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EAN : 9782013432498
422 pages
Hachette Livre BNF (01/09/2014)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Moeurs domestiques des Américains (3e édition) / par Mistress Trollope. Date de l'édition originale : 1841. Sujet de l'ouvrage : États-Unis -- Moeurs et coutumesCollection : Bibliothèque d'élite. Le présent ouvrage s'inscrit dans une politique de conservation patrimoniale des ouvrages de la littérature Française mise en place avec la BNF. HACHETTE LIVRE et la BNF proposent ainsi un catalogue de titres indisponibles, la BNF ayant numérisé ces oeuvres et HACHETTE LIVR... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
L'enthousiasme de l'or, la terre promise, des horizons infinis à découvrir, une indépendance et une liberté absolues face à une vieille Europe considérée comme désuète, ringarde, et des moeurs américaines que je résumerais arbitrairement en quatre piliers fondamentaux : le fanatisme du commerce ; de la religion, et une obsession presque malsaine pour l'égalité et la liberté que les américains prétendent seuls détenir : voilà en quoi consiste l'essence même de cette belle utopique américaine.

Imaginez que cette terre nouvelle et ambitieuse soit minutieusement et partialement jugée par une aristocrate anglaise, rigide à sa façon mais suffisamment tolérante et douce d'apparence pour s'immiscer dans les moeurs américaines tout en étant génialement cruelle et médisante en coulisses afin d'établir de bien sévères jugements.

Compte tenu du nombre d'anecdotes et observations, je vais scinder de façon scolaire l'ouvrage en relatant les points de vue de Mistress Trollope sur la liberté ; l'égalité ; la religion ; le commerce, les arts et le savoir-vivre.

La liberté et l'égalité :

- de manière générale, les américains sont si fiers de leur indépendance et de leur modèle social qu'ils ne souffrent aucune comparaison avec les pays étrangers : irascibles et sourds au moindre petit défaut révélé sur l'état de leur route, de leur maison, du niveau de leur littérature ou peinture… ils n'entendent rien et ont naturellement la conviction qu'ils sont meilleurs dans tous les domaines ; puisqu'eux seuls sont libres et indépendants et que les étrangers sont tous sous le joug de tyrans, que leur importe toutes ces prosaïques et futiles comparaisons ? Ils sont déjà parfaits par essence !

- Rien n'est plus délicat que d'engager un domestique : ce mot est d'ailleurs un blasphème, il faut impérieusement privilégier des paraphrases ou euphémismes comme « une personne qui vous aide ».
Une fois entré à domicile, on doit veiller sans cesse à bien ménager sa susceptibilité au sens où rien ne doit trahir le sentiment inné d'égalité qu'anime l'américain : on s'adresse à lui de la même façon qu'un membre de sa famille, on l'inclut à sa propre table et on ne lui refuse aucun service même lorsqu'il demanderait à son maître d'emprunter ses beaux vêtements pour se rendre à un bal… Pour toute contrepartie, aucune… Il n'en sera que plus infidèle qu'un servile domestique européen : il faut s'attendre au contraire à ce qu'il quitte à tout moment la demeure de son maître sans le prévenir et sans remerciement.

- La charité totalement désintéressée n'existe pas : toutes les fois que l'on rend service, spontanément ou non d'ailleurs, les américains évitent autant que possible le redoutable mot : « merci » ou toute autre autre formule exprimant la plus faible des gratitudes.
Leur fierté d'indépendance et d'égalité les pousse toutefois invariablement à vous proposer une contrepartie, même faible ou illusoire.
C'est qu'il serait inconcevable, au sens américain, de donner sans recevoir immédiatement ; aussi la contrepartie fait au moins l'objet d'une promesse : « je vous rembourserai » (alors qu'on leur donne sans réserve) « je vous rendrai tel service » (alors qu'on ne leur demande strictement rien)… Accepter un don et simplement remercier, ce serait par trop ressembler à de vils mendiants européens rampant servilement devant leur bon seigneur !

- L'égalité américaine a beaucoup de charmes : un ouvrier américain peut-être chaleureusement présenté comme « l'honorable monsieur un tel » en de belles maisons bourgeoises mais cette même bourgeoisie se referme aussitôt dès qu'il s'agit de bals, de réunions officielles ou de fêtes, de salons…
Cette scission est irréversible : telle belle jeune fille, riche mais issue d'une classe ouvrière sera exclue à vie des salons de commerçants, que ces derniers soient riches ou non, de façon à ne jamais mélanger ou marier ceux qui travaillent de leurs mains et ceux qui font de la négoce ; une manière pour les américains de recréer une aristocratie.

- L'égalité est plus explicitement rompue dès qu'il s'agit de narguer les étrangers : leurs cibles favorites étant les anglais, et Mistress Trollope est ainsi régulièrement dénommée « la vieille anglaise ».
Leur principe de liberté et d'égalité ne semble pas souffrir le moins du monde également de la contradiction de l'esclavage en ce pays prétendument exemplaire et moral : Jefferson même, modèle en ce pays, prenait plaisir à se faire servir par ses propres enfants, esclaves et descendants d'esclaves.

- Il n'y a évidemment pas non plus d'égalité s'agissant du traitement cruel des indiens. comble de l'hypocrisie morale, l'anglaise visite un musée en leur honneur et tandis qu'on expose et admire l'exubérance de leur art, leurs costumes hauts en couleur et leurs bijoux originaux, les américains oublient ainsi commodément qu'on les a déportés sans ménagement de leurs terres pour mieux étendre des espaces pourtant sous-peuplés du territoire américain en ce début du siècle.
Les Indiens, d'abord chasseurs nomades, s'étaient pourtant lentement pliés aux charmes de la civilisation américaine, troquant leurs arcs pour des charrues, s'accoutumant à l'agriculture dans une harmonie presque tolérée par les standards américains. Ils n'en furent pas moins déportés progressivement et plus brutalement même à partir de 1830.

- Les inégalités sociaux-économiques sont tout autant présentes qu'en Europe mais avec quelques nuances qui paraissent typiquement américaines :
Ici, l'enfant issu d'un foyer pauvre ne s'aventure pas dans les abysses d'une mine de charbon, mais se lance plutôt dans de petites entreprises comme le commerce d'oeufs ou de volailles, jouant déjà au petit marchand.
L'argent qu'il amasse ne contribue pourtant pas à alléger les charges familiales : il le garde précieusement pour lui-même !
Cette précoce tendance à l'égoïsme semble être un trait de famille, à l'image de son père qui lui privilégie de nobles plaisirs - une consommation délirante de tabac à chiquer et whisky - avant de penser aux besoins du foyer, si tant est qu'il reste quelque chose à partager…

- L'aspect le plus inattendu de cette société naissante est la sévère division entre hommes et femmes qui étonne tout autant l'anglaise que les journaux français de l'époque.
Hormis la danse réunissant les jeunes célibataires, les deux sexes sont systématiquement scindés : à table un clan des hommes fait face à un second bloc composé de femmes ; même chose au sein des salons…
Et si cela choque tant les européens de l'époque, c'est que cette division s'accompagne en outre d'une pruderie excessive : s'il se trouve par exemple un musée exposant des oeuvres de nudités (statues ou peintures) : chaque sexe doit voir alternativement les oeuvres sans jamais se mélanger dans la même pièce.

- l'exigence d'assimilation est également une composante de l'égalité américaine : notamment à l'hôtel où, par deux fois, l'anglaise a été contrainte de prendre son repas dans un salon public, son service en chambre lui étant refusé.
Pièce commune où sont réunis à une même table une foule d'hommes brusques dînant en silence, avalant leur nourriture avec une vitesse déconcertante, silence occasionnellement rompu par de courtes discussions politiques et des échanges d'insultes…
De même, dans l'État de l'Ohio, existe une coutume consistant à laisser sa porte ouverte durant les mois chauds de façon à permettre à n'importe quel inconnu de pénétrer chez soi, d'offrir un salut, de s'asseoir puis de repartir aussitôt.

- L'esprit égalitaire semble aligner les moeurs des américains quel qu'en soit leur rang social : un riche négociant, un député, un magistrat ou des résidents new-yorkais adoptent presque tous l'immonde habitude de mâcher du tabac, puis de cracher, et accessoirement de sentir le whisky… Autant de crimes d'inélégances qui sont, cela va sans dire, inexpiables pour notre aristocrate anglaise.

- L'esprit de liberté absolue est parfois étrangement malmené par des interdictions arbitraires dans certains Etats : interdiction de jouer au billard, de vendre des cartes, interdiction de se promener en cheval le jour de fêtes…

La religion :

- le christianisme se subdivise en un festival de branches religieuses dont un bon nombre sont sectaires : sectes où chacun, du boulanger au serrurier, peut subitement se proclamer gourou sans d'ailleurs renoncer à exercer son métier.
L'anglaise peine à identifier le protestantisme comme religion dominante au sein de ce vaste brouillard de sectes et congrégations religieuses. L'important pour les américains n'est pas d'avoir telle croyance mais d'en avoir une ; ils ne deviennent intolérants qu'envers ceux qui n'appartiennent à aucune congrégation ou secte.

- Dans ce panorama où règne une anarchie, où les prêtres ou gourous sont rémunérés de façon occulte, ce qui exclut d'ailleurs les plus miséreux faute de moyens, les offices religieux prennent des allures de spectacles d'exorcisme, avec des sermons apocalyptiques et tonitruants et où de jeunes filles fidèles se tordent parfois dans des délires et des convulsions…

- Bien que la tolérance règne entre les diverses branches ou sectes religieuses, l'anglaise révèle également de sévères intolérances : la pruderie excessive déjà évoquée ou notamment l'exclusion d'un tailleur par sa corporation pour avoir travaillé exceptionnellement un dimanche.

Le commerce ; les arts, le savoir-vivre :

- Les colossales entreprises et infrastructures américaines : l'anglaise est partagée entre l'admiration béate pour le génie destructeur des américains et leur cupidité frénétique les poussant sans ménagements à défricher où bon leur semble, à bâtir des villes exclusivement industriels comme à Lockport, à réaliser de grands ouvrages tels que d'immenses canaux… Tout cela reflète leur prodigieuse ambition à soumettre n'importe quel coin de la nature à leur désir, pourvu qu'il y ait de l'argent à se faire…

- L'architecture ne l'émerveille guère : à l'exception d'une cathédrale à Baltimore, les églises sont pragmatiques, utiles, très propres, mais n'ont aucune prétention à la grandeur ou la splendeur.
Même face à des merveilles comme le Capitole qu'elle ne peut s'empêcher d'admirer, sa tendance à la médisance ressurgit inévitablement en exprimant sa surprise toute condescendante de découvrir un tel monument de ce côté-ci de l'Atlantique…

- La littérature classique et anglaise est dédaignée des américains, même des intellectuels, jugée désuète et prétentieuse. Les américains se gavent essentiellement de journaux et accessoirement de quelques romans modernes. Même ignorance pour la peinture : seul un petit nombre d'artistes connaissent des oeuvres européennes et leurs peintres ne suivent en général aucun mouvement de peinture particulier ; les académies exposent et mélangent des croûtes et des chefs d'oeuvres sans distinction…

- le savoir-vivre : brusque, abject, grossier, l'américain aime mâcher ou chiquer du tabac tout en crachant peu importe l'endroit et quel que soit son rang social ; à l'injure facile et sent souvent le whisky.
Aucun de ses faits et gestes ne sont gracieux selon l'anglaise : il ne sait ni même simplement se tenir debout et encore moins s'asseoir ; elle observe des magistrats comme des sénateurs poser comme bon leur semble leurs jambes : affalés, constamment penchés, tordus, allongés…

Les américaines sont moins vilipendées cependant elles ne savent ni marcher, danser, se maquiller (excès de poudre blanchissante), ni même s'habiller faute de goût malgré des dépenses excessives. Si quelquefois leurs vêtements sont de bon ton, c'est naturellement qu'elles ont imité les modes européennes selon la perfide anglaise !

- La nourriture est grossière comme leur tempérament : elle est copieuse et hétérogène ; on y mange du jambon et des tranches de boeuf matin, midi et soir, lesquelles tranches sont parfois mélangées dans la même assiette avec des confitures ou autre aliment sucré…

- En 1830, la capacité de la société américaine à se divertir semble fortement limitée : dans certains États, les jeux de cartes et les billards sont interdits ; les théâtres se font rares, même dans les grandes villes, surtout en comparaison avec l'Europe, et les festivités telles que les foires, les fêtes et les bals populaires sont quasiment absentes.

- La nature seule est exclue de ses sévères jugements mais il n'en reste pas moins que les paysages qu'elles préfèrent sont ceux qui lui rappellent sa douce Angleterre natale !
Cette relative clémence s'estompe cependant vite face à l'hostile faune locale : que ce soit les horribles crocodiles du Mississippi, une large variété de serpents fourbes ou encore d'insupportables concerts de grenouilles…
Et quand tout lui convient, quand elle traverse seule et sans américains sauvages qui pourraient nuire à un paysage idyllique, elle regrette néanmoins avec mélancolie de ne pas apercevoir au loin quelques bons vieux châteaux européens orner le paysage…

Du Mississippi, l'Ohio jusqu'à Washington et New-York, une bonne partie des Etats-Unis de l'époque a été traversée par cette anglaise (Mistress Trollope), mais celle-ci a surtout concentré ses observations sur l'Ohio, Etat durant lequel elle a passé la plus grande partie de son temps au sein notamment d'une communauté utopique…
Derrière certaines généralités, il y a donc des exceptions qui tiennent des spécificités de cette communauté à part. Ceci dit, cela tient surtout à quelques moeurs résiduelles comme de laisser sa porte ouverte, à des pratiques mystiques de sectes ou à une justice décadente et outrageusement laxiste…

De tous ces faits divers, amusants pour la plupart, je retiens particulièrement en ce début du XIXe siècle une forte et rigide séparation des deux sexes, bien plus accentuée qu'en Europe à la même époque ; de fortes tendances sectaires dans la sphère religieuse (et dans plusieurs Etats, les détails dans cet ouvrage sont assez fascinants et troublants), un esprit d'insubordination assez marqué (notamment illustré par l'impossibilité de garder un domestique) et une vanité américaine pleine de candeur, doublée d'une confiance absolue dans la supériorité de leur industrie ou encore de toute forme d'art.
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Frances Trollope a voyagé et séjourné aux Etats Unis de 1827 à 1831. Voici un témoignage intéressant à double titre : d'abord le regard excessivement critique de F Trollope, ensuite les circonstances de cette écriture et sa réception.
A l'époque, les Etats Unis étaient très jeunes : la surface du territoire représentait uniquement un tiers par rapport à ce que nous connaissons aujourd'hui. Un autre jalon historique : la guerre de Sécession arrivera 30 ans plus tard.

Dans ce récit de voyage, F Trollope s'est montrée caustique : elle a blâmé les meurs grossières et provinciales, par exemple l'habitude de mâcher du tabac et de cracher par terre à l'intérieur des habitations ; les hommes utilisant souvent les couteaux à la place des fourchettes et ensuite les mêmes couteaux à la place de cure-dents. La classe moyenne était dépourvue de culture et d'éducation ; une conversation agréable telle qu'on la menait sur le vieux continent était inexistante.

Sans oublier un point important, l'hypocrisie : on prônait la liberté et en même temps on pratiquait l'esclavage !
Autres aspects critiqués : l'obsession de l'argent, le manque de courtoisie, la familiarité excessive.

« Vous les verrez d'une main hisser le bonnet de la liberté, et de l'autre fouetter leurs esclaves. [ ] Vous les verrez une heure faire la leçon à leur populace sur les droits imprescriptibles de l'homme, et la suivante chasser de chez eux les enfants du sol, qu'ils se sont engagés à protéger par les traités les plus solennels.»


Mais ce livre de voyage est loin d'être une lecture aride : il y a de l'humour, de l'ironie, des anecdotes, des portraits vivants. Son regard ne se limite pas à la société : la voyageuse est sensible à la nature et s'attarde avec délice sur le paysage et la flore.
A sa sortie, le livre a été un bestseller. Il a suscité des réactions controversées en raison de l'aperçu excessivement critique.


La principale motivation de Mrs Trollope pour l'écrire : elle et son mari étaient désargentés suite à la faillite de leur affaire. On peut lancer une hypothèse : l'auteure a grossi le trait pour faire vendre.
Le récit de voyage marque aussi le début de sa carrière littéraire à l'âge de 55 ans. Elle a enchaîné avec des romans (par exemple La Veuve Barnaby), ce qui leur a permis d'éponger les dettes.


Avant son voyage, elle pensait que les barrières de classe étaient superflues ; après, elle trouvait désagréable d'être traitée comme l'égale de ceux qu'elle voyait comme des rustres.
Un de ses fils, Anthony Trollope, est devenu un auteur populaire de l'époque victorienne, au point d'éclipser la renommée de sa mère.
Quasiment un siècle plus tard, en 1947, une autre femme de lettres, une Française, écrira un journal de voyage aux States ; elle non plus ne sera pas tendre : Simone de Beauvoir. Mais ça c'est tout une autre histoire :
https://www.babelio.com/livres/Beauvoir-LAmerique-au-jour-le-jour--1947/89109

Les souvenirs de voyage de F Trollope commentés sur guardian (en anglais)
https://www.theguardian.com/books/2017/jun/05/100-best-nonfiction-books-no-70-domestic-manners-of-the-americans-frances-trollope
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
L'absence totale des politesses habituelles de la table, la promptitude vorace avec laquelle les viandes étaient saisies et dévorées, l'étrangeté des phrases, la dureté de la prononciation, l'expectoration continuelle contre laquelle il était impossible de garantir nos vêtements, la manière effrayante dont les Américains se servent de leur couteau, enfonçant la lame dans leur bouche jusqu'au manche, et celle, plus effrayante encore, de se nettoyer les dents, après dîner, avec un canif qu'ils portent à cet usage dans leurs poches, toutes ces causes réunies nous empêchaient de penser que nous fussions entourées de généraux, de colonels et de majors de l'ancien monde, et de trouver que les heures de nos repas fussent des moments agréables.

Le peu de conversation qui avait lieu pendant le dîner était entièrement politique, et les droits respectifs d’Adam et de Jackson étaient discutés avec plus de véhémence et surtout de serments que je n’en avais jamais entendu.

Une fois un colonel fut sur le point d’insulter un major, lorsqu’un énorme gentleman du Kentucky, marchand de chevaux de profession, pria le ciel de les confondre tous les deux, et leur ordonna de se rasseoir ou d’aller au diable.
Comme nous craignions d’être compromises dans cette sentence, nous nous tînmes fort tranquilles ce jour-là, et depuis nous ne restâmes dans la salle des repas que le temps nécessaire pour manger.

(…)
Toutefois, c'était vraiment un spectacle repoussant que de voir cette belle salle, ornée avec tant de luxe et de magnificence, remplie d'hommes assis dans les attitudes les plus inconvenantes, la plupart le chapeau sur la tête, et crachant presque tous d'une manière que je n'oserais vraiment pas décrire.

(…)
Le théâtre n'était pas ouvert quand nous étions à Washington, mais je revins le visiter ensuite.
La salle est petite et mal décorée, si l'on considère que c'est le seul lieu d'amusement public que la ville renferme.
J'ai déjà parlé des manières par trop sans façon des spectateurs au théâtre de Cincinnati ; celui de Washington ne lui cédait en rien sous ce rapport, et c'était un laisser-aller, ou, si vous voulez, une liberté qui semblait dédaigner les lisières de la civilisation.

Un homme du parterre fut pris d'un violent vomissement qui ne parut nullement surprendre ni incommoder ses voisins, et par une heureuse coïncidence, un des personnages de la pièce, qui se trouvait être un médecin, étant venu à paraître sur le théâtre, ce fut le signal de bruyants éclats de rire et de vives acclamations qui redoublèrent lorsque l'acteur dit en s'approchant de la rampe : « Il paraît qu'on a besoin ici de mes services. »

C'était de tous côtés un crachement continuel et il n'y avait pas un spectateur sur dix qui fût assis d'une manière convenable.

Tantôt c'étaient des jambes qui s'étendaient sur le devant de la loge, ou même par-dessus, tantôt c'était un sénateur qui se couchait tout de son long sur un banc ; j'en ai même vu qui s'asseyaient sur la balustrade.

Je vis un jeune homme, qu'à sa mise élégante et recherchée je reconnus pour un personnage important, prendre dans la poche de son gilet de soie une poignée de tabac et la déposer délicatement dans sa bouche.

Je suis portée à croire que cette habitude grossière et universelle de mâcher du tabac est la cause d'une particularité remarquable que présente la physionomie des Américains : ils ont presque tous les lèvres minces et rétrécies.

M'appuyant sur la théorie de Lavater, je l'attribuais d'abord au tempérament aride des habitants ; mais l'habitude dont je parle, commune à toutes les classes, les gens de lettres exceptés, l'explique suffisamment ; et la position que les lèvres sont forcées de prendre pour exprimer le jus de cette herbe fétide donne cette expression remarquable à la figure américaine.
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Il y avait une maison dans le village qui était remarquable par son aspect misérable ; elle avait un air de pauvreté indécente qui m'empêcha longtemps d'y entrer.

Mais plus tard, lorsque j'appris que je pourrais y acheter des poulets et des œufs quand j'en aurais besoin, je me hasardai de passer le seuil de la porte.
En entrant, j'abandonnai presque mon dessein ; je n'avais jamais contemplé tant de saleté et de misère.

Une femme, véritable image de la souffrance, tenait un enfant décharné sur son bras gauche, tandis qu'elle pétrissait sa pâte avec la main droite.
Une grande fille pâle et maigre, d'environ douze ans, était assise sur un baril, rongeant un blé de Turquie.

Lorsque j'expliquai ce que je désirais, la femme me répondit : « Je n'ai ni poulets ni œufs à vendre, mais mon fils en aura, je l'espère. » « Ici, Nick, » cria-t-elle, au bas d'une échelle, « voici une vieille femme qui a besoin de poulets. »
Nick fut descendu en un instant, et je m'aperçus que mon marchand était un des gamins déguenillés que j'avais souvent rencontrés dans mes promenades, jouant aux billes dans la poussière, et jurant comme un charretier ; il avait environ dix ans.

- Avez-vous des poulets à vendre, mon garçon ?
- Oui, et des œufs aussi, plus que vous n'en voudrez acheter.

Ayant demandé le prix, je me rappelai que j'étais habituée à donner au marché la même somme qu'il exigeait, et que cependant les poulets du marché étaient plumés et prêts pour la table.
Je lui dis que les siens ne devaient pas être si chers :

- Oh, quant à cela, je puis les retrousser tout aussi bien que ceux que vous achetez au marché.
- Vous pouvez les retrousser ?
- Oui. Pourquoi pas ?
- Je croyais que vous aimiez trop à jouer aux billes.

Il me lança un regard fin et me dit : « Oh, vous ne me connaissez pas. Quand aurez-vous besoin des poulets ? »

Il me les apporta le jour que je lui avais indiqué, et parfaitement bien préparés.
Je lui en achetai souvent dans la suite.
Lorsque je le payais, il mettait toujours la main dans la poche de sa culotte qui, étant sa caisse je le suppose, était mieux fortifiée que le reste de ses vêtements en guenilles.
Il en retirait plus de dollars, de demi-dollars et de monnaies que sa petite main sale ne pouvait en contenir. Ma curiosité était excitée, et, bien que je sentisse un dégoût involontaire pour ce petit, je causais souvent avec lui :

- Vous êtes bien riche, Nick ? lui dis-je, un jour qu'il tirait avec affectation son argent pour me rendre de la monnaie. Il sourit avec une expression qui n'appartenait nullement à l'enfance et me répondit :
- Il me semble que je ne serais pas trop riche, si c'était là tout ce que je possède.

Je le questionnai sur son commerce, et il me répondit qu'il achetait des œufs par centaines et des poulets maigres par vingtaines, aux marchands qui passaient en charrettes, devant leur porte, pour se rendre au marché ; qu'il engraisssait ces derniers dans des mues qu'il avait faites lui-même, ce qui pouvait facilement en doubler le prix ; que ses œufs lui rapportaient aussi un bon bénéfice en les vendant à la douzaine.

- Et donnez-vous l'argent que vous gagnez à votre mère ?
- J'espère bien que non, reprit le jeune marchand, avec un second regard rempli de cupidité.
- Qu'est-ce que vous en faites, Nick ?

Son regard signifia clairement, "qu'est-ce que cela vous fait ?" Cependant, il me répondit assez poliment : « J'y prends garde, madame. »

Comment Nick gagna-t-il son premier dollar ? C'est une chose difficile à savoir. J'ai entendu dire que, lorsqu'il entrait dans une boutique du village, la personne qui servait appelait toujours à son aide un autre surveillant.
Mais enfin, de quelque manière qu'il l'ait eu, l'activité et l'industrie qui augmentaient son trésor eussent été délicieuses dans un de ces jolis petits garçons de Miss Edgeworth, qui aurait tout porté à sa mère.

Mais dans Nick, tous ces avantages étaient une malédiction du ciel. Aucun sentiment humain ne semblait échauffer son jeune cœur, pas même l'amour de lui-même, car il était sale et déguenillé, il avait l'air de mourir de faim, et je ne doute pas que la moitié de ses dîners et de ses soupers ne servît à engraisser ses poulets.

Je ne donne pas cette histoire de Nick comme une anecdote caractéristique de l’Amérique ; tout ce qui peut avoir rapport à ce pays, c'est l'indépendance de ce petit homme, et le caractère sec, égoïste et rempli de calculs qui en résultait.
Probablement, Nick sera un jour fort riche.
Peut-être deviendra-t-il président. Je fus un jour si sévèrement grondée pour avoir dit que je ne croyais pas que tous les Américains fussent également éligibles, relativement à cette place, que je me garderais bien maintenant de douter des droits du plus mince d'entre eux.
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Mes voisines ne me désignaient entre elles que sous le titre de « la vieille femme anglaise »,
M. Trollope (l’époux de la narratrice) était aussi constamment appelé « le fils de l'Amiral », tandis que des charretiers, des garçons bouchers, des ouvriers sur le canal, recevaient invariablement la dénomination de gentlemen.
J'ai même vu un jour l'un des citoyens les plus distingués de Cincinnati présenter à un de ses amis un pauvre diable en simple veste, et les manches de sa chemise horriblement sales, avec la formule : « Mon cher, permettez-moi de vous présenter ce gentleman ».

Je tenais certainement fort peu à nos titres respectifs, mais les éternelles poignées de main de ces ladies et de ces gentlemen étaient réellement une chose insupportable, surtout quand, en s'approchant d'eux, leur qualité s'annonçait de loin par l'odeur du whiskey et du tabac (…)

Mais ce qui me déplaisait par-dessus tout de cette égalité républicaine, c'étaient les fréquentes visites qu'elle me procurait.
Fermer sa porte est une chose dont personne ne s'avise dans l'ouest de l'Amérique.
On m'avertit qu'une telle licence serait considérée comme un affront par tout le voisinage. J'étais ainsi exposée à me voir troublée à chaque instant et de la manière la plus déplaisante, par des gens que souvent je n'avais jamais vus, et dont plus souvent encore les noms m'étaient absolument inconnus.

Vingt fois j'ai vu des personnes de ma connaissance ainsi envahies par des visites, sans avoir l'air d'en être le moins du monde troublées ; elles continuaient leur occupation ou leur conversation avec moi, à peu près comme si de rien n'eût été.
Quand le visiteur entrait, elles lui disaient : « Comment vous portez-vous ? » et lui secouaient la main. « Très bien, merci, et vous ? » était la réponse du visiteur, et là se bornaient les civilités.
Si le nouveau-venu était une femme, elle ôtait son chapeau ; si c'était un homme, il gardait le sien ; puis, prenant possession de la première chaise qu'il trouvait, il s'y établissait, et restait là une heure sans dire un seul mot.
A la fin, il se levait tout à coup en disant : « Il est temps que je m'en aille, je crois. »
Puis, après une nouvelle poignée de main, il s'en allait avec l'air parfaitement satisfait de la réception qu'on lui avait faite.
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J'avais souvent entendu dire, avant mon voyage en Amérique, qu'un des plus grands bienfaits de sa constitution était l'absence d'une religion nationale.
Par là, me disait-on, le pays se trouve déchargé de l'entretien du clergé et ceux-là seuls paient les prêtres qui s'en servent.

Mon séjour en Amérique m'a prouvé que la tyrannie religieuse peut très bien s'exercer sans l'assistance du gouvernement, et d'une manière beaucoup plus oppressive que par le paiement de la dîme, et que la seule différence entre les deux régimes, c'est que le plus libéral substitue une licence effrénée à ce décorum salutaire qui est le résultat d'une forme religieuse consacrée.

Il est impossible de demeurer quelque temps dans le pays sans être frappé des étranges anomalies produites par le système religieux qui y domine (…)

La population des États-Unis est, pour ainsi dire, partagée en une multitude infinie de factions religieuses, et l'on m'assura que, pour être bien accueilli dans la société, il était indispensable de se déclarer le partisan de l'une d'elles.
Quelle que puisse être votre croyance, vous n'êtes point chrétien, si vous n'appartenez pas à l'une de ces congrégations.

Outre les grandes catégories des épiscopaux, des catholiques, des presbytériens, des calvinistes, des baptistes, des quakers, des swedenborgiens, des universalistes, des dunkeristes, etc., etc. que tout le monde connaît, on trouve en Amérique une innombrable quantité de sectes particulières qui sont comme les ramifications des premières, et qui toutes ont leur gouvernement spécial.

Chacune de ces congrégations a invariablement à sa tête le plus intrigant et le plus ambitieux de ses membres ; et, pour expliquer et justifier par-devant le public son existence indépendante, chacune introduit dans le culte quelque pratique bizarre qui la distingue, ce qui a pour inévitable effet d'exposer à un mépris commun les cérémonies et les pratiques de toutes.
(…)

Je me crois moi-même aussi tolérante que personne, mais cette tolérance ne va pas jusqu'à l'aveuglement, et il faudrait être aveugle pour ne pas apercevoir que le but des pratiques religieuses est infiniment mieux atteint, quand le gouvernement de l'église est confié à la sagesse et à l'expérience des hommes les plus vénérables, que lorsqu'il est placé entre les mains du premier cordonnier et du premier tanneur qui juge à propos de s'en emparer.

(…)

Dans les villes et les bourgs, les prayer-meetings tiennent lieu de presque tout autre amusement.
Mais la population de la plupart des villages étant trop faible pour donner des meetings, ou trop pauvre pour payer des prêtres, on est obligé d'y naître, de s'y marier et d'y mourir sans eux.

Un étranger qui vient s'établir dans une ville des États-Unis peut croire que les Américains sont le peuple le plus religieux du monde ; mais que le hasard le conduise dans les villages des états de l'ouest, il changera d'opinion. Là, sauf les horribles saturnales des camp-meetings, il ne rencontrera aucune trace de culte, ni église, ni chapelle, ni prêtre qui prie, ni prêtre qui prêche.
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Les femmes se réunissent entre elles dans quelque coin de la chambre, et les hommes dans un autre (…)
Quelquefois, une tentative de musique produit une réunion partielle.
Quelques-uns des plus téméraires jeunes gens, animés par la satisfaction que leur procurent des cheveux frisés et un gilet élégant, s'approchent du piano, et se hasardent à parler un peu à de jolies jeunes filles à moitié habillées qui s'amusent entre elles à compter le nombre des leçons de musique qu'elles ont prises.

Les messieurs crachent, parlent des élections, du prix des marchandises, et crachent encore.

Les dames regardent la toilette les unes des autres jusqu'à ce qu'elles sachent par cœur jusqu'à la dernière épingle, parlent du dernier sermon de tel ministre sur le jugement dernier, des nouvelles pilules du docteur tel autre contre les maux d'estomac, jusqu'à ce qu'on vienne annoncer que le thé est servi ; alors elles se consolent de tout ce qu'elles ont eu à souffrir pour se tenir éveillées, devant une table couverte de plus de thé, de café, de gâteaux chauds à la crème, de gâteaux froids de toute espèce, de gaufres, de pêches confites, de cornichons, de jambon, de dindon, de bœuf salé, de sauce aux pommes et d'huîtres marinées, qu'on n'en a jamais couvert aucune autre table dans l'ancien monde.

Lorsque ce repas substantiel est terminé, elles retournent dans le salon où il m'a toujours paru qu'elles restaient aussi longtemps que cela leur était possible, sans dormir ; puis elles se lèvent en masse, mettent leurs manteaux, leurs chapeaux et leurs schals, et retournent chez elles.
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