre les coups. Cette partie de l'histoire est à la fois prévisible (le pauvre individu maltraité qui finit par bien le rendre), et à la fois cohérente dans la mesure où son histoire personnelle justifie ses réactions et ses capacités en termes de torture.
Pour ce qui est de la vengeance, le motif est également basique tout en étant suffisant. La narration alterne la progression de la vengeance, avec les révélations relatives à son motif, faisant monter la tension générée par les actes de violence, et le suspense quant à l'acte horrible qui tout déclenché. le lecteur se laisse prendre au jeu : il se demande ce qui peut nourrir la fureur de Big Man, surtout au vu de ce qu'il fait subir à ses captifs.
On peut compter sur
Eric Powell pour dessiner un individu endurci au caractère difficile et au visage fermé (il n'y a qu'à penser à Goon). Big Man est très réussi de bout en bout. Bien sûr Big Man est de petite taille du début jusqu'à la fin, son visage fait peur à voir dès le début, qu'il porte la barbe ou non, ou même la moustache. Son visage devient de plus en plus amoché au fur et à mesure de l'avancement du récit, de plus en dur et sans autre émotion que la haine et l'agressivité. Powell lui fait un visage très marquant lors de son passage au Vietnam (tout à fait justifié). Comme dans Goon, cet artiste réussit des visages atterrants quand ils sont ravagés par la tristesse ou l'injustice (en particulier lors de la jeunesse de Big Man), irradiant une empathie qui prend à la gorge.
Conformément au scénario, les dessins montrent comment Big Man se sert de sa petite taille pour frapper ses adversaires de manière inattendue. La violence n'est en rien édulcorée, elle est voyeuriste et malsaine, avec un niveau de détails choisis en fonction de la séquence. La première fois, elle est suggérée, mais dès la deuxième (un coup de poing asséné avec force dans un visage) elle est graphique.
Eric Powell exagère discrètement la déformation du visage pour une légère touche de dérision, mais ce sera la seule fois. Par la suite l'intensité des émotions de Big Man attrape l'attention du lecteur et le plonge dans le premier degré, sans possibilité de prise de recul. Cette violence va crescendo, pour aboutir sur des tortures sadiques difficiles à soutenir.
Sur le plan visuel, le lecteur a une autre surprise concernant la nudité. Il se retrouve face à un personnage masculin avec les joyeuses au vent, au vu et au su de tout le monde (à commencer par le lecteur). Les auteurs intègrent donc une dimension sexuelle, sans jouer sur le corps de la femme en tant qu'objet sexuel. Ces rares séquences participent au ton adulte et pour lecteur averti, tout en servant à renforcer la personnalité de Big Man. Il ne s'agit donc pas de provocation gratuite.
Sans a priori sur l'histoire, le lecteur prend rapidement conscience que ça ne rigole pas, que les coscénaristes ont conçu une vraie histoire de vengeance qui va jusqu'au bout, exécutée par un personnage principal assez étoffé pour qu'il soit crédible. Ils devaient avoir des sentiments négatifs intenses à exorciser, et ça se voit sur les pages, à la fois dans les situations, mais aussi dans la force graphique des dessins. 5 étoiles.
Ce tome comprend également une histoire en 2 pages (en 7 cases de la largeur de la page), réalisé par les mêmes auteurs) pour le numéro annuel du Comic Book Legal Defense Fund's Liberty. le principe en est simple : une personne ouvre la bouche pour sortir une phrase agressive et trahissant une réflexion bas du front (case sur fond vert), Big Man leur défonce le crâne. Après avoir lu l'histoire principale, le lecteur souffre pour ces abrutis qui se font défoncer la tronche par Big Man toujours aussi énervé, toujours aussi brutal. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une histoire, mais d'une mise au point sur le fait que la liberté d'expression n'est pas synonyme de dire n'importe quoi d'insultant.
Suivent ensuite 8 couvertures variantes. Les 4 réalisées par
Eric Powell dégagent la même férocité sadique que les pages intérieures de la série. Il y a également une couverture réalisée par
Lee Bermejo. Il a choisi le moment où Big Man a les fesses à l'air, et une barre à mine dans la main. Il transcrit la férocité du personnage avec la même intensité que Powell. Elle prend une dimension encore plus brutale dans la mesure où Bermejo dessine de manière photoréaliste. Vient ensuite une couverture réalisée par
Dave Johnson, éloignée de quelques degrés de la réalité par rapport à celle de Bermejo. Cet artiste a déjà été plus inspiré dans sa composition de couvertures (il suffit de regarder celles qu'il a réalisées pour la série 100 bullets de
Brian Azzarello &
Eduardo Risso). La couverture réalisée par Geoff Darrow vous fera croire qu'il est possible de fracasser une boîte crânienne avec une boule de billard, dans le luxe de détails qui est l'apanage de cet artiste. La dernière couverture variante est réalisée par
Francesco Francavilla, avec son trait un peu appuyé et ses couleurs qui tranchent, rendant Big Man terrifiant avec sa hache ensanglantée.