C'est une nouvelle remarquable et poignante que nous livre ici
Estelle Tharreau, d'une grande efficacité dans l'économie de moyens et l'unité de lieu. Tout se passe dans le cabinet de la pédiatre, le dr Tremo, qui suit depuis la toute petite enfance Milo, enfant dérangeant qui possède trop de vocabulaire pour les besoins de la société.
Nous suivons Milo et sa mère Sibelle, de plus en plus affligée de l'évolution de son fils, à qui son arrière-grand-mère a fâcheusement donné le goût des livres et des mots. Cela commence par un constat : à deux ans, le petit est trop en avance sur le langage, mais qu'à cela ne tienne, il rentrera sûrement dans la norme avec le temps... Mais à quatre ans, Milo affirme le goût des livres, du papier, plutôt que du numérique. Il a commencé à se démarquer à l'école, les autres parents le regardent de travers dans la salle d'attente. Quelles décisions prendre ? Comment le remettre sur la bonne voie du tout-numérique, la seule qui agrée à la société ?
Cette nouvelle d'une ironie féroce, mais à la lecture de laquelle on ressort glacé - cela pourrait évoluer ainsi - est à mon sens magistrale. le propos, une véritable plaidoirie pour garder le sens du mot juste, des nuances, et pour tout dire réhabiliter le livre (mais n'est-il pas déjà trop tard lorsqu'il faut réhabiliter un objet de culture ?), est puissamment servi par ce choix de concentrer l'évolution de Milo dans ce cabinet médical, qui révèle de nombreux aspects de la société et de ses choix, des connivences entre la médecine et l'école, en passant par l'impuissance de parents dépassés par ce trouble qui n'en est pas un, mais ne correspond plus à la norme.
Estelle Tharreau s'est appuyée sur des articles, des faits réels, dont elle offre des extraits en exergue, et son imagination, son écriture ont fait le reste. Milo est bien vivant et nous bouleverse, seul amoureux des mots, hyperlexique, contre tous. On peut comprendre la détresse de sa mère, culpabilisée et mise au ban d'une société conformiste, mais quand même... On se dit qu'il faudrait résister plus que ça. A nos dicos !