C'est dans le célèbre manuscrit des Très riches heures du duc de Berry, conservé à Chantilly, qu'apparaît pour la première fois un respect scrupuleux des lignes du terrain, des aspects de la saison, des dégradations du ciel, et l'innovation a paru si extraordinaire à Henri Bouchot, qu'il ne lui a fallu rien moins, pour l'expliquer, qu'un ordre formel du prince enjoignant à l'artiste le devoir de fidélité littérale. De ce jour le paysage est créé ; il revêtira par la suite bien des caractères , poursuivra des raffinements, exprimera des modes de sensibilité nouveaux.
Toutefois, les Français, mesurés par tempérament, se sont d'assez bonne heure défendus contre les fantaisies excessives du jardin anglo-chinois. Morel (auteur d'une Théorie des jardins, 1776) dans le parc de Guiscard dessiné pour le duc d'Aumont, le princedeLigneà Bel-œil (voir son livre : Coup d'œil sur Bel-œil, 1784), Watelet à Moulin-Joli, De Girardin à Ermenonville, réalisent d'heureux compromis entre le goût anglais et le goût français. De Girardin, qui fut l'élève de Rousseau et son dernier hôte, se souvient de l'Elysée de Mme de Wolmar où l'on ne voyait pas ces petits bosquets à la mode « si ridiculement contournés qu'on n'y marche qu'en zigzag et qu'à chaque pas il faut faire une pirouette ». Dans son traité De la composition des paysages sur le terrain ou des moyens d'embellir la nature autour des habitations en joignant l'utile à l'agréable, il déclare que « Le Nôtre a massacré la nature », mais il ne la torturera pas sous prétexte de la rendre plus naturelle : « prendre ce que la nature vous offre, savoir se passer de ce qu'elle vous refuse, s'attacher surtout à la facilité, à la simplicité de l'exécution », tel est son principe. Et en bon disciple du philosophe de Genève, il s'écrie : « Vérité et nature, messieurs les artistes, voilà vos maîtres. »
Un sentiment de vérité intense se dégage de l'œuvre dont les prétentions ne visent nullement à la reconstitution archéologique. Le peintre n'a point, comme Van Eyck, installé des palmiers ou des minarets au milieu d'un paysage brugeois ; il a fait ce qu'il voyait de sa fenêtre, et il l'a exprimé avec une conviction et un talent qui nous émeuvent. Sans doute on pourra s'étonner que la Vierge s'agenouille sur le chemin et traîne dans les flaques les pans de son manteau royal ; mais un artiste ne pouvait alors rompre trop brutalement avec les légendes imposées : on l'eût proclamé impie et païen. Il nous suffit d'ailleurs d'avoir rencontré en lui le premier paysagiste sincère en peinture, et de constater sa parenté indiscutable avec les merveilleux novateurs employés chez le duc de Berry.