Le roman s'ouvre sur des considérations plaisantes au sujet de la pluie et sur la galanterie empressée des hommes qui usent du prétexte de protéger les dames des averses sous leur parapluie, dans le but de créer une opportune promiscuité.
Bengali, séducteur impénitent et bon vivant facétieux, fait habilement usage de cette stratégie envers les passantes qui lui procurent l'émoi de leurs mollets découverts sous leurs jupes retroussées pour les préserver de la boue. Une rencontre marquante en la personne de la belle et vertueuse Georgette va saper progressivement son assurance de Don Juan et le plonger dans les affres de la passion. Réussira-t-il à en réchapper ?
Entre badinage amoureux, réflexions caustiques sur l'importance décisive de la position sociale et l'enjeu central du mariage en tant qu'institution, on suit avec plaisir les différents parcours de personnages truculents, parfois ridicules mais aussi touchants, dépeints avec un humour subtil et réjouissant.
On fait la connaissance de Pistache l'amoureux transi, de Mademoiselle Piédevache la tante protectrice et fortunée, piquée d'un brin de folie, de la naïve Athalie et de son père Jujube aux prétentions démesurées, et de plein d'autres « acteurs » intrigants.
La verve haute en couleur de
Jules Moinaux, une belle découverte, m'a entraînée au fil de cette histoire virevoltante illustrée par de savoureux jeux de mots à travers les réparties des protagonistes, avec en fond une critique satirique des moeurs du 19e siècle. J'y ai trouvé aussi une forme d'interaction grâce aux courts passages philosophiques qui invitent à la réflexion.
Le côté loufoque de certaines situations et la confrontation entre les différentes classes (bourgeois parvenus, artistes, gens du peuple…) évoquent une pièce de théâtre avec ses entrées et ses sorties, ses rebondissements inattendus.
On retrouvera également plusieurs thèmes très intéressants, développés de façon presque visionnaire, sur l'évolution des mentalités et l'émancipation féminine. L'amour bien sûr qui est la thématique centrale, celui aux accents sincères, celui de convenance lors des mariages arrangés, celui désespéré à cause de la moralité qui le bride. La condition de la Femme, abordée dans sa résistance héroïque aux tentatives de séduction, puis passionnée et également traitée comme une passerelle sociale vers la réussite, en parallèle avec la dénonciation d'un certain patriarcat.
Des chassés-croisés d'un autre temps dont on peut retrouver pourtant des similitudes dans notre présente actualité, de façon intemporelle.
Une oeuvre que j'ai beaucoup appréciée, dont la plume admirable porte toutes sortes d'élans (joyeux, drôles et parfois cyniques) et dont je conseille vivement la lecture si vous avez envie de faire un voyage divertissant à travers le charme d'une autre époque (et si comme pour moi
Zola est l'un de vos auteurs de prédilection, alors vous ne pourrez qu'être davantage séduit ! ).
A noter que ce roman est paru chez Sinope éditions dans l'une de leurs collections "
Les Classiques", un hommage à un grand auteur méconnu.