AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Julia Chardavoine (Traducteur)
EAN : 9782493206626
256 pages
Le bruit du monde (04/05/2023)
4.06/5   18 notes
Résumé :
Ciudad Juárez, située à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, est connue pour être l'une des villes les plus dangereuses de la planète, en particulier pour les femmes. Elle est aussi célèbre pour sa décharge qui abrite des centaines d'habitants et une économie parallèle. À travers trois voix de femmes qui s'élèvent de ce territoire, c'est tout un monde qui nous est raconté. Une adolescente née dans la décharge, une patronne de maison close qui ne rêve que... >Voir plus
Que lire après PoubelleVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
De part et d'autre du Rio Bravo qui dessine la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, se font face la tristement célèbre Ciudad Juarez, capitale mondiale du meurtre et du féminicide, et la prospère El Paso, pour sa part l'une des agglomérations les plus sûres de l'Amérique. C'est dans cette zone frontalière de tous les contrastes que se croisent trois destins de femmes. Alicia, adolescente abandonnée et vagabonde, vit sur l'immense décharge à ciel ouvert qui, côté mexicain, permet à une foule de pauvres hères de subsister de la vente du moindre déchet récupérable. Griselda, médecin à El Paso, vient y mener un travail de recherche sur les « enjeux de santé publique et environnementaux ». Enfin, Reyna, chassée de son emploi et de sa vie américaine lorsqu'elle a décidé de quitter son identité d'homme pour s'assumer femme, s'efforce de tourner le dos au cloaque qui empuantit le quartier, tout en régentant la petite troupe de prostituées transsexuelles qu'elle a prise sous son aile.


Aux antipodes les unes des autres en raison de profondes inégalités – toutes deux adoptées, Alicia n'a connu que la misère au Mexique, tandis que Griselda, qui a grandi et étudié au Texas, a pu accéder à une vie confortable ; Reyna a, quant à elle, d'abord connu l'aisance sous ses traits d'homme à El Paso, avant de devoir se résoudre à rentrer au Mexique et à s'y prostituer pour subsister, cette fois en femme –, ces trois Mexicaines ne découvriront jamais, contrairement au lecteur, le lien invisible qui les unit pourtant. Mais, femmes au carrefour de diverses frontières poreuses et incertaines, entre sécurité et précarité, rôle de sujet ou d'objet, genre masculin et féminin, en tous les cas confrontées à l'éternelle loi du plus fort, elles ont en commun le courage et le sens de l'entraide, seuls capables de transmuer en opiniâtre résilience leurs incertitudes et leurs fragilités.


L'on se souvient du terrifiant 2666 où Roberto Bolaño s'inspirait de Ciudad Juarez pour peindre l'effroyable tableau d'une ville mexicaine frontalière ravagée par des assassinats de femmes. Ici aussi, les cadavres se mêlent à la marée des déchets quotidiennement déversés sur la décharge au coeur du récit. Ils sont simplement devenus la manifestation ordinaire – que, pour leur sécurité, les habitants ont pris l'habitude d'ignorer – de contingences avec lesquelles il faut bien composer pour survivre. Alors, pour autant toujours prégnants, violence et danger, qu'ils prennent la forme de meurtres ou d'agressions courantes – conjugales, familiales, ou même professionnelles pour les prostituées –, ne se manifestent qu'indirectement dans la narration, au travers de leur intégration dans le comportement quotidien des personnages. Sans se plaindre, chacune des trois femmes se défend comme elle peut : la plus jeune, avec la rage de survivre ; la plus favorisée, avec culpabilité ; et la plus lucide avec l'ironie du désespoir. Leurs regards et leurs voix se croisent en une alternance virtuose de trois styles d'expression, oral et lapidaire chez Alicia, plus nuancé et introspectif chez Griselda, plein d'une verve intarissable et délibérément irrévérencieuse chez Reyna.


Dans cette histoire, où non seulement les déliquescences familiales n'ont finalement rien à envier aux violences commises à grande échelle dans la ville de Ciudad Juarez, mais aussi où les personnages ne prendront de toute façon jamais conscience des secrètes filiations qui les unissent, ce sont en définitive d'autres formes de proximités que biologiques ou nationales, celles qui rassemblent par un vécu commun et une identité partagée, que reconstruisent les personnages pour se sortir de la poubelle, au propre comme au figuré, qu'est devenu leur environnement.


Un livre fort et parfaitement maîtrisé, sur un sujet que l'auteur, née à Sonora au Mexique et aujourd'hui enseignante à l'université d'El Paso, connaît de près, puisqu'elle a coordonné bénévolement des ateliers d'écriture pour les adolescents et les victimes de violence à El Paso et qu'elle y a fondé une résidence pour femmes et écrivains LGBTQ. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          8312
Situé à Ciudad Juarez, ville frontière entre le Mexique et les Etats-Unis et capitale des feminicides, la décharge à ciel ouvert est un lieu de vie et de travail pour des dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants.
C'est autour d'elle, autour de cette poubelle, que Sylvia Aguilar Zéleny tisse une trame dramatique qui va faire coïncider le destin de trois femmes.
Alicia, une jeune adolescente abandonnée par sa mère adoptive et son beau-père incestueux, s'est installée là pour survivre . Elle y trouve de quoi se nourrir et récupère du métal pour un chef de maffia locale. Auprès d'elle, des chiens qui meurent les uns après les autres, empoisonnés ou écrasés, et qu'elle ne prend plus la peine de nommer. "Les chiens sans nom sont ma seule famille." dit-elle.
Perdue sur la décharge par une femme qui n'assume pas sa démission , comme le petit Poucet dans la forêt, elle trouve refuge dans les livres et tout spécialement dans "Alice au pays des merveilles" qui lui permet d'espérer un monde meilleur de l'autre côté du tunnel.

Griselda, une femme médecin d'El Paso, de l'autre côté du Rio Grande, au Texas, mène des travaux de recherche visant à mieux comprendre les « enjeux de santé publique et environnementaux ». Après avoir accompagné des prostituées, plus spécifiquement transgenres , elle entraîne son équipe sur la décharge et rencontre ceux qui y vivent.
"Pour moi la poubelle c'est comme de l'argent. Ca me dégoute même plus, vous voyez, je viens même avec mes enfants quand ils n'ont pas école, parce qu'ensemble on ramasse plus de trucs. Tout ce que vous voyez, ce n'est pas de la poubelle, c'est de la nourriture, c'est une maison, c'est des vêtements, c'est des meubles, c'est la vie. La misère est galopante, mais ici on peut s'en sortir. "
Les paroles de cette femme qui vit de la décharge sont terrifiantes lorsque l'on mesure le degré de désespoir qui peut rendre enviable l'acquisition des déchets dont plus personne ne veut.

La troisième femme est Reyna, une prostituée vieillissante née homme sous le nom de Raymundo, qui veille sur une petite bande de transgenres . Elle a rencontré Gris et se confie à Alicia dans un monologue truculent. On devine grâce à une écriture hachée qu'elle débite ses mots à toute vitesse et en toute spontanéité mélangeant expressions argotiques et blagues grivoises. Elle pratique une langue orale faite de dialogues constants avec des interlocuteurs réels ou imaginaires que le lecteur n'entend jamais s'exprimer mais qui lui permet d'avoir une représentation plus précise de l'environnement.

Ainsi se succèdent les monologues des trois femmes et se tisse progressivement une trame dramatique. Car des liens insoupçonnés les unissent, liens que seul le lecteur pourra découvrir.
Pas de deus ex machina, pas de mélodrame : le secret n'est jamais dévoilé aux principales intéressées, juste soumis à l'intuition du lecteur.
Dans cette complicité avec l'auteure, on pourrait presque oublier la peinture sans concession d'une réalité sordide. le danger reste en toile de fond, le bruit des fusillades résonne derrière les fenêtres et la peur des représailles se fait moins anxiogène lorsque l'on est bien entourée. Pourtant les menaces sont réelles et pour les éloigner, solidarité et sororite semblent la solution : pour Alicia auprès des prostituées et pour Gris auprès de sa soeur.

Avec une généreuse touche d'empathie, Sylvia Aguilar Zéleny réussit trois beaux portraits de femmes. Mais, sans la moindre complaisance et sans misérabilisme, elle nous interroge sur cette société dans laquelle une partie de la population est contrainte de vivre des déchets de l'autre partie.
Commenter  J’apprécie          161
« Elle ne vendait jamais ce qu'elle trouvait, elle gardait tout pour nous. Presque toutes nos affaires venaient des placards de ses employeurs ou de la décharge municipale. On vivait des autres. Oui, monsieur, déjà à l'époque, je vivais des restes des autres. Moi aussi d'ailleurs, j'étais un reste des autres. » (p.17)
A Ciudad Juarez, à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, des femmes, souvent toutes jeunes et travaillant dans les maquiladoras (les gigantesques manufactures où l'on fabrique grâce à cette main-d'oeuvre très bon marché les vêtements pour les besoins du voisin yankee), disparaissent, froidement torturées et assassinées. Et leurs cadavres, pour beaucoup, finissent dans cet autre lieu symbolique de la ville, une énorme décharge à ciel ouvert, où vivent et travaillent des milliers de personnes, souvent des enfants, gagnant chichement leur vie en triant et revendant les déchets, sous la férule d'un chef aux allures de caïd mafieux, don Chepe. C'est dans le décor de cette « poubelle » géante et du quartier alentours, dans cette atmosphère de violence sourde et de cruauté, que vont se nouer les relations entre les trois protagonistes de l'histoire, Alicia l'orpheline, qui est née dans la décharge et s'est éduquée à son école, la Grande Reyna, qui gère une maison close et organise la prostitution de ses résidentes dans les rues de ses environs, et Gris, une doctoresse américaine qui participe à une étude sur les comportements sociaux et les conséquences sanitaires de l'existence dans cette cour des miracles du déchet. Chacune d'entre elles, entourée pourtant par les compagnons de misère de la décharge, les putes et le barman Javier pour la mère maquerelle, ou, pour la troisième, une tante vieillissante et un peu encombrante et une soeur toujours soucieuse de son état, se bat dans les méandres de la solitude pour trouver meilleure place au monde, refuser l'étouffement auquel son existence semble la condamner. Quand leurs chemins se croisent, l'horizon lugubre de la « poubelle » s'éclaire… La vraie réussite de Sylvia Aguilar Zéleny est de donner à ces trois personnages et aux quelques autres femmes qui les entourent une personnalité et une voix puissantes, accompagnant leur lutte courageuse contre des charges matérielles et mentales insupportables, avec une vraie empathie, une verve joyeuse dans les dialogues, un sens profond de la sororité qui les rapproche. Et beaucoup de tendresse pour évoquer leur inextinguible soif de liberté… le livre refermé, Alicia, Reyna, Gris, on sait qu'on ne les oubliera pas de sitôt, pris dans les charmes de leur histoire !
Commenter  J’apprécie          30
Dans l'une des villes réputées les plus dangereuses du Mexique, des destins de femmes se tissent et parfois se croisent....Il y a Alicia, qui vit sur la décharge en cherchant du métal, et en dirigeant plus ou moins d'autres déshéritées comme elle qui ramassent certains plastiques, il y a Gris, Griselda, qui vit de l'autre côté de la frontière et étudie les enjeux d'un point de vue santé et société de cette décharge géante, et enfin il y a cette prostituée vieillissante, née homme et qui s'est réinventée en mère maquerelle protectrice, tout près de la décharge...
Je trouvais le thème intéressant, j'étais prête à me sentir mal à l'aise, à dévorer ce livre, mais hélas, je l'ai surtout trouvé horriblement verbeux et j'avoue quelques difficultés à arriver au bout !
C'est une question de style, et celui-ci n'était pas pour moi. Cela ne veut pas dire que ce livre n'a pas ses qualités, et heureusement que la littérature met le doigt là où ça fait mal et nous rappelle que notre monde confortable est construit sur de terribles inégalités....J'espère que ce livre trouvera son public.
Commenter  J’apprécie          70
À Ciudad Juárez, au Mexique, juste à côté de la frontière et en face de la ville d'El Paso, il y a une décharge. Trois femmes évoluent plus ou moins près de cette décharge, avec des vies plus ou moins faciles et des façons de voir le monde très différentes.

Le livre se lit vite mais je l'ai trouvé un peu poussif jusqu'au dernier tiers ou les histoires des trois femmes commencent à se toucher, et là je l'ai dévoré pour savoir comment ça se termine.
Commenter  J’apprécie          30


critiques presse (1)
LeMonde
19 juin 2023
L’écrivaine entretisse les destins de trois femmes frappées par les épreuves de part et d’autre du Rio Grande.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Ce jour-là, il y avait plus de brouillard que d’habitude. Le brouillard, c’est ce qu’il reste dans l’air quand les camions sont passés balancer leurs ordures et ont roulé sur la poubelle. Plus que du brouillard, d’ailleurs, c’est de la poussière, une couche de poussière que parfois on ne sent pas du tout et qui, d’autres fois, pique les yeux. Ce jour-là, le brouillard piquait un max, ça grattait et tout et tout . Les camions sont partis et je n’avais pas envie d’attendre les suivants. J’étais sur le point de rentrer à la baraque quand je l’ai aperçu. Il était par terre, enroulé dans une couverture, comme tous les corps qui apparaissent ici de bon matin. Au début, je ne pensais pas aller voir, s’il y a bien quelque chose qu’on sait dans la décharge, c’est qu’il vaut mieux laisser les morts là où ils sont. Mais j’ai entendu un autre camion arriver, il se rapprochait lentement et le corps a commencé à bouger. Il a secoué la couverture. Il s’est découvert. Il a fait un effort pour se lever. Je l’ai reconnu à cause des cheveux blancs, mêlés aux gris et aux noirs, accrochés en petite queue-de-cheval sur sa nuque. J’ai couru l’aider, je me suis dépêchée. Coup de bol, le camion a vidé sa putain de charge un peu plus loin, sinon, adios don Chepe, il serait mort de chez mort. C’est déjà arrivé à un gamin, à une femme, et à un mec de mon âge aussi. La vérité, c’est que ça arrive à tous les gens trop cons pour savoir se placer correctement quand le camion décharge sa cascade d’ordures.
Des novices, quoi.
Commenter  J’apprécie          140
Chela habitait dans un autre quartier, pas loin d’ici. Elle était femme au foyer. Son mari subvenait aux besoins de la famille, jusqu’à ce qu’un jour il ne revienne pas de la maquiladora, l’usine où il travaillait. Elle a d’abord signalé sa disparition, puis est allée interroger les gens de l’usine, mais elle a fini par comprendre qu’elle ne le retrouverait pas et qu’elle risquait plutôt de mettre en danger ses enfants, alors elle a arrêté de poser des questions. Elle a travaillé dans une boucherie, puis dans un supermarché, jusqu’à ce qu’elle rencontre Alicia, qui l’a emmenée à la décharge : « Pour moi, la poubelle, c’est comme de l’argent. Ca ne me dégoûte même plus, vous voyez, je viens même avec mes gosses quand ils n’ont pas école, parce qu’ensemble on ramasse plus de trucs. Tout ce que vous voyez, ce n’est pas de la poubelle, c’est de la nourriture, c’est une maison, c’est des vêtements, c’est des meubles, c’est la vie. La misère est galopante, mais ici on peut s’en sortir.
Commenter  J’apprécie          20
Tous les chiens qui sont arrivés après, je ne leur ai plus jamais donné de nom. Les chiens, maintenant, ils s’appellent juste les chiens. C’est plus facile quand ils n’ont pas de nom. S’il y a une chose que j’ai apprise, c’est que parfois il vaut mieux qu’ils n’aient pas de nom, parce que quand tu les appelles et qu’ils ne viennent pas, tu t’en fous. Les chiens, ils finissent toujours par revenir, mais je sais qu’un jour non, un jour ils ne reviendront pas, un jour je vais les trouver les tripes à l’air, écrasés par un pneu de camion ou tout gonflés après avoir bouffé un mauvais truc. Et tant pis, c’est comme ça, avec les chiens, ils vont et viennent. Y en a toujours un autre qui arrive et c’est comme si c’était le même chien. Si tu l’appelles « chien » et c’est tout, tu t’en fous que ce soit un autre et pas celui qui te suivait depuis des mois.
Les chiens sans nom sont ma seule famille.
Commenter  J’apprécie          20
Les fringues, je n’en avais pas grand-chose à faire, je préférais quand elle rapportait des livres. Elles les ont déjà lus, elle disait. Et moi, j’étais contente parce que, dans les livres, il y avait des fées, des crapauds enchantés, des lapins ou des montres. Je t’ai rapporté des jouets, elle disait aussi, regarde-moi ça, on dirait qu’elles n’y ont jamais touché. Les jouets, c’était pas vraiment des jouets, c’était plutôt des jeux de société à jouer à plusieurs, des casse-tête, des puzzles très difficiles à faire sans aide. Alors que les livres, eux, ils n’avaient besoin que de moi. Je pouvais les lire toute seule.
(p.12)
Commenter  J’apprécie          40

autres livres classés : littérature mexicaineVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus

Lecteurs (46) Voir plus



Quiz Voir plus

Les classiques de la littérature sud-américaine

Quel est l'écrivain colombien associé au "réalisme magique"

Gabriel Garcia Marquez
Luis Sepulveda
Alvaro Mutis
Santiago Gamboa

10 questions
371 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature sud-américaine , latino-américain , amérique du sudCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..