Chacun sait que ce livre a fait l'objet d'un film de
Walter Hill resté culte en 1978 (avec une affiche qui en jette). La comparaison est donc passionnante. Autant le film est une chouette BD au regard distancié (action très rythmée, montage haletant, costumes esthétisants), autant le livre frappe par l'abolition de toute distanciation et le parti-pris de se placer dans la tête des personnages du gang principal sans positionnement moral.
Sol Yurick a été travailleur social; il a connu les garçon dont il décrit la psyché. Il sait de quoi il parle. S'ajoute une tendance de l'époque (1965) à montrer sans fard la réalité sociale new-yorkaise, l'horreur de la violence et la crudité du sexe ainsi qu'avaient pu le faire également
James Léo Herlihy (Midnight cow-boy) ou
Hubert Selby jr (Last exit on Brooklyn). Les héros du livre , même s'ils se réfèrent à des valeurs nobles qui tiennent lieu de refuge à leur perdition sociale (sens de la "famille" du gang, fraternité, courage, honneur) sont sans repères, sans limites, et tombent volontiers dans le versant obscur de ces valeurs (soumission à l'effet de groupe, complexes envers les autres, roueries et bravacheries) jusqu'à une animalité qui , impromptue, choque le lecteur : meurtre collectif gratuit d'un passant, ainsi que deux viols, le tout sur plusieurs pages...
On obtient donc un roman assez dépouillé retraçant une odyssée nocturne du Bronx à Coney Island infiniment réaliste donc nettement moins échevelée que celle du film ( le gourou des gangs y est assassiné par un électron libre qui accuse les warriors du meurtre, d'où un voyage compliqué par une chasse à l'homme et des bastons ) et où Walter Hil avait introduit les éléments de littérature grecque classique servant de base au livre : choeur antique (cette étrange DJ dont on ne voit que les lèvres qui relate aux gangs les faits et gestes des warriors), costumes stylisés, noms grecs.. Un arrière fond classique (L'anabase) qu'on peine quelque peu à trouver dans le, livre, il faut le dire.
Et la littérature dans tout ça? Si les errances du gang manquent de noeuds dramatiques (il doivent surtout lutter contre leurs propres peurs, pulsions et chimères), il s'agit surtout d'un livre d'ambiance, avec de beaux moments très maitrisés en dépit des obstacles graphiques que s'est assigné l'auteur: la réunion fantomatique des gangs de la ville dans le parc totalement obscur du Bronx et la panique qui s'ensuit, une traversée terrifiante de tunnel de métro entre deux stations, l'errance de Hinton dans un Broadway nocturne arrosé de néons et de vice, le triste retour dans le taudis familial au petit matin. Ce sont ces moments à mon avis (de vrais démonstrations d'écriture) qui transforment l'anecdote urbaine en épopée.
A noter (outre un texte introductif inutile de
Walter Hill) le passionnant texte de
Sol Yurick sur la genèse du roman, suivie d'une analyse comparative très maligne des deux oeuvres.