J'ai adoré ce bouquin, qui m'a passionné quasiment de bout en bout. Il faut dire que les histoires de bourreaux m'ont toujours fasciné, ce qui fait de moi, d'emblée, un bon public pour ce genre de biographie. Voilà déjà bien longtemps que j'ai dévoré celle d'
Anatole Deibler, et, il y a quelques années, ce fut le tour de l'auto-biographie/biographie de Sanson.
Il y a d'ailleurs un dénominateur commun à ces trois larrons, pourtant si éloignés dans le temps les uns des autres, c'est cette justification du meurtre légal qu'ils trouvaient dans l'horreur des actes de leurs "clients", ici appelés "pauvres pécheurs", et cette empathie avec le sort de leurs victimes. Nul doute que cela devait bien les aider à supporter les rigueurs de leur métier, puisque chacun des trois assuma une carrière particulièrement longue, quasiment sans jamais trembler (à l'exception de Sanson qui finit hémophobique, et qui me paraît - ce n'est peut-être pas une coïncidence - avoir été celui des trois qui éprouvait le plus de "pitié" pour ses clients).
Pour ce qui est de notre ami Meister Frantz, on voit poindre dans sa biographie l'aurore de quelques principes humanistes qui guideront la justice dans les siècles suivants, comme l'indulgence pour les mineurs, l'horreur de l'infanticide (qui était disons largement toléré au moyen-âge), ou le traitement des femmes : très intéressant, ce chapitre où l'on voit notre bourreau intercéder pour que l'on arrête d'enterrer vives ou de noyer les femmes en lieu et place de les pendre, sous prétexte de pudibonderie (une femme en robe suspendue, cachez-moi cette chose que je ne saurais voir). Ainsi, entre le début et la fin de la carrière de 40 ans de ce bourreau, les femmes passeront d'un traitement de défaveur à presque un traitement de "faveur" (tout étant relatif).
Un bourreau qui, bien qu'il ne tremblait ni devant la torture ni devant les pires exécutions, n'avait rien de l'image d'Epinal d'une brute épaisse, et qui, bien que très pieux, était plus que sceptique devant la sorcellerie, appréciant d'exécuter un chasseur de sorcières pour diffamation plutôt que les malheureuses innocentes que celui-ci entendait dénoncer.
Un livre qui entend relativiser, également, les horreurs judiciaires de l'Ancien Régime. Certes, on pendait des voleurs, mais l'on voit bien qu'il s'agissait de multi-récidivistes impénitents qui n'avaient tremblé devant aucune menace, bannissement ou peine corporelle, et que, dans un monde sans prisons, c'était en désespoir de cause que l'on finissait par se débarrasser une fois pour toutes de ces parasites.
Certes, le supplice de la roue, appliqué aux bandits de grand chemin, était épouvantable, mais le récit de leurs crimes est également à frémir d'horreur, et cette réponse judiciaire, la Loi du Talion en quelque sorte, était compréhensible. Elle n'a d'ailleurs rien de si suranné que ça, dans un XXIème siècle où plus de 50 pays appliquent encore la peine de mort, et dans lequel des millions de gens rêvent de la rétablir à chaque fois qu'une affaire sordide sort dans les médias.
Au fil des pages de cet excellent livre, on en vient vraiment à considérer cette ville franche de Nuremberg – et son exceptionnel bourreau – comme un état préfigurant la modernité... À ceci près qu'il semble bien qu'elle ait été "un îlot" au milieu d'un monde par ailleurs très obscurantiste.
Finalement, s'il y a quelque chose qui étonne par son archaïsme, c'est cette discrimination appliquée aux bourreaux, des hommes à qui la société a demandé – voire ordonné – de faire le sale boulot.