La rue de Valverde est une île, ou un isthme, et c'est à l'âge de 58 ans que
Max Aub ancre son nouveau roman sur cette étroite bande de terre, entre deux rues madrilènes, au numéro 32. Trois années après le début de la dictature de Primo de Rivera, dans un immeuble où cohabitent femmes, hommes et enfants, ouvriers, concierges, médecins, aspirants écrivains, les jours s'égrainent. Nous sommes en 1926. L'Espagne est un pays en pleine mutation. La capitale se modernise, le paysage urbain se modifie et la vie intellectuelle est en pleine effervescence. Des Républicains convaincus débattent dans des cafés, et rêvent d'un nouveau régime politique pour le pays.
Pour faire revivre ses années de jeunesse, rythmées par les échanges sans fin dans les cafés, les salons littéraires, dans la presse libérale, les théâtres,
Max Aub multiplie les personnages. Se détachent quelques jeunes aspirants intellectuels, parmi lesquels Victoriano Terraza, qui vient d'obtenir un poste de correcteur. Il mêle à ces personnages de fiction si emblématiques de l'intelligentsia des années 20 des personnalités comme Manuel Azaña, le président de la République espagnole qui décédera à Montauban en 1940, Ramón María del
Valle-Inclán (dit le « pontificador gallego »!), Juan Negrín, le metteur en scène Cipriano de Rivas Cherif …
Si La Calle de Valverde était une toile, elle serait cubiste. L'auteur oeuvre à la manière d'un Braque ou d'un Picasso, avec le procédé des papiers collés, des vies et des idées. Aub, figure emblématique de la Diaspora Républicaine, exilé depuis de nombreuses années au Mexique, fait renaître une sorte d'âge d'or du Madrid d'avant-guerre, marqué par une grande vitalité intellectuelle au sein de l'espace public. le lecteur doit accepter de le suivre dans un véritable labyrinthe, circonscrit par les quartiers de Gran Vía et de la Marga, assister aux multiples interactions entre les nombreux protagonistes, pour saisir comme un fil d'Ariane, le cheminement intellectuel de la jeunesse progressiste.
La Calle de Valverde est un hommage à toute une génération qui sera frappée par l'exil, et ensevelie sans pitié par la censure et la propagande franquistes.
Max Aub rend leur dignité perdue à ces femmes et hommes des années 20 qui connurent au pire, la mort, au mieux, l'opprobre. Mais point de nostalgie larmoyante chez Aub. L'homme de 58 ans est toujours aussi mordant, voire ironique. le roman sera d'ailleurs interdit dans la Péninsule.
La Calle de Valverde est un autre grand roman écrit par un homme qui arriva en Espagne à l'âge de onze ans, y fit sienne la langue et jamais ne l'oublia.