Une très belle écriture. Un travail de recherche remarquable dans les registres d'inquisition. Une plongée dans la montagne noire au côté de Guilhem Rafart, (né vers 1225, originaire d'une famille paysanne de Roquefort dans le Tarn) qui naît au moment où la religion cathare connaît le début de son déclin. Fervent croyant, il aide les Bons Hommes à visiter ceux qui veulent pratiquer leur foi et recevoir le consolament au moment de leur mort. Très jeune, malgré les dangers, il songe à devenir l'un d'eux. On le suit pas à pas, dans la montagne noire et jusqu'en Lombardie où il est ordonné. À travers ses choix de vie et ses pérégrinations, on découvre les dogmes et les rites cathares, la puissance de l'Inquisition et la vie quotidienne des hommes et des femmes dont la foi n'a pas réussi à empêcher leur Église de sombrer dans la nuit.
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Quatre ans que je n'ai vu mon frère. La Lombardie se tient entre nous. Elle retient nos gestes. Chacun de nous a un élan vers l'autre, qui s'interrompt dans la même gêne. Raimond ne me fera jamais son melhorier. Je l'avais su avant même de prendre la route de Montpellier avec mes vaches. Il n'est pas l'ennemi des Bons Hommes. Au fond de lui, je le sais, il leur a toujours voué plus d'estime et de foi qu'aux clercs de Rome. Mais je ne l'imagine pas en repenti. Raimond Rafart est un homme droit, il n'est pas un homme pieux. C'est de ce monde qu'il se soucie, des dés qui ne cessent de rouler, des pions qu'il faut imprévisiblement avancer, des calculs qui ne peuvent traîner, pour éviter les pièges de la faim, du froid et du malheur. L'éternité, c'est pour après. On dirait qu'il a pensé à voix haute. Le regard qu'il tourne vers moi m'est transparent, comme l'est son cœur. Il est mon frère. Son affection et son aide me sont acquises, mais il ne m'approuve pas d'avoir pris le chemin périlleux.
Ce matin de l'été 1249, un vent léger court avec eux la montagne, à travers la prairie se charge de tout un trésor d'odeurs chauffées par le soleil, broyées par leurs pieds de bons marcheurs, chaussés de solide cuir de vache. Imprégnés des relents de la forêt qu'il viennent de franchir, avec ses boues noires et ses eaux ruisselantes, ils replient avec bonheur leurs capuchons sous les rayons brûlants, coiffent à pleins cheveux leur chapeau de toile ou de paille tressée, et retroussent leurs manches de lin frais. Leurs sacoches semblent peser davantage, mais ils les balancent d'une épaule sur l'autre. L'été dans les hauteurs, tout ce vert qui étincelle devant la brume chaude des lointains réjouiraient le cœur le plus désolé.
L'inquisition, me dit le Bon Homme Guilhem Prunel, se répand depuis Rome sur le monde, comme lave en fusion d'une gueule de fournaise.