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Bernard Comment (Préfacier, etc.)Catherine Bédard (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070320813
368 pages
Gallimard (02/02/2006)
4.35/5   212 notes
Résumé :
Avec l'enthousiasme, l'audace et l'érudition qui, dans la même collection, ont fait le succès d'On n'y voit rien. Descriptions (no 417), Daniel Arasse invite son lecteur à une traversée de l'histoire de la peinture sur six siècles, depuis l'invention de la perspective jusqu'à la disparition de la figure. Evoquant de grandes problématiques - la perspective, l'Annonciation, le statut du détail, les heurs et malheurs de l'anachronisme, la restauration et les conditions... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (20) Voir plus Ajouter une critique
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D'abord un avertissement : je n'ai absolument aucune connaissance en art ni en histoire de l'art. Vous trouverez donc ci-dessous l'avis d'une ignorante de base.

Voilà un autre livre qui trainait dans ma bibliothèque, pensez donc : je l'ai reçu à la naissance de mon deuxième fils, qui est désormais adulte … Un livre donc qui sommeillait sur les étagères car il m'impressionnait : vais-je seulement y comprendre quelque chose ? Certes j'aime beaucoup visiter les musées de temps à autre, je pousse des ah et des oh d'admiration devant certaines oeuvres, j'en ressors parfois émue, mais de là à dire que j'y comprends quelque chose, il y a un monde.

Et donc j'ai franchi le pas, décidement la vieillesse m'autorise beaucoup de choses, beaucoup de transgressions (euh enfin à mon niveau bien sûr), allez expliquer ça, Messieurs les psy (même si j'ai ma petite idée). Et donc j'ai saisi ce livre qui me snobait depuis des années et je m'y suis plongée. Enfin.

Bien sûr, il fallait s'y attendre, j'ai appris beaucoup de choses : la première moitié du bouquin est consacrée à la perspective italienne et à la Renaissance italienne. J'en retiendrai qu'il faut avoir une sérieuse connaissance de la religion (et là aussi je n'y connais que dalle) pour vraiment apprécier ces tableaux. Sinon l'auteur replace bien les oeuvres dans le contexte historique (c'est son métier, me direz-vous) et c'est très intéressant de voir que les chef-d'oeuvres sont en fait des enfants de leur temps et des oeuvres qui les précédent. Dans l'autre moitié du bouquin Daniel Arasse nous parle de l'anachronisme, du détail en peinture, de la restauration …

Énormément d'informations donc … et je referme ce livre, un peu sonnée, un peu naze (comme dirait Michel Jonaz), avec ces questions qui me taraudent : qu'est-ce que je vais en retenir ? que va-t-il en rester d'ici un mois, d'ici un an ?
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Daniel Arase, je l'ai écouté et réécouté, lu et relu à chaque fois avec un bonheur tout neuf qui venait s'ajouter à la découverte, l'émerveillement, la connaissance et la richesse dont l'historien faisait cadeau à ses lecteurs et auditeurs. Passion, érudition, honnêteté intellectuelle, curiosité, humour, générosité et transmission, un regard et une voix, inoubliables, sans pareil, c'était Daniel Arasse.
Vingt-cinq émissions sur France Culture en 2003, vingt-cinq regards qui traversent l'histoire de l'art depuis l'invention de la perspective jusqu'à la disparition de la figure.
Guide, compagnon et complice, Daniel Arasse accompagne le lecteur-auditeur, lui fait découvrir quelques secrets et paradoxes des peintres, l'emmène vers une compréhension des époques et de la création.
Devant la peinture, l'historien nous fait part de sa double émotion : "l'émotion choc devant le coloris et l'émotion de la densité de pensée qui est confiée à la peinture. Et c'est d'ailleurs ce qui me gêne dans la peinture : à travers ses matières, ses formes, il y a quelque chose qui pense et je n'ai que des mots pour en rendre compte, en sachant pertinemment que mes mots ne couvrent pas l'émotion dégagée. Donc c'est le tonneau des Danaïdes. Je pourrai toujours remplir par des mots et des mots, je n'atteindrai jamais la qualité spécifique de l'émotion d'un tableau de peinture. Même quand un tableau, ou une fresque, a été compris, y revenir c'est affronter de nouveau le silence de la peinture."
Dans les 25 émissions/chapitres Daniel Arasse invite au rendez-vous les siècles témoins de la Joconde, d'une petite Dentellière ou d'une Jeune fille à la perle de Vermeer, ou d'un Verrou immortalisé par Fragonard, témoins des Ménines, de Manet, de Titien, et aussi des artistes majeurs des XXe et XXIe siècles comme Rothko, Anselm Kiefer, Andres Serrano. Il se demande "dans quelle mesure les concepts classiques d'imitation, d'expression et de style sont encore opératoires dans la pratique d'aujourd'hui", comment joue cet anachronisme, et aussi "sur le processus de disparition de la figure dans l'abstraction.
Les précisions autant amusantes que très intéressantes abondent, sur l'accrochage et certaines expositions, sur une thèse volée, la sienne, sur les détails de quelques peintures qui l'ont attiré et lui ont parlé.
Les propres mots de Daniel Arasse expriment mieux que tout autre commentaire ce que c'est un historien d'art : "Un passeur sans prétention, une deuxième main qui passe après l'artiste. Tenter d'être un passeur entre le travail de l'artiste et les contemporains. Car la contemporanéité n'est pas la simultanéité... Pour qu'il y ait contemporanéité, il faut qu'il y ait interaction entre ces deux choses. Je veux dire que dans l'art contemporain, tout n'est pas contemporain, et pour qu'il y ait contemporanéité, il faut qu'il y ait partage des temps entre l'oeuvre et ceux qui la regardent."
Regarder un tableau, l'observer, de près et de loin, y revenir pour saisir son mystère, s'en imprégner, et après, de ces moments d'étonnement de surprise et d'émerveillement, Daniel Arasse a fait des analyses, des commentaires, des recherches où le dogmatisme n'a jamais trouvé sa place.
Le livre, dense et riche est un énorme plaisir de lecture, le don de Daniel Arasse, héritage pour des générations à venir.
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Au sommaire de Histoires de peintures, qui se compose de vingt-cinq propositions, se tient en position vingt-quatre "Le rien est l'objet du désir". L'historien d'art, Daniel Arasse, éclaire le tableau de Fragonard, le Verrou.

"Le tableau est de dimension moyenne. Sur la droite, le jeune homme enlace la jeune femme, et de la main droite pousse le verrou du bout du doigt, ce qui est assez irréaliste. La jeune femme serrée contre lui se pâme et le repousse. Toute la partie gauche du tableau est occupée par un lit dans un extraordinaire désordre : les oreillers épars, les draps défaits, le baldaquin qui pend..."

Arasse s'amuse des propos d'un des spécialistes du peintre, qui dit : "À droite le couple, et à gauche, rien" !... " Or, remarque Arasse, « ce rien représente quand même la moitié du tableau" !
La proposition vingt-quatre illustre particulièrement finement l'ensemble des analyses rassemblées dans ce livre. Devant chaque oeuvre, on est invité à regarder. À regarder plus. Plus en détail, plus en profondeur, plus en soi-même.
Grâce à ce regard accru, augmenté si je puis dire, nous sommes surpris des mutations de notre propre perception, quand le secret de telle ou telle oeuvre se révèle à nous. le secret de l'auteur, quant à lui, consiste à faire parler sa pensée en mouvement, laquelle semble aussi illimitée que son extraordinaire érudition, comme si nous nous trouvions en face à face avec lui, dans une conversation entre amis.
« Ce rien représente quand même la moitié du tableau », dit-il, espiègle… « mais ce spécialiste avait tout à fait raison, car ce rien correspond au « res » que j'évoquais il y a quelques temps, et qui est la chose elle-même. Effectivement, il n'y a pas de sujet dans cette partie du tableau, juste des drapés, des plis, donc finalement de la peinture. »

Ce livre, qui traverse six siècles de peinture, est la transcription de vingt-cinq émissions proposées par l'auteur sur France Culture en 2003. On peut toujours les écouter sur le site.
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Avant de le lire, il m'a été offert de l'entendre, puis de l'écouter avec une passion dont je ne me lasse pas. de la voix de Daniel Arasse on sent une énergie et une passion perceptibles à l'intensité de son discours, imaginant la lumière de son regard. Découvert sur France Culture, un livre a été édité, reprenant le contenu de ces émissions, et enrichi d'un DVD, qu'on peut savourer en regardant les planches des tableaux évoqués." Histoires de peintures" raconte en 25 chapitres l'histoire de la peinture sur 6 siècles, de l'invention de la perspective à la disparition de la figure, ce qu'est le maniérisme, le Vermeer fin et flou, la peinture du détail... Passionnant parce que son enthousiasme et son érudition rendent accessibles des oeuvres plus ou moins connues, mettant en valeur ce qui est visible par tous.



Ses châpitres sur l'invention, et non la découverte, de la perspective, furent pour moi une révélation. Daniel Arasse explique comment et pourquoi elle fut inventée à la Renaissance en Italie, en utilisant comme exemples des tableaux représentant l'Annonciation, dont Saint Bernardin disait qu'elle était l'instant où l'infini vient dans le fini, l'incommensurable dans la mesure. Ses explications sont tellement bien faites qu'elles en sont évidentes, reprenant la construction du tableau dans chaque détail, nous montrant ce qu'on avait pas vu, et qui pourtant est là depuis toujours.

Les chapitres suivants parlent de l'apparition du maniérisme, de l'importance de l'anachronisme, du mystère de Vermeer, des Ménines, et de tant d'autres choses, qu'il est presque déplacé d'énumérer, si l'on veut éviter de rompre la continuité de son discours.
"Il n'allait jamais voir un tableau, mais le revoir" disait un peintre de lui. Il avait cette obsession du détail, dont il a fait un livre d'ailleurs. Cette attention au détail et au fonctionnement figuratif des images jouait en contrepoint avec sa connaissance de la culture artistique et religieuse, littéraire et philosophique. J'insiste sur l'accessibilité de ce livre, pourtant écrit par un homme, dont les connaissances sont inépuisables. On pourrait passer des heures à l'écouter ou le lire tant cet homme passionné déborde de cette générosité, propre aux gens brillants. de ces textes "on sort grandi et comme lavé des bêtises de la journée".
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Histoires de peintures: ce sont effectivement des histoires auxquelles nous convie Daniel Arasse, à travers cette retranscription d'une série d'émissions radio.

Cela commence par un questionnement: qu'est ce qui me touche dans un tableau? Réponse: " je dirais que c'est le sentiment que dans cette oeuvre là, il y a quelque chose qui pense, et qui pense sans mots".
Il précise peu après l'émotion provoquée par une oeuvre: "j'ai constaté que l'émotion pouvait se produire de deux façons:
- le choc, la surprise, un choc visuel colorisé...
- l'émotion de la densité de la pensée qui est confiée à la peinture" qui apparaît avec le temps, qui permet d'accumuler des "couches de sens"

L'inverse d'une approche ésotérique, et de ce fait une invitation à se plonger dans les chapitres suivants.

En fait, les thèmes choisis sont des prétextes à décliner cette "manière de voir" la peinture, à travers quelques exemples:  recherche de la cause de l'émotion soulevée par le sourire de la Joconde via Ovide et ses Métamorphoses, du trouble et du plaisir gourmand de relier le rouge d'une annonciation aux débats du XVII ème siècle quant à la Vierge,  joie d'identifier un détail d'une oeuvre pourtant vue maintes fois auparavant, qui va susciter recherches, hypothèses...et progression dans l'intimité du peintre, dans l'appréhension du sens de sa peinture.

Le ton alerte d'une retranscription littérale en fait un texte un peu décousu. Mais il a l'avantage de restituer une approche simple mais profonde, d'être en phase avec des partis pris affirmés et assumés comme tels comme par exemple sa fascination pour le maniérisme: " une forme d'apothéose de la renaissance".
Un bonbon pour conclure (sous forme du titre d'un chapitre: "la peinture comme pensée non verbale"...
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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
Un des pièges de ce genre d'exposition, c'est qu'on passe de la valeur d'exposition de l'oeuvre à la valeur de culte de l'exposition. Je fais ici référence au fameux texte de Walter Benjamin sur l'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductivité mécanique. Il explique le passage dans la peinture européenne d'une valeur de culte de l'oeuvre, où elle n'est pas visible mais où on lui rend un culte, à une valeur d'exposition, où elle est visible mais n'a plus de culte, car elle se rapproche à travers la reproduction indéfinie et mécanique. Ce texte est magnifique mais a maintenant soixante-dix ans, et de même que Duccio ne pouvait pas prévoir que sa 'Maestà' serait un jour dans un musée, Benjamin ne pouvait prévoir ce que sont aujourd'hui les expositions de masse. À présent, on ne passe pas d'une valeur de culte avec invisibilité de l'oeuvre à la valeur d'exposition, on passe d'une valeur d'exposition à une valeur d'invisibilité qui est le culte de l'exposition elle-même, et dans le fond, de la culture. On ne va plus rendre hommage à la peinture, qu'on ne voit plus - c'est devenue une image mise dans une boîte en verre aseptisée pour protéger le sacro-saint objet qu'il ne faut pas toucher parce qu'on pourrait lui inoculer des bacilles quelconques -, mais plutôt à la mise en scène de la culture.
il en va de même pour les chapelles en Italie. Il y a une quinzaine d'années encore, on pouvait y passer des heures pour les regarder tranquillement, désormais elles ont été restaurées, donc on les voit mieux, donc on ne les voit plus parce qu'on n'a plus qu'un quart d'heure pour ce faire, au-delà duquel on doit circuler, sinon, avec la chaleur, on augmente l'hygrométrie de la chapelle et on abîme l'oeuvre. Je me demande comment les futurs historiens de l'art pourront aller voir ces chapelles restaurées où on leur dira, "circulez", non pas "y a rien à voir", mais "vous avez assez vu".

p.265
On y voit de moins en moins
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Je citerai à nouveau Montaigne, dans son Essai II du livre III, l'essai du repentir : "Le monde est une branloire pérenne, je ne peins pas l'être, je peins le passage." Il traduit ce sentiment de l'instabilité universelle du monde. Dans le fond, le cosmos est en train de se défaire et l'univers n'est pas encore là, pour prendre sa place, comme dirait Koyré. Cette instabilité, l'art est là pour la manifester, et très souvent pour en jouer. Ce qu'on doit bien comprendre avec le maniérisme, c'est qu'il a une dimension ludique, le paradoxe maniériste étant très souvent un jeu.
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Cette partie gauche du tableau de Fragonard, ce rien, est un détail qui prend tout de même la moitié de la toile et qui est lui-même composé d'une multiplicité de détails qu'on pourrait démultiplier à leur tour. Tout ce que je peux dire de ce détail qui occupe la moitié du tableau, c'est que c'est un lit à baldaquin en désordre, et si je commence à nommer la chose, mon discours se teinte d'une vulgarité qui ne correspond pas du tout au tableau. Or, ce n'est rien d'autre que de la peinture, du drapé, et l'on sait que le drapé est le comble de la peinture. Être confronté à l'innommable est aussi ce qui m'a passionné dans Le Verrou. Nommer le lit comme genou, sexe, sein, sexe masculin dressé, est scandaleux, car c'est précisément ce que ne fait pas le tableau. Il ne le dit pas, ne le montre même pas, à moi de le voir ou non.
Je suis donc confronté à l'innommable, non parce que la peinture est dans l'indicible, ce qui impliquerait une notion de supériorité, mais parce qu'elle travaille dans l'innommable, dans l'en deçà du verbal.
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Finalement, la Joconde est un de mes tableaux préférés. Il m'a fallu pour l'aimer beaucoup plus de temps que les cinq ans pris par Léonard de Vinci pour la peindre. Moi il m'a fallu plus de vingt ans pour aimer La Joconde. Je parle de l'aimer vraiment, pas seulement de l'admirer. C'est pour moi aujourd'hui l'un des plus beaux tableaux du monde, même si ce n`est pas nécessairement l'un des plus émouvants, quoique, franchement, c'est l'un des tableaux qui ont eu le plus de commentaires enthousiastes, jusqu`à la folie, de la part des gens qui l'aimaient, et cela montre qu'il touche.
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« Le Verrou de Fragonard a été pour moi l’occasion d’une assez grande surprise. Le tableau est de dimensions moyennes. Sur la droite, le jeune homme enlace la jeune femme, et de la main droite pousse le verrou du bout du doigt, ce qui est assez irréaliste. La jeune femme serrée contre lui se pâme et le repousse. Toute la partie gauche du tableau est occupée par un lit dans un extraordinaire désordre : les oreillers épars, les draps défaits, le baldaquin qui pend. Un spécialiste de Fragonard a eu cette formule admirable pour décrire le tableau : « à gauche, le couple, et à droite, rien. » Ce rien représente quand même la moitié du tableau, mais ce spécialiste avait tout à fait raison, car ce rien correspond au res que j’évoquais il y a quelque temps et qui est la chose elle-même. Il n’y a pas de sujet dans cette partie du tableau, juste des drapés, des plis, donc finalement de la peinture.


Et j’ai eu une surprise en observant les oreillers du lit. Leurs bords étaient anormalement dressés, comme des pointes vers le haut. En regardant dans la direction de ces pointes, j’ai vu que dans le baldaquin s’ouvrait légèrement un tissu rouge, avec une belle fente allant vers l’obscur. Ce baldaquin est d’ailleurs invraisemblable puisqu’il y a un verrou ridicule de chambre de bonne, et comment une chambre de bonne contiendrait-elle un tel baldaquin ? Ce repli noir dans le tissu rouge peut cependant avoir du sens par rapport à ce qui va se passer, d’autant plus que le drap de lit qui l’angle au premier plan jouxte la robe de la jeune femme et est fait du même tissu que cette robe. Si vous regardez bien cet angle, c’est un genou. Il apparaissait donc étrangement que ce rien était en fait l’objet du désir ; il y a le genou, le sexe, les seins de la jeune femme, et le grand morceau de velours rouge qui pend sur la gauche et qui repose de façon tout-à-fait surréaliste sur une double boule très légère avec une grande tige de velours rouge qui monte. C’est une métaphore du sexe masculin, cela ne fait aucun doute.Dès lors que je le dis aussi grossièrement, le tableau se trouve évidemment dénaturé, car celui-ci ne dit rien. Justement, il n’y a rien. Mais on voit ou on ne voit pas. On a envie de voir ou pas. Et s’il est vrai qu’il n’y a rien, il y a quelque chose de proposé, et je crois que c’est exactement cela, la peinture.

Cette partie gauche du tableau de Fragonard, ce rien, est un détail qui prend tout de même la moitié de la toile et qui est lui-même composé d’une multiplicité de détails qu’on pourrait démultiplier à leur tour. Tout ce que je peux dire de ce détail qui occupe la moitié du tableau, c’est que c’est un lit en baldaquin en désordre, et si je commence à nommer la chose, mon discours se teinte d’une vulgarité qui ne correspond pas du tout au tableau. Or ce n’est rien d’autre que de la peinture, du drapé, et l’on sait bien que le drapé est le comble de la peinture. Être confronté à l’innommable est aussi ce qui m’a passionné dans Le Verrou. Nommer le lit comme genou, sexe, sein, sexe masculin dressé, est scandaleux, car c’est précisément ce que ne fait pas le tableau. Il ne le dit pas, ne le montre même pas, à moi de le voir ou non.
Je suis donc confronté à l’innommable, non parce que la peinture est dans l’indicible, ce qui impliquerait une notion de supériorité, mais parce qu’elle travaille dans l’innommable, dans l’en deçà du verbal. Et pourtant, ça travaille la représentation, mais dès que je nomme, je perds cette qualité d’innommable de la peinture elle-même. [...] »
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Videos de Daniel Arasse (14) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Daniel Arasse
Conférence dans le cadre des Congrès scientifiques mondiaux TimeWorld : TimeWorld expose et anime la connaissance sous toutes ses formes, théorique, appliquée et prospective. TimeWorld propose un état de l'art sur une thématique majeure, avec une approche multiculturelle et interdisciplinaire. C'est l'opportunité de rencontres entre chercheurs, industriels, universitaires, artistes et grand public pour faire émerger des idées en science et construire de nouveaux projets. https://timeworldevent.com/fr/ ------------------------------------------------------------------------ Après un Diplôme National des Beaux-Arts à Montpellier, Francesca Caruana étudie l'esthétique à Paris 1-Sorbonne, avec Daniel Arasse, puis la sémiotique de l'art avec G. Deledalle. Docteur en arts plastiques et sciences de l'art, maître de conférences à l'université de Toulouse le Mirail de 1998 à 2005, puis à l'université de Perpignan, où elle vit. Chargée de mission culturelle pour l'UPVD. Initiatrice de la manifestation «Questions d'art» à l'UPVD. Son travail plastique s'appuie sur le rapport entre le hasard et le construit, donnant lieu à une diversité de formes : la fois à des installations réalisées à partir de résidus, d'objets trouvés ou issus de cultures tribales, à des peintures mêlant la gestualité et la rigueur du dessin, et/ou à des versions multimédia.
Conférence : le construit est-il l'unique condition de la perception ? Lue par Hervé Fischer 29 juin 2022, 13h45 - 14h30 — Amphi 24
Une conception matérialiste pourrait nous faire croire qu'il suffit d'être confronté à l'existant pour le rendre visible. La perception dépendrait donc de la seule visibilité de son construit. Si la posture scientifique nous autorise à le penser, elle n'exclut pas pour autant la perception de certains inconstruits, nous obligeant à interroger la relation entre l'existant et le réel. Une approche sémiotique du réel interroge d'une part ce que la construction fonde comme perception commune, et d'autre part la présence d'éléments exogènes et variables dans la construction tels que le cadrage, la sérendipité, l'imaginaire, l'intentionnalité, comme autant de facteurs non visibles, mais qui réduisent la perception du réel à être le miroir de notre culture.
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