Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre, avec un personnage inédit. Il comprend les épisodes 1 à 4, initialement parus en 2016, écrits, dessinés, encrés et mis en couleurs par
Eric Powell qui a également réalisé le lettrage et les couvertures. Ce tome se termine avec une histoire courte de 5 pages réalisée par Powell comme prologue à la série, 15 pages d'études graphiques commentées par Powell, les 5 pages de l'histoire promotionnelle sous format scanné à partir des originaux.
Au dix-neuvième siècle, ou peut-être même au dix-huitième siècle, dans un coin reculé et encore sauvage de la chaîne de montagnes des Appalaches, James (un garçon) a quitté sa soeur Sophia, s'est éloigné du petit groupe de cabanes en bois, et s'est enfoncé dans la forêt où il a découvert quelques plants de fraises. À peine a-t-il commencé à en déguster une qu'une sorcière se manifeste avec l'intention de s'emparer de lui. Son bras est tranché net par un couperet, manié par un grand individu avec un long manteau et un chapeau rond. Il fait passer la sorcière de vie à trépas, libérant ainsi James du sort sous lequel il était tombé. Il propose à James que ce dernier lui raconte une histoire, chemin faisant jusqu'à sa cabane. James choisit l'histoire d'un enfant surnommé Iron Child. Après qu'il ait fini, en retour, Rondel lui raconte l'histoire d'un garçon né sans yeux, élevé par sa mère, à l'écart d'un village. Il évoque son amitié avec Esther, une fillette, et la manière dont il délivra Mamie la sorcière ce qui lui valut de recevoir en cadeau le couperet du Diable.
Dans la deuxième histoire, Rondel arrive dans un village. Jesse, un jeune adulte, vient de ramener Florence dans ses bras, sa fiancée, inanimée car elle a été envoutée par une sorcière. Ruth, la soeur de Florence, est en larmes à ses côtés. Un villageois est allé chercher la femme médecine qui constate que Florence a été envoutée par Eliza la femme sorcière de la montagne avoisinante. Elle indique que seule une couronne tressée à partir des racines de l'arbre du pendu peut sauver Florence. Rondel se dévoue pour aller les chercher. Dans le troisième épisode, Rondel, accompagné par Esther, James et Lucille, poursuit un groupe de trolls des racines, ayant dérobé un objet précieux. Dans le quatrième épisode, Rondel raccompagne le Général jusqu'à son village. Il accepte de rester pour la fête ayant lieu le lendemain. Mais pendant les festivités, l'un des jeunes hommes se met à jouer d'un violon dont les sons envoûtent les villageois.
Eric Powell est le créateur de la série The Goon mélangeant horreur, surnaturel et trafic d'alcool dans une petite ville déshéritée. En 2005, il met cette série ne pause, et sort une histoire complète
Big Man Plans (2015) avec
Tim Wiesch. En 2017, le lecteur est rassuré en voyant une nouvelle production de ce créateur atypique. Comme dans les derniers épisodes de The Goon,
Eric Powell a tout fait tout seul. Dès la couverture, le lecteur retrouve le goût de Powell pour une forme de farce macabre, ici avec ce personnage principal sombre au possible, armé d'un couperet à la forme aussi sinistre qu'improbable. Dès la première page, il retrouve également sa façon de dessiner assez particulière, avec des traits de contour un peu gras, mais donnant l'impression de ne pas être toujours encrés, d'avoir parfois été tracés au fusain, ou même au crayon de couleurs.
Eric Powell utilise les couleurs en donnant l'impression de produire des planches avec plus ou moins de traits encrés en noir, et une couleur principale appliquée sous forme de lavis ou de traits de crayon. La première page est entre le gris et le sépia, la deuxième entre le gris e le vert, la troisième franchement grise. Avec ce parti pris chromatique, l'artiste donne l'impression que les personnages évoluent dans des environnements peu éclairés, toujours plongés dans une demi pénombre. Il fait varier les nuances de couleur pour souligner le relief des formes, ainsi que les textures des éléments, alternant entre les traits encrés et les variations d'une même teinte. Pour autant les pages ne dégagent pas une impression de monotonie, car la couleur principale varie d'une séquence à une autre, et l'auteur joue sur les contrastes en faisant ressortir un élément particulier avec une couleur vive. Dans la première séquence, les fraises ont une teinte brunâtre qui ressort sur le feuillage entre grisâtre et verdâtre. Dans la cuisine du Diable, le couperet ressort sur un fond rouge orangé utilisé pour une seule case dans la page. Dans l'épisode 2, la large courbe décrite par le couperet est soulignée de rouge. Dans l'épisode 3, la pierre tant recherchée est striée de veines blanches immaculées. Dans le quatrième épisode, la force maléfique apparaît sous la forme d'un halo rouge écarlate. Les pages dégagent donc une impression d'environnements pesants du fait des couleurs ternes, mais traversés parfois par un éclair de couleur. Dans le quatrième épisode,
Eric Powell joue également avec les couleurs dans le ciel nocturne qui semble habité d'étranges courants de force.
Comme dans la série The Goon, les personnages disposent d'une apparence très marquante, sur la base d'une morphologie normale, mais exagérée jusqu'à la caricature sous certains angles, avec des visages très expressifs. Rondel est un homme avec une forte stature et une forte carrure, au visage toujours fermé, souvent triste, avec une longue chevelure, une barbe épaisse et une étonnante moustache pleine de vitalité. S'il y fait attention, le lecteur voit bien que les formes utilisées par le dessinateur ne relèvent pas d'une description réaliste, mais plus d'une impression. Les sorcières ont toutes le visage fripé et les doigts crochus, comme si leur méchanceté intérieure se voyait dans leur physique. Les enfants sont épatants de naturel, avec des visages exprimant des émotions sans retenue, des mouvements vifs et pleins d'entrain, et la vitalité propre à cet âge. Rapidement le lecteur se laisse prendre par cette atmosphère de conte un peu perverti par la méchanceté, ne faisant plus trop attention aux détails, se laissant porter par la narration. Si la curiosité lui prend de refeuilleter cet ouvrage après sa lecture, il se rend compte qu'
Eric Powell réalise des cases incroyables : Esther courant en portant un arc plus grand qu'elle, la vielle femme médecin au visage déformé par le poids des ans, le gros plan sur les yeux de Florence versant une larme d'une grande tristesse, la résignation mêlée de tristesse de Rondel voyant Esther se baigner dans la rivière, le regard cruel et fourbe du vagabond jouant du violon, etc.
Bien sûr chaque fois que les vagabondages de Rondel le mettent face au mal incarné dans un être humain, il s'en suit une confrontation avec un combat physique.
Eric Powell n'a rien perdu de son coup de patte pour faire ressortir la violence des coups, la soudaineté d'un mouvement, ou la brutalité d'un choc : un énorme sanglier défonçant un arbre sur son passage, un ours s'élançant sur un puma dans un dessin en double page avec un élan magnifique, ou encore un grand moulinet effectué par Rondel avec son couperet. Dans la postface, l'auteur indique qu'il a fait en sorte de s'en tenir à une narration tout public, en évitant de se montrer trop gore. Comme à son habitude, il fait preuve d'un sens de l'humour très particulier. Rondel s'est vu offrir le couperet du Diable, mais aurait tout aussi bien pu récupérer la Louche du Diable, avec une case montrant ses effets, dans un grand moment de dérision. le lecteur ayant lu The Goon retrouve un personnage qui ressemble trait pour trait à Buzzard, même s'il a une autre histoire et une autre fonction. Il retrouve également la capacité surnaturelle de l'auteur à faire apparaître une émotion intense générant une empathie à laquelle le lecteur ne peut pas résister.
Le lecteur prend vite conscience qu'
Eric Powell peut lui raconter ce qu'il veut, il restera de toutes les manières sous le charme de ses dessins. Pour cette nouvelle série, le créateur a donc choisi un format simple : une histoire par épisode. La première est un peu particulière puisqu'elle permet de découvrir l'histoire personnelle de Rondel, et la manière dont il a récupéré ce couperet qui s'avère fatal pour les sorcières. Il sait provoquer la compassion du lecteur pour Rondel, aussi costaud qu'il soit, avec des poncifs sur la pauvreté dans des zones reculées, mais une émotion honnête et juste. Dans le deuxième épisode, le lecteur retrouve la sensibilité de Powell qui le pousse à prendre fait et cause pour les monstres, et à opposer leur laideur extérieure, à la laideur de l'âme de certains humains. le lecteur compatit avec le sort de la pauvre mère prisonnière de l'arbre des pendus. À nouveau dans le troisième épisode, les choses ne sont pas comme le laissent supposer les apparences. La narration d'
Eric Powell souffre un peu de l'exposition des faits ou de la situation quand elle concentrée dans une ou deux cases. Dans le dernier épisode, le lecteur ne peut que compatir avec ces villageois qui subissent un coup du sort, imprévisible et inéluctable. Dans ces quatre histoires complètes, l'auteur sait utiliser les conventions d'un genre qu'il lui-même contribuer à créer, mêlant communauté pauvre dans des zones encore sauvage, et manifestations surnaturelles à tendance horrifique, pour générer des émotions naturelles et des commentaires sur la nature humaine.
Avec ce début de série,
Eric Powell prouve qu'il n'a rien perdu de son savoir-faire autant graphique que narratif pour emmener le lecteur dans un monde lorgnant vers les contes, sur la base d'une mythologie restreinte et assez personnelle, avec des missions simples face à des opposants retords et malhonnêtes. 5 étoiles pour une verve très personnelle.