Moi, Ota, rivière d'Hiroshima / Les Carrés Classiques

Nous rencontrons l'auteur et dramaturge Jean-Claude Alègre au mois de mars avec nos classes de 3eme. Ma collègue me dépose le carré Nathan sur le bureau. « C'est avec ce texte que l'on va introduire la rencontre avec les élèves. Je te le passe pour que tu le lises. »
Drôle de rencontre avec un dramaturge dont on lit la pièce au lieu de la voir. Je suis une inconditionnelle du théâtre, sous toutes ses formes et je DÉTESTE lire une pièce de théâtre. J'ai besoin du « vivant » qui pour moi donne toute son âme à un texte écrit spécifiquement pour être joué. J'ai toujours le sentiment à la lecture ou relecture d'un Molière, Shakespeare et consorts qu'on a passé leurs oeuvres au fer à repasser bien chaud et que les voilà toutes plates, sans reliefs, sans faux plis. Bref, je suis bonne élève et fait avec application mes devoirs. le soir même, j'ouvre le livre ... pour ne le refermer qu'à la fin. C'est la première fois de ma longue vie de lectrice, que j'oublie le support et suis entraînée aussi fort dans ce drame où bruits, couleurs, odeurs s'invitent dans ma tête pour une mise en scène vivante, réelle et sensible de l'horreur du bombardement de la ville d'Hiroshima en août 1945. C'est la rivière Ota, légère et joyeuse qui raconte ce beau matin d'été où elle dévale les pentes du mont Kanmuri avec beaucoup de poésie. Elle raconte le ciel bleu, la chaude douceur des rayons du soleil, la vie qui égaie ses berges, les hommes, les femmes, les enfants qui s'activent auprès d'elle. le décor enchanteur est planté. On connait l'issue fatale. Tout cet étalage de beautés va être pulvérisé par un Little Boy qui n'a de petit que le nom. Jean-Paul Alègre réussit le tour de force de faire se rencontrer l'Histoire et la poésie dans ce texte. Conjointement au chuchotement de la rivière, on va être le témoin privilégié des minutes intensément tragiques qui précèdent la signature de l'ordre de bombardement nucléaire par le président Truman, seul dans son bureau ovale avec pour seul témoin son conseiller Vannevar Bush. Pour humaniser ces pages de la grande Histoire, Jean-Paul Alègre donne un visage aux victimes japonaises, celui de deux enfants, Akimitsu la grande soeur réfugiée à Hiroshima près de sa tante et Yoshi, le petit frère apprenti cordonnier à Tokyo. Ils échangent des lettres. La grande soeur y incite son petit frère à fuir la ville mitraillée par les avions américains pour la retrouver à la campagne où il sera à l'abri des affres de la guerre.
Je referme le livre bouleversée, émue, enrichie de poésie, d'émotions et de connaissances nouvelles, redécouvrant dans une autre dimension, colorée, sensible et vivante les étapes de cette atroce catastrophe humaine, clôture monstrueuse d'une guerre avide de morts et de drames. Un très, très beau texte à découvrir.