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EAN : 9782380720853
400 pages
Kime (18/11/2022)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
Entre impensé et injustice épistémique
Talal Asad : Anthropologie et affrontement colonial
Sonia Dayan-Herzbrun : Indiscipliner la connaissance. Pour une nouvelle géographie de la raison
Joseph Tonda : L’étrange objet des sciences sociales africaines et africanistes. L’abstraction au cœur des ténèbres
Mouhamadou El Hady Ba : Science et injustice épistémique. Le cas Cheikh Anta Diop
Malek Bouyahia : L’a... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Redonner de la lumière à celles et ceux que le colonialisme avait cherché à effacer

Je souligne certains éléments présents dans la présentation du numéro, les rapports entre anthropologie et impérialisme, le livre d'Edward Said L'orientalisme, « ce lien entre culture au sens large, englobant les sciences sociales, et domination coloniale, dans les interstices, les implicites, les métaphores, les non-dits, les impensés », le « vrai » savoir et la négation de la politique, « Or l'hypothèse que nous formulons ici est que ce qui se formule et se présente comme science(s) et procède d'un mode particulier et clairement identifié de rationalisation peut servir de masque et de justification à la domination, en particulier la domination coloniale ». Il ne faut oublier que la « science » a été appelée « à l'aide de la mise en place du sytème de la traite ». J'ajoute les usages nombreux de la science pour justifier la place subalterne des femmes, pour naturaliser des constructions sociales, pour rendre acceptable les dominations et les rapports de pouvoir.

Sont aussi abordés, le déni d'histoire de certaines populations, en particulier en Afrique (de Eugène Guernier à Nicolas Sarkozy), la colonialité et le savoir soi-disant objectif, « Nous avons souhaité rendre pleinement visible ce lien encore largement dénié entre colonie et sciences sociales telles qu'elles se sont constituées en Europe à partir du dix-neuvième siècle quand un seul mode de connaissance s'est donné comme le seul véritable savoir à légitimité incontestable », le statut et la condition d'« indigène », le contrat social comme contrat racial, le droit et son inaccessibilité, « l'inaccessibilité du droit pour les sujets coloniaux demeure un soubassement impensé de décisions juridiques actuelles », la loi de séparation de l'Eglises et de l'Etat et sa non application entre autres en Algérie colonisée, les mémoire enfouies et les conceptions de la citoyenneté, la fabrication d'une image de l'islam incompatible avec la démocratie, l'anthropologie, le fétichisme « de la méthode et de la scientificité », la notion d'« injustice épistémique », les apports des dominé·es et de leurs révoltes, « instauration d'une pédagogie du common sense mobilisant l'épistémologie et l'ontologie des autochtones »…

Sommaire :
Entre impensé et injustice épistémique
Talal Asad : Anthropologie et affrontement colonial
Sonia Dayan-Herzbrun : Indiscipliner la connaissance. Pour une nouvelle géographie de la raison
Joseph Tonda : L'étrange objet des sciences sociales africaines et africanistes. L'abstraction au coeur des ténèbres
Mouhamadou El Hady Ba : Science et injustice épistémique. le cas Cheikh Anta Diop
Malek Bouyahia  : L'avenant colonial au contrat social
Pauline Vermeren  :Politique et action politique. Pour un renversement et un déplacement philosophique
Territoires
Aïssa Kadri  :Pierre Bourdieu. le temps de l'Algérie
Daho Djerbal : du sujet colonial au sujet émancipé. le cinéma algérien au défi de son indépendance
Muriam Haleh Davis : La planification économique comme « savoir racial » pendant la guerre d'Algérie
Hocine Zeghbib : Droit et culte musulman dans l'Algérie coloniale
Salim Chena : Critique de la critique du hirak. Ou comment réifier la citoyenneté des Algérien.ne.s
Disciplines
Sayan Dey : Pagogy of common sense
Elizabeth F. Thompson : Manufacturing memory. The colonial construction of Islam against democracy
Jaime Ortega y Victor Hugo Pacheco : le développement comme catégorie coloniale
Bernadette Saou-Dufrêne : Impensé patrimonial et régimes d'historicité. Les monuments d'Alger
Magobo Percy More : « Post-apartheid » dominant colonial human sciences
Mohamed Sadoun : Impensé colonial. Les relations entre l'administration et le public

Je ne saurais rendre compte de l'ensemble des articles, ni même des analyses les plus importantes. Que des chercheurs et des chercheuses en sciences sociales n'interrogent pas la matrice coloniale de leurs disciplines – les sciences ont une histoire et une histoire institutionnelle -, comme d'autres (ou les mêmes) ne se préoccupent pas des effets des rapports de domination (dont le genre, la classe, la « race », la génération) dans leurs domaines et dans la manière de mener leurs études, qu'iels ne fassent ni l'effort de réflexivité ni celui d'interroger leur point de vue (forcément situé) ne manque pas encore et encore de m'étonner. le neutre scientifique, masque bien commode et déni d'historicité et des effets des rapports sociaux, n'est pourtant qu'un mauvais maquillage. Les impensés entravent la connaissance. Vivent donc les indisciplines, les autres géographies de la raison, les déplacements philosophiques, les nouveaux fondements épistémiques, les autres couleurs de l'abstraction, et bien sûr les irruptions des dominé·es…

Comme il n'y a pas d'un coté la République et de l'autre la colonisation, il n'y a pas d'un coté les sciences et de l'autre cette même colonisation – et cela reste valable pour l'ensemble des rapports de pouvoir.

Dans les espaces d'auto-détermination, dans les « attentes nationalistes », dans les insurrections des peuples dominés, se (re)construit une « histoire indigène ». Les structures de pouvoir oubliées par les définitions et les pratiques « scientistes » doivent être en permanence interrogées ; l'assujettissement et l'objectivivation des peuples non-européens explorées, le soi-disant non-politique des sciences réapproprié comme un « fait profondément politique ». Faire oeuvre scientifique oblique à analyser « les contradictions intrinsèques du pouvoir et des intérêts matériels ».

J'ai particulièrement apprécié le texte de Sonia Dayan-Herzbrun : Indiscipliner la connaissance. Pour une nouvelle géographie de la raison. L'autrice aborde, entre autres, la colonialité, la face cachée du développement capitaliste, « elle était également porteuse de déshumanisation, de destruction et de mort », les effets de l'« expansion infinie » et son versant complémentaire (clôture, catégorie, délimitation, enfermement), la modernité bourgeoise et les femmes privées de droits et de libertés, la sécularisation, « C'est la société qui fait l'humanité », les savoirs sur les faits sociaux et les sociétés disciplinarisées.

Elle aborde la structure du pouvoir colonial, celles et ceux écarté es du savoir, l'absence de réflexivité, les processus de dévalorisation de groupes humains, les géographies coloniales et ses calcifications dans la colonialité, la cartographie orientée du monde, une certaine géographie de « la raison », l'eurocentrisme et la critique euro-centrée, « La subalternité et donc les « subalternes » sont par ailleurs toujours définis à partir de la position du dominant ».

Sonia Dayan-Herzbrun propose d'indiscipliner la connaissance, d'imaginer « des contre-lieux, comme une mangrove épistémique », de réconcilier connaissance et transformation du monde, de réintroduire la dimension de l'expérience, « L'universalisation, ou plutôt la montée en universel, l'universel comme horizon mais jamais comme donné, n'est possible qu'à partir d'un ancrage dans l'expérience à la fois individuelle et commune, destinée au partage dans une réciprocité des je et des nous ».

Aux enquêteurs et enquêtrices de découvrir ce qu'iels projetaient sur leur objet avant même toute étude, d'interroger le monde commun mais non homogène, « Il est pluriel, bariolé, riche de ses différences et de ses aspérités », d'articuler « la connaissance à un projet explicitement politique d'émancipation puis de libération ».

L'autrice aborde aussi l'essentialisation des populations non-européennes, considérées comme « sans histoire et sans parole propre », la théorie critique « comme critique d'elle même », le genre, « Reste la dimension du genre qui exige aussi toute une entreprise de déconstruction, de mise en lumière et de ré-élaboration », l'alliance de la rigueur et de l'imagination, le geste politique « vers la libération qui reste toujours l'horizon utopique (mais non irréaliste) de la connaissance »…

D'autres textes, d'autres interrogations, d'autres analyses, l'abstraction au coeur des ténèbres, les normes dans l'oubli de leurs histoires et de leurs ancrages, le fétiche et les réalités idéologiques, les hallucinations, les déterminations sociaux de nos connaissances, « toute connaissance est produite par des acteurs inscrits dans un réseau de relations sociales généralement hiérarchisées », l'injustice épistémique, les sciences entre conjectures et réfutations…

Je souligne l'article de Malek Bouyahia : L'avenant colonial au contrat social. le rappel au livre de Carole Patemanle contrat sexuel (En complément possible, la préface de Geneviève Fraisse,https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2016/01/03/a-rebours-preface-de-genevieve-fraisse-a-louvrage-de-carole-pateman-le-contrat-sexuel-1988/ et ma note de lecture,https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2013/01/07/le-contrat-sexuel-est-une-dimension-refoulee-de-la-theorie-du-contrat/ ; les dominations de groupes et l'imposition d'un « ‘Nous' universel factice au détriment de minorisé·e·s relégué·e·s à la périphérie » ; la fiction du « contrat social » ; les lectures coloniales du contrat social, « la production de l'indigénité en tant qu'identité réelle et oppressive » ; le code de l'indigénat et l'institutionnalisation de la « différence raciale » (en complément possible, Olivier le Cour Grandmaison : L'indigénat. Anatomie d'un « monstre » juridique : le droit colonial en Algérie et dans l'empire français, https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2010/09/02/caractere-exorbitant-du-droit-colonial-et-monuments-du-racisme-detat/) ; la notion d'enfermement au-delà des pénitenciers, les contradictions ou le caractère faussé d'une certaine modernité…

L'Etat-nation reconfigure des divisions nationalistes et identitaires ; il nous faut repenser l'action politique et les conditions de la citoyenneté pour construire des communs, mettre « la politique à l'épreuve de l'étranger ». Il faut reconsidérer les moyens et les tensions de la politique afin que les exilé·es, les dominé·es, les opprimé·es, les exclu·es, les déshérité·es de l'histoire puissent être les acteurs et les actrices de cette même politique…

Quelques éléments choisi subjectivement dans la seconde partie ; Pierre Bourdieu et l'Algérie, la sociologie en temps de guerre, les représentations et les pratiques, le sujet colonial (je regrette l'absence d'analyse des femmes colonisées, la matrice coloniale du pouvoir, redevenir la/le sujet de « sa propre humanité », les effets à long terme des structures de domination, les explications culturalistes, la catégorie « musulman », le refus d'application de la Loi de 1905 dans les territoires colonisés, la fiction d'une continuité territoriale, l'instauration d'un régime dérogatoire, la maintien des cultes musulmans en « liberté surveillée »…

J'ai notamment apprécié l'article de Qalim Chena Critique de la critique du hirak, la réification de la citoyenneté des Algérien·nes, le processus de chosification privant les acteurs et les actrices du hirak « d'autonomie et de réflexivité », les discours de négation, le procès en incompétence ou en inauthenticité, le refus de prendre en compte les divisions sociales, l'invention de « main invisible », l'injonction d'un certain « patriotisme », la logique manichéenne et essentialisante encadrant « la définition et l'ordonnancement des catégories d'intelligibilité du politique et de la citoyenneté en Algérie », la construction socio-politique de l'éternel indigène, le peuple comme paria, les rappel « de et à l'ordre », ceux qui diraient la vérité et la masse de celles et ceux reléguée·es au rang d'incompétent·tes, les angles morts d'une certaine narration. L'auteur termine sur les potentialités, « ouvrir les fenêtres plutôt que fermer les portes »… Comme à chaque protestation ou révolte, les éditocrates donnent des brevets de légitimité et d'illégitimité, ici en Algérie, ailleurs à propos de #MeToo ou du refus de la contre-réforme des retraites en France. Un constante pour les auto-proclamé·es élites : le caractère insupportable des insurrections des dominé·es et des exploité·es…

Je laisse de coté les textes en langue anglaise (par incompétence linguistique) ouvrant la troisième partie de la revue pour signaler quelques points, la notion de développement comme catégorie coloniale, « la théorie du développement était ancrée dans une perspective ne prenant pas en compte la diversité culturelle ; la pluralité nationale, les différentes temporalités d'une société bigarrée », la notion de progrès et les visions linéaires des sociétés humaines, le « sous-développement » et l'échange inégal, le développement du « sous-développement », les rapports entre « centres » et « périphéries », les impensés coloniaux, les régimes d'historicité, la propagande et les espaces publics, l'arraisonnement de l'histoire culturelle, les relations entre les administrations et le public dans un contexte colonial et les effets sur le plus long terme, « En définitive, inaccessibilité du droit pour les sujets coloniaux, lois cristallisant un rapport de force politique défavorable aux sujets coloniaux que l'administration se contente d'appliquer, et manque d'audace des juridictions pour défendre les droits fondamentaux des memes populations – l'héritage perdure » (Mohamed Sadoun)…

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« Mettre au jour l'impensé colonial c'est aussi une façon d'affirmer qu'une décolonisation du savoir est possible et qu'il faut maintenant s'aventurer sur cette voie »
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Mettre au jour l’impensé colonial c’est aussi une façon d’affirmer qu’une décolonisation du savoir est possible et qu’il faut maintenant s’aventurer sur cette voie
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