La maquette de la série du Troisième Testament est toujours aussi travaillée, avec des pages de gardes et une ligne générale maîtrisée. Une série dont l'harmonie fait plaisir dans la bibliothèque. Pour rappel, "Julius" est la série préquelle du Troisième Testament d'Alice et
Dorison, l'une des séries les plus acclamées et qui a lancé le genre de la BD historico-ésothérique (avec le Triangle secret , le Décalogue, le Scorpion et toute la ribambelle de séries sur l'histoire occulte de l'Eglise).
Julius est une série compliquée qui demande à son lecteur de la pugnacité. Pour expliquer cela je vais faire un petit rappel... Il y a vingt ans paraissait le premier tome d'une série qui allait révéler deux des auteurs parmi les plus réputés et influents aujourd'hui:
Alex Alice (Le château des étoiles, Siegfried,...) et
Xavier Dorison (Undertaker, Long John silver, Red Skin,...), deux autodidactes qui révolutionnaient le genre et permettaient à Glénat, éditeur connu pour ses BD historiques (Bourgeon par exemple) de moderniser son catalogue. Des dizaines de séries ont vu le jour suite à cette BD qui étale sa publication sur six ans en proposant un incroyable équilibre entre BD d'action, policière et BD historique, le tout inséré dans un scénario enchevêtré qui exige du lecteur de rester concentré. Tout cela directement inspiré bien entendu par le chef d'oeuvre le Nom de la Rose et surtout son adaptation au cinéma.
Sept ans après la fin de la première série qui se clôturait sur un dénouement impossible à anticiper et complexe quand à ses ramifications, les auteurs faisait sortir une série devant relater l'histoire de Julius de Samarie dont la légende est le point de départ du Troisième Testament. La subtilité des indices semés rendaient la série originelle exigeante mais celle-ci était très rythmée par l'action et les visuels épiques.
Le fait de changer complètement de décors (un général romain au visage de Marlon Brando...) est d'abord troublant pour un lecteur qui aurait lu la première série (je préconise d'ailleurs vivement de lire la totalité dans l'ordre de parution chronologique). Outre le changement de dessinateur au second tome (on gagne en qualité de dessin,
Montaigne étant vraiment talentueux), ce choix va diriger une progression scénaristique laborieuse que je ne m'explique que par le départ de
Dorison après la mise en route du premier tome. le talent de scénariste n'est pas donné à tout le monde et malgré la grande qualité de ses ouvrages solo, Alice n'est pas du niveau du scénariste d'Undertaker... Ainsi, si la progression du personnage principal de général romain avide et incroyant à celui de prophète est bien amenée, l'intrigue générale est cahoteuse: après un premier tome très construit et qui amène notamment les fameux guerriers corbeaux qui pimentent la série, l'on part dans un étonnant périple en deux volume (subdivision interne de Julius... pourquoi ?), ce qui coupe l'intrigue. Dans les deux derniers volumes, et notamment le volume 5 l'on a d'incessants va et viens à la fois géographiques et dans la relation et les choix de Julius et du Sar Ha Sarim. L'on a bien compris que la série était structurée autour de cette dualité par ailleurs très intéressante (sorte de trinité avec Julius âgé, sa fille son gendre: Père-Fille-Saint-esprit?). Mais soit par mauvais choix scénaristiques soit par hésitations, on sent des flottements qui rendent l'évolution d'autant plus laborieuse que toute l'histoire tourne autour de ces personnages. Et à la différence de la première série, assez peu d'action vient finalement dynamiser cela et surtout la dimension fantastique est pratiquement absente jusqu'au dernier tome alors que les interventions du sénateur Modius, versé dans les arts noirs, était un des points forts du premier album... le questionnement autour de l'identité du Sar Ha Sarim, du rôle divin de Julius, sont complexes, et jamais aucun élément ne viendra expliquer l'origine des guerrier-corbeaux, ce qui sera une des rares fautes du scénario, laissant une des grandes questions de la série totalement inexpliquée...
Malgré toutes ces réserves, qui me faisaient craindre l'album de clôture, Julius reste une série unique, ambitieuse et assez fondamentale pour finir de comprendre la série mère. le tome cinq nous amène à ce titre une conclusion très digne (toujours bringuebalant dans sa construction mais ramenant enfin ce fantastique et ce côté épique tant aimés). Construit autour du siège de Jérusalem par les armées romaines puis par les armées d'hommes corbeaux, il resserre l'intrigue comme un drame de théâtre en un lieu unique où tous les personnages vont converger. Tout se dénoue et à ce titre la série garde une grande cohérence générale. Les scènes de bataille apocalyptiques sont belles et bien faites, on a de l'héroïsme, bref, c'est chouette. Graphiquement c'est majestueux, encré, et très lisible ; la série aura permis de révéler un artiste très talentueux qui devrait compter à l'avenir. La maîtrise des plans impressionnants, de la zone grise entre le magique divin et l'historique cartésien sont vraiment bien gérés. de même les personnages sont subtiles et tous intéressants, même s'il aura été compliqué tout au long de la série de savoir quels personnages étaient importants: paradoxalement le plus visible, le colosse Shem n'est finalement qu'un acolyte mineur... Les failles principales sont les grosses ficelles (Julius rentre dans Jérusalem assiégée comme dans un moulin et en ressort aussi tranquillement) et le découpage des albums et de la série (le voyage en orient, pour intéressant qu'il soit nécessitait-il deux tomes?). Je dirais que chaque volume individuellement est remarquable, que la série rejoint et explique la série mère, mais qu'en tant que série elle reste assez bancale dans sa construction. Je pense que ceux qui auront aimé le Troisième Testament devraient lire Julius d'une traite et y trouveront grand plaisir, mais les cinq tomes de Julius pris isolements restent dispensables.
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