...elle comprit soudain, malgré son ignorance de la vie, que l’Art possède une aristocratie et qu’il peut se revêtir d’une royauté différente de celle qui régit les nations, mais qui n’a rien à envier à celle-là et est tout aussi indiscutable.
Elle n’avait jamais rien entendu de semblable. La musique lui était une révélation, la transportait, faisait battre son cœur d’émotions passionnées. Il lui semblait que, sous les doigts d’Alain, le piano, par une sorte de prodige, prononçait des mots trop beaux pour exister dans aucun langage.
Elle savait qu’elle était toujours belle, plus belle qu’autrefois peut-être. Moins jeune sans doute, elle avait conquis de l’expérience ; elle savait, mieux encore que naguère, se mettre en valeur. Et les soucis lui avaient donné plus de sérieux, plus de gravité, ce qui ajoutait un nouveau charme à son visage, une expression plus profonde à son regard.
Ce n’était pas une tâche facile qu’expliquer à ces demi-sauvages, dont l’une était trop jeune et l’autre trop âgée, qu’un homme seul, même résolu, ne peut intervenir dans le destin d’un peuple, que la vengeance, le plus souvent, frappe des innocents et devient criminelle… qu’on ne répare pas le meurtre par d’autres meurtres.
Ce n’est pas très étonnant, vous êtes un artiste et non un diplomate ni un politicien… Vous habitez dans les nuages et il est difficile et pénible de redescendre sur terre… Il ne faut pas comparer ces petits pays de l’Europe centrale ou des Balkans avec la France.
Quand on est la seule et unique héritière d’un grand nom, du plus grand nom, dans un pays en proie aux convulsions politiques, il n’est pas surprenant qu’on devienne le point de mire des aspirants conspirateurs.