Sous le signe du réchauffement climatique et de l'avidité capitaliste presque intacte, une impressionnante épopée poétique de la convergence des luttes
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/02/23/note-de-lecture-
climats-epopee-laurent-grisel/
À son paroxysme de beauté et de pénétration, la poésie n'a pas son pareil pour saisir simultanément le coeur et l'intellect, et pour rendre ainsi pleinement intelligibles les enchevêtrements complexes de réalités tels que ceux qui noircissent aujourd'hui plus que jamais le substrat écologique de nos vies et la justice sociale sans laquelle il est – la démonstration s'en fait hélas chaque jour ou presque – irrémédiablement condamné. Avec ce «
Climats – épopée », paru chez publie.net en mai 2021,
Laurent Grisel nous offre en à peine 90 pages le chant redoutable de la Terre massacrée, à petit ou à grand feu, dans le mépris des populations, autochtones au premier rang, mais évidemment pas uniquement, sur l'autel de l'avidité, des justifications sans fin serinées dans l'intérêt du progrès, mais relevant bien in fine de l'économie et du profit potentiel – chaque combat retardateur conduit par les lobbys industriels permettant d'engranger – c'est toujours ça de pris – quelques dizaines ou centaines de millions supplémentaires.
Laurent Grisel a tenu fort logiquement à ce que son poème soit une épopée : si les actrices et acteurs occupant ici la scène centrale sont les Mundurukus, peuple amazonien en lutte contre l'extinction de sa forêt et de son mode de vie, il convoque dans un tourbillon, hallucinant et pourtant profondément cohérent, aussi bien les neiges du Kilimandjaro que Katrina (y insérant avec brio, dans ce dernier cas, le lien entre les fictions apocalyptiques et les proto-fascismes), les eaux privatisées que les réserves de méthane, l'enfer de la fin du Permien que les marchés de la compensation carbone, le super amas Laniakea que les travaux de Mark Jakobson, et en se jouant avec élégance de l'exercice des remerciements, il peut ainsi introduire directement
Cécile Wajsbrot et Élodie Barthélémy, complices dans l'élaboration de ce projet, l'association Écobilan et la neurophysiologie, mais aussi Svante August Arrehnius (1859-1927), découvreur de l'influence du CO2 sur le réchauffement planétaire, l'Année Géophysique Internationale et le GIEC, le grand James E. Hansen, scientifique parmi les premiers révoltés contre la chape de plomb trop longtemps maintenue sur la réalité de l'anthropocène, ou encore – pour mieux le dénoncer – l'infâme Fred Singer et ses si nombreuses campagnes de désinformation au services des lobbys industriels.
Poésie intense, politique et subtilement érudite, «
Climats – épopée » trace avec fougue et intelligence les lignes de convergence entre ces luttes écologiques et sociales, depuis près de cinquante ans, qu'une certaine opinion publique, trop prompte encore à suivre les lignes de forte pente influencée par des lobbys ô combien déchaînés (que l'on se souvienne du « Printemps silencieux », dès 1962, en cas d'hésitation), s'obstine à considérer, contre toute évidence sensible et intellectuelle, comme isolées, et donc fruits de particularismes et de passions individuelles – alors que, comme le construisait déjà l'EZLN des néo-zapatistes en son temps, il en va bien du collectif, de nous toutes et de nous tous. Et que la poésie est bien l'une de nos armes incontestables, contre tout paradoxe apparent.
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