"Oh ! que je suis heureuse."
Elle sait pourtant qu'elle va mourir, qu'elle ne verra point le printemps, que, dans un an, le long de la même promenade, ces mêmes gens qui passent devant elle viendront encore respirer l'air tiède de ce doux pays, avec leurs enfants un peu plus grands, avec le cœur toujours rempli d'espoirs, de tendresses,de bonheur, tandis qu'au fond d'un cercueil de chêne la pauvre chair qui lui reste encore aujourd'hui sera tombée en pourriture, laissant seulement ses os couchés dans la robe de soie qu'elle a choisie pour linceul.
Elle ne sera plus. Toutes les choses de la vie continueront pour d'autres. Ce sera fini pour elle, pour toujours. Elle ne sera plus. Elle sourit, et respire tant qu'elle peut, de ses poumons malades, les souffles parfumés des jardins.
Et elle songe.
Elle se souvient. On l'a mariée, voici quatre ans, avec un gentilhomme normand. C'était un fort garçon barbu, coloré, large d'épaules, d'esprit court et de joyeuse humeur.
On les accoupla pour des raisons de fortune qu'elle ne connut point. Elle aurait volontiers dit "non". Elle fit "oui" d'un mouvement de tête, pour ne point contrarier père et mère. Elle était Parisienne, gaie, heureuse de vivre.
Les filles de rue sont dites en carte ou encartées et celles des maisons closes sont dites à numéro. Ces prostituées, reconnues par l'État, on les dit soumises par opposition aux clandestines, les insoumises qui sont punies par la loi. On disait maison close car il leur était interdit d’ouvrir les volets ou les portes. Les filles ne devaient pas se faire voir de l’extérieur.
Le racolage, ou raccrochage, est interdit, les filles sont confinées aux maisons inscrites à la préfecture et à la mairie. Elles ne peuvent sortir qu’habillées de certaines façons, à certaines heures et pour ne se promener que dans certaines rues. Elles vont subir un contrôle sanitaire au moins deux fois par mois, obligatoire, humiliant et payable sur leur deniers. Cette visite est perçue comme plus dégradante qu'une passe avec le client et abhorrée par les prostituées.
Croyez-le ou non, Maupassant m’a soufflé tout ce qui le concerne, et sa présence au-dessus de mon épaule lorsque j’écrivais était réconfortante pour moi. Vous devez douter de ma raison, mais non, non, je vous assure, il était bien là.
Quand mon chat de temps en temps fixait d’un air surpris un point vide dans la pièce à côté de moi pendant que j’écrivais, je savais qu’il le voyait. L'homme de lettres venait me rendre visite et vérifier que je n’écrive pas trop de bêtises sur lui !
Il a aimé Cannes et la Méditerranée, les couleurs, les odeurs, les fleurs. Je ne peux plus observer les anciens bâtiments de Cannes et surtout les façades du Vieux Port, sans penser que son regard s’est aussi posé sur eux.
Quand on est jeune, on a de magnifiques réveils, avec la peau fraîche, l'œil luisant, les cheveux brillants de sève.
Quand on vieillit, on a des réveils lamentables. L'œil terne, la joue rouge et bouffie, la bouche épaisse, les cheveux en bouillie et la barbe mêlée donnent au visage un aspect vieux, fatigué, fini.
Médecins et savants se cassaient la tête sur ce mystère qui leur échappait : pourquoi les prostituées avaient aussi peu d’enfants comparativement aux autres femmes et au regard de leurs nombreuses relations sexuelles ? Ils y voyaient le doigt de Dieu qui les punissait de leur vie dissolue par une absence de fécondité, qui était pour eux la récompense ultime de la femme. En réalité, ils craignaient de trop sonder le sujet et ils s’en sont bien gardés ! Secret de femmes transmis entre femmes. Si cela avait dépassé les alcôves, les femmes honnêtes auraient pu être intéressées par la recette et vous imaginez la suite !
Alice Quinn : 300 Jours au top 100 du kindle! [2°épisode]