Je connaissais un peu
Chimanda Ngozi Adichie pour son engagement féministe, et j'ai voulu découvrir son oeuvre romanesque. Et c'est effectivement le portrait d'une femme, Ifemelu, qui lutte contre une société - ou plutôt deux - où son genre, sa couleur de peau, sa pauvreté relative d'origine, son accent, et même sa coiffure sont des obstacles à sa volonté de vivre. Car tout se mêle, sexisme, racisme et lutte des classes. Elle doit donc lutter contre le racisme, le patriarcat et un mépris de classe des plus riches attachés à leurs privilèges. Ifemelu est donc vue comme une femme de ménage, comme une sorcière vaudou, comme une créature avide de sexe, comme une caution "la meilleure amie noire" des Américains voulant prouver qu'ils ne sont pas racistes, comme une mégère furieuse... On lui accole tous les clichés, et sa personnalité disparaît.
Mais plus généralement, toutes les femmes de ce roman doivent se battre pour survivre dans un monde où elles ne sont pas considérées ; certaines y parviennent en se prostituant à des hommes plus vieux et plus riches - même si le mot n'est pas dit tel quel dans sa trivialité, d'autres oublient leurs ambitions intellectuelles pour reporter leurs rêves sur leurs enfants, d'autres quittent tout pour recommencer à zéro à l'étranger pour espérer que leur valeur scientifique soit reconnue... Oui, toutes les femmes, les Noires plus encore que les Blanches, doivent se battre, et même leur poids et leur coiffure deviennent politiques. A côté, les personnages masculins sont tous bien falots, y compris Obinze - je me suis demandée tout le roman ce que Ifemelu pouvait lui retrouver. Il y a d'ailleurs un certain renversement des genres, Obinze aime la poésie, est calme et réfléchi, proche de sa famille, tandis que Ifemelu est impulsive, parle fort...
Un roman intéressant pour ses personnages, pour sa vision moderne du Nigéria contemporain en pleine transformation, et pour ses problématiques intéressantes, bien dans la lignée de la pensée intersectionnelle, mais sans que ce soit un roman "à thèse". Les passages plus théoriques, les extraits de blog de l'héroïne, ne sont ainsi pas lourds ni scientifiques, mais au contraire, pleins d'humour.