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sur 1085 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Si l'on ne connait rien de l'histoire de l'auteur ni de la genèse de l'écriture, c'est une belle éducation sentimentale que l'on découvre, celle de Fazil, étudiant fauché et déclassé qui tombe amoureux de deux femmes rencontrées lors du tournage d'une émission télévisée dans lesquelles ils sont figurants. Deux femmes opposées polaires : la puissamment sensuelle Mme Hayat, quinquagénaire et la cérébrale Sila étudiante en lettres comme lui. le récit se déploie avec un classicisme élégant presque dix-neuvièmiste autour d'une histoire d'amour pleine de volupté et de romantisme. Sans doute un peu déjà lu s'il n'y avait Mme Hayat, le plus époustouflant personnage féminin lu depuis longtemps. Elle existe sans recours à une quelconque psychologie, dans un mystère superbe, juste par la grâce de la description de sa gestuelle lorsqu'elle mange, se vêtit, danse ou marche.

Si l'on sait que ce roman a été écrit durant les presque cinq ans d'emprisonnement d'Ahmet Altan, accusé d'avoir soutenu le coup d'état militaire manqué de juillet 2016 contre Recep Tayyip Erdoğan, le texte prend une dimension absolument bouleversante. Une telle lumière, une telle beauté s'en dégage qu'on ne peut croire qu'il est né dans des conditions inimaginables de détention.

Bien loin du roman engagé politique lourdaud, derrière ses ressorts classiques, il avance avec une subtilité d'une rare intelligence. Les deux femmes qu'aime le narrateur sont les deux visages de la Turquie progressiste contemporaine : Sila et son envie de fuir, Madame Hayat et sa joie de vivre malgré tout, elle qui a conscience de l'absurdité de l'existence mais ne veut renoncer à jouir, entre désinvolture assumée et sagesse sensuelle.

« J'en sais bien plus long que tu n'imagines sur la vie et ses réalités, comme tu dis. Je sais ce que c'est que la pauvreté, la mort, le chagrin, le désespoir. Je sais que nous vivons sur une planète où des fleurs graciles décorent les insectes qui se posent sur elles. Je sais que depuis des milliers d'années les hommes se font du mal, qu'ils volent et en spolient d'autres, qu'ils s'entretuent. Je connais réellement la vie. Et comme tout  le monde, je mange son miel empoisonné. le poison je l'avale, le miel je le savoure. Tu peux gémir autant que tu veux, tu peux redouter autant que tu veux ce miel empoisonné, ni la peur ni les gémissements ne détruiront le poison. Tu ne réussiras qu'à tuer le gout du miel. Les réalités de l'existence, je les connais, seulement je ne m'y arrête pas. S'il faut boire le poison je le bois, mais les conséquences ne m'intéressent pas. Parce que je sais qu'enfin il s'agit de mourir ... »

Comment continuer à vivre dans un pays soumis à la dictature, à la répression et à l'arbitraire, où on peut tout perdre du jour au lendemain et être roué de coups par des barbus armés de bâtons ? Chaque personnage a sa solution. Pour Fazil, ce sera le refuge des livres. On sent toutes les vibrations de l'auteur à parler de littérature comme un espace de liberté. Il convoque toute la bibliothèque rêvée à laquelle il n'a pas eu accès durant sa détention, de Shakespeare à Flaubert, en passant par Miller et Woolf.

Madame Hayat est une formidable tentative d'évasion par les mots. Même lorsque le corps devient esclave, l'esprit demeure libre. Même lorsque l'étau se resserre sur Fazil, il a encore la possibilité de faire un choix. Les dernières pages répondent à l'hésitation du jeune homme entre ces deux femmes, les aspirations qu'elles représentent et l'action qu'elles appellent. Et c'est sublime de voir comment l'auteur fait grandir son personnage, terriblement émouvant de découvrir son choix final, comme un hymne à la vie et à la liberté.
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Quel formidable roman d'amour et d'apprentissage! Un hymne à la liberté et à la littérature. C'est du fond de sa cellule à Istanbul que l'auteur Ahmet Altan, alors prisonnier politique, trouve l'inspiration pour créer de sa plume salvatrice une femme extraordinaire et flamboyante, allégorie de la liberté : Madame Hayat . Vu le magnifique portrait qu'il en fait elle a du lui apparaître dans sa geôle comme elle apparaîtra au jeune Fazil, le narrateur, et au lecteur, de manière archangélique dans un halo d'or aux nuances d'Ambre. Apres la ruine et la mort de son père, Fazil, déclassé socialement, part faire des études de littérature. Il loue une chambre dans un immeuble, sorte d'auberge espagnole, aux colocataires bien singuliers mais solidaires et se heurte à la réalité du régime autoritaire et arbitraire turc. C'est dans un studio de télévision souterrain qu'il voit la plantureuse Mme Hayat, figurante, se trémousser allègrement devant les caméras. Il est subjugué par cette femme d'âge mûr aux cheveux feu et or, à la robe couleur de miel, au parfum de lys, au rire ravageur et aux rondeurs exhibées. Désinvolte, généreuse, secrète, elle l'initie aux plaisirs et changera sa conception de la vie avec authenticité, simplicité, sensualité et joie de vivre dans un contexte politique pourtant tendu et répressif. Tout les oppose mais ils sont liés corps et âme. Il est passionné de littérature, elle a l'intelligence de la vie. « Madame Hayat était libre. Sans compromis ni révolte. Libre seulement par désintérêt, par quiétude, et à chacun de nos frôlements, sa liberté devenait la mienne ». Elle provoque chez lui une ambivalence affective entre désir et éloignement, fascination et honte, déni d'amour et passion. Puis vient la rencontre avec Sila jeune étudiante avec qui il a de nombreuses similitudes, l'antithèse de madame Hayat. Désordre émotionnel. Attaché profondément aux deux, prisonnier de ses deux désirs, il s'égare dans la confusion des sentiments. Ce roman d'une grande justesse, empli de belles réflexions sur la vie, le hasard et les clichés, prend aux tripes et on le referme sur une fin sublime avec ce sentiment oppressant ressenti tant de fois par Fazil : le manque.
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Fazıl, le narrateur, est étudiant en lettres lorsqu'il rencontre Madame Hayat. Tous deux font de la figuration dans un studio de télévision. S'il devait lui donner un âge, il dirait qu'elle doit avoir une cinquantaine d'années. Ils n'ont, de prime abord, rien en commun. Madame Hayat ne lit pas, elle ne regarde que des documentaires. C'est une femme libre, d'une « désinvolture comique et souveraine […] Elle était la personne la plus extraordinaire, la plus fascinante que j'ai rencontrée dans ma vie ».
Devenu boursier après le décès de son père, Fazıl loue une chambre dans un vieil immeuble peuplé d'étudiants pauvres, de travestis, d'êtres fragilisés par le chômage, la montée des prix et les rafles de la police. le quotidien s'assombrit, les bastonnades se multiplient. « Costauds, barbus, armés de bâtons […] Les divertissements de toutes sortes, et quiconque ne leur ressemblait pas, récoltaient leur haine ». (...)
Un an pour grandir, mûrir, vivre deux amours, celui de Madame Hayat et de Sila, découvrir la pauvreté, « la colère, la peur, le désir de revanche, la jalousie, la volupté, la tromperie, le regret. »
« le poids de ce que j'avais vu, appris, vécu, pesait parfois si lourd que je me sentais épuisé comme un vieillard. Je n'arrivais à concevoir ni les actes des hommes ni le silence de la société, je ne pouvais plus vraiment comprendre les vivants. […] Alors j'allais à la bibliothèque lire des romans […] mais dès que le roman était refermé je retournais à l'artificialité d'un monde sans issue, parmi des hommes que je ne comprenais pas ».
« C'est en marchant dans la cour de ma cellule, pendant des heures, que j'ai créé Madame Hayat. Je suis amoureux d'elle ! », confie l'auteur turc, qui a passé de nombreuses années en prison, dans une interview au Monde.
En donnant vie à cette femme libre et flamboyante, consciente de l'absurdité du monde, et à ce jeune étudiant désenchanté, épris de lettres, Ahmet Altan nous rappelle à quel point la littérature est une résistance, d'où que vienne l'arbitraire.
Elisabeth Dong pour Double Marge (extrait)
Lien : https://doublemarge.com/mada..
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"Ce n'est pas l'histoire, mais l'art qui exprime la vraie vie."
Friedrich Nietzsche

Qu'il est difficile de trouver les mots justes pour saisir une comète dans sa trajectoire !
Je voudrais vous parler d'une femme qui a trente ans de plus que moi et dont je suis tombé amoureux sous la lumière de ses gestes. Si vous regardez la page de mon profil Babelio, ne vous effrayez pas et cessez tout calcul taquin, ce soir j'ai vingt ans et je suis dans le coeur de Fazıl le narrateur.
« J'ignorais alors qu'entrer dans la vie de quelqu'un, c'était pénétrer dans un labyrinthe souterrain, un lieu hanté de magie dont on ne pouvait sortir identique à la personne qu'on était avant de s'y engouffrer. Je croyais encore en la possibilité de traverser l'existence comme un personnage de roman, envoûté peut-être, mais certain de pouvoir sortir du cercle de mes émotions dès que l'envie m'en prendrait. »
Le jeune Fazıl, étudiant en lettres le jour, gagne sa vie en tant que figurant dans une émission de télévision le soir. À peu près au même moment où il rencontre la voluptueuse Madame Hayat, Fazıl fait la connaissance de Sıla, une jeune fille de son âge qui étudie comme lui la littérature. Les deux femmes n'ont rien en commun. Rien, sauf de croiser le chemin de Fazıl...
Ahmet Altan n'est pas le premier écrivain à se pencher sur les premiers pas d'un jeune homme inexpérimenté, maladroit, qui va découvrir ses premiers émois amoureux dans ce balancement entre l'itinéraire de deux femmes. Triangle amoureux, pas très isocèle... Qui plus est : c'est une femme de trente ans de plus que lui qui va l'initier au plaisir de la chair et des sens. Là encore d'autres écrivains avant lui se sont essayé sur ces chemins d'apprentissage...
Mais ici le paysage en toile de fond de récit est celui d'un pays qui bascule peu à peu dans les ténèbres de l'obscurantisme et de la répression.
Sans le nommer, Ahmet Altan désigne sans nulle doute son pays la Turquie, mais sans les nommer il désigne aussi tous les pays qui basculent progressivement dans les jours sombres de l'oppression, avec la peur des autres en filigrane, l'angoisse de l'avenir, la méfiance, les dénonciations, l'humiliation, mais où l'amitié aussi peut prendre le pas, où la solidarité tend la main, comme dans cet immeuble où habite Fazıl...
Roman universel où des gestes encore ruisselants d'étreintes, écartent le rideau de la nuit, pour regarder le ciel étoilé de constellations, tandis que les bottes noires abîment déjà le silence de la rue solitaire...
Roman initiatique donc, où les premiers pas du narrateur balbutient. Au début Fazıl m'agaçait comme on peut s'agacer de ce qu'on a pu être étant jeune, je le trouvais fade, effacé, absent du monde, mais j'ai compris qu'il n'y avait pas encore mis les pieds, que Madame Hayat ne lui avait pas encore donné les clefs, pris la main pour l'amener sur l'autre rive, vers Cythère...
Et puis, il y a ce très beau thème de la littérature qui s'invite dans l'histoire et vient couturer l'ensemble, avec cette question lancinante sur la littérature : les livres nous éloignent-ils du monde ou bien nous en rapprochent-ils ? J'ai l'impression de poser souvent cette question en ce moment...
Car Fazıl et la jeune Sıla sont tous deux passionnés de littérature, tandis que Madame Hayat se moque elle des livres, des mots. Elle ne croit pas en la vertu de la littérature, elle ne croit pas qu'elle peut apaiser l'âme, guérir les blessures, alors que dans cette ironie jubilatoire, Ahmet Altan en a fait un magnifique personnage féminin de la littérature contemporaine...
« La littérature est un télescope braqué sur les immensités de l'âme humaine. »
Fazıl a sans doute encore besoin de la fiction pour cheminer vers la réalité. Madame Hayat va l'aider à faire son chemin et c'est ce chemin qui va donner sens et corps au récit...
Elle ne veut pas rêver sa vie, elle veut la vivre, à belles dents, de manière gourmande et voluptueuse. Elle la vit avec joie, comme une comète traversant le ciel de ces pages, traversant le coeur de Fazıl, traversant mon coeur... Elle vit avec son rire, ses seins, ses hanches, ses gestes, sa chair... Elle n'a pas peur ou du moins ne le montre pas...
« Elle m'apparut comme une vaste prairie d'herbe verte, une douce prairie qui s'étendait à perte de vue sous le soleil, part d'une nature infinie dont rien ne la séparait : sa joie pure, sa fraîche et tendre volupté évoquaient ces herbes qui ondulaient sous une brise inlassable, et sa désinvolture, qui illuminait tout ce qu'elle touchait d'une teinte légère, comme un matin d'été… »
Elle se moque des livres et regarde à longueur de journées à la télévision des documentaires sur les animaux, les insectes aquatiques... Ah ! Les libellules ! Je ne regarderai plus jamais sans un brin d'émotion striduler en moi le vol harmonieux des libellules qui dessinent un coeur tout en copulant...
Elle est la vie même, une fenêtre ouverte sur la lumière, une respiration, la joie gorgée de soleils et de vins, faisant la nique aux chemises noires.
Sous la lumière de Madame Hayat, Fazıl grandit, tandis que les bruits de la répression montent de plus en plus assourdissants, effaçant définitivement les rêves de la rue...
Tout n'est que mouvement et oscillation dans ce roman initiatique. Tout n'est que contrastes.
Entre le clair et l'obscur.
Entre la jouissance de la vie et les ténèbres.
Corps libres des femmes effacés peu à peu par les voiles sombres de l'obscurantisme.
Libertés et totalitarisme.
Partir ou rester.
Livre d'amour, livre politique, sûrement les deux, car ici les deux se conjuguent au même temps...
Ce roman nous rappelle que les écrivains comprennent peut-être mieux que quiconque l'humanité, ses vertiges, ses affres et c'est pour c'est pour cela que nous ne pouvons pas nous passer de littérature.
Je sais que le sortilège de ce livre continuera d'agir longtemps après et que souvent mes pas me ramèneront dans la rue sous la fenêtre de l'appartement de Madame Hayat, guettant désespérément qu'une lumière ne vienne s'allumer.
Ce soir j'ai vingt ans et j'aime Madame Hayat.
C'est en prison qu'Ahmet Altan a écrit ce très beau livre d'une écriture poétique et d'une force de vie somptueuse. Les premières pages en sont sorties par bribes grâce à son avocat...
« On n'apprend pas grand-chose sur l'existence, dans les familles heureuses, je le sais à présent, c'est le malheur qui nous enseigne la vie. »

Je remercie mes compagnes de voyage, Diana, Nathalie et Sandrine, qui m'ont permis de faire quelques beaux pas de côté sur cette lecture qui m'a touché par la beauté de son écriture et la joie solaire de cette femme.
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Madame Hayat m'a rappelé la teneur et le style de romans du XIXe siècle, ceux dans lesquels Stendhal, Balzac ou Flaubert racontaient les aventures d'un jeune homme qui prenait son indépendance et structurait son passage à l'état d'adulte. A leur manière, Julien, Eugène et Frédéric expérimentaient des liaisons amoureuses, prenaient conscience de l'environnement social et politique dans lequel les circonstances les avaient propulsés, et affinaient leurs vocations personnelles. Nous les avions suivis au même âge qu'eux, leurs parcours nous interpellaient.

Le temps a passé, tant pour moi que pour l'auteur de Madame Hayat, Ahmet Altan, qui a presque mon âge. Drôle d'effet, que de retrouver un tel parcours initiatique dans son roman ! le narrateur, Fazil, est un jeune étudiant en lettres. Sa famille, aisée, vient d'être brutalement ruinée. Il est plongé dans l'univers aride des étudiants isolés et fauchés, et il fait ses premiers pas dans une société à la fois flamboyante et inquiétante, où l'on se méfie des intellectuels et de ceux qui aspirent à le devenir.

Aucun nom de lieu n'est cité. Les événements racontés par Fazil se déroulent dans une grande ville universitaire d'un pays qui ressemble à la Turquie. Un régime autoritaire, corrompu, où l'arbitraire règne. Mieux vaut ne pas s'exposer aux répressions policières. En même temps, des groupes de barbus sillonnent la ville, armés de bâtons, afin de détruire les lieux de divertissement et de punir leurs adeptes. Bondée et joyeuse au début de la narration, la rue se vide peu à peu, pour terminer déserte et muette.

Sur le tournage d'un show télévisé quotidien qui l'a recruté comme figurant, Fazil rencontre deux femmes très différentes, dont il tombe amoureux. Une tranche de vie, pendant laquelle il mène ses deux liaisons en parallèle, faisant en sorte que chacune ignore l'autre. Voilà qui est délicieusement amoral. Ne sera-t-il pas finalement contraint de choisir ? Mais laquelle choisir ?

L'une, madame Hayat, est beaucoup plus âgée que lui. Elle symbolise la femme orientale traditionnelle : plantureuse, coquette, épicurienne, charnelle, mystérieuse. Insensible à la philosophie et à la littérature, qui sont les sujets de prédilection de Fazil, madame Hayat bâtit sa culture personnelle en regardant des documentaires à la télévision. Elle fait découvrir à son jeune amant les plaisirs simples de la vie, à déguster tendrement au quotidien, sans se préoccuper du lendemain.

L'autre femme, Sila, est jeune, belle, élégante. Elle est le double féminin de Fazil. Issue d'une grande famille qui vient d'être spoliée de tous ses biens en guise de représailles politiques, elle est étudiante en lettres et passionnée de littérature. Plus pragmatique que Fazil, elle est bien résolue à ne pas se laisser enchaîner et à construire son avenir, en exil s'il le faut, sans Fazil s'il le faut.

S'adapter ou résister, tel est en fait le dilemme personnel que Fazil devra résoudre… à moins qu'il ne se résolve tout seul ! Nous avons tous connu cela.

L'intrigue de Madame Hayat est tout à fait captivante et le roman rend hommage à l'univers miraculeux de la littérature : l'unique univers où l'on puisse contempler des décors mirobolants, participer à des aventures extraordinaires, rencontrer des personnages surprenants — et justement, ils sont nombreux dans l'ouvrage —. Grâce à la littérature, l'écrivain traverse les murs de pierre ou de béton… Il faut savoir que Madame Hayat a été écrit en prison…

Ahmet Altan est un intellectuel, journaliste et écrivain turc, aujourd'hui septuagénaire. Accusé d'avoir « participé de façon subliminale » au coup d'État manqué de 2016 contre le régime du Président Erdogan, il a été emprisonné, condamné à la perpétuité, puis relaxé et finalement libéré cinq ans plus tard, après maintes péripéties.

Une lecture enluminée par une prose magnifique, poétique, légère, par des descriptions et des métaphores sublimes, que l'on doit à l'auteur et aussi à son traducteur, Julien Lapeyre de Cabannes.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Madame Hayat se déroule dans la fameuse ville située au bord du Bosphore sous un régime totalitaire. le jeune Fazil dont le père vient de mourir entame des études de littérature. le besoin d'argent se faisant sentir, il trouve un emploi de figurant pour une émission de télévision, c'est là qu' il va rencontrer l'amour.

Le narrateur nous livre ses réflexions sur le caractère mouvant et obscur de l'amour à l'image de la vie elle-même :
On assiste à la fascination du narrateur et du lecteur pour le personnage libre, rebelle, insaisissable, hors des conventions, cynique, sensuel, aux traits mouvants incarné Mme Hayat, une femme plus âgée que lui. Celle-ci a des idées et convictions excentriques mais proches d'une certaine vérité, il l'aimera éperdument.

Il sera amoureux aussi de la belle et jeune étudiante en Lettres, jeune femme engagée, beaucoup plus cartésienne que Madame Hayat et avec qui il a de nombreuses affinités, elle aussi le bousculera dans ses convictions.

Le narrateur vit deux histoires d'amour, deux femmes que tout oppose, double face d'un seul sentiment antithétique. C'est pour Fazil, un déchirement, un écartèlement entre les deux êtres, une douleur qui le traverse, qui l'empêche de choisir et de s'engager auprès de l'une ou l'autre. L'amour qu'il ressent pour les deux figures féminines est intense mais Fazil le vit de manière confuse. Ses sentiments échappent à toute tentative de compréhension et de stabilisation, à l'image du chaos évoqué dans le roman.

A l'image de la vie qui s'en va, toute aussi incompréhensible, difficile à définir, soumise aux « hasards et aux clichés » selon l'expression du professeur de littérature de Fazil.

Ce qui sauvera alors le narrateur du désespoir, c'est la littérature et l'écriture vécues comme salvatrices, Seuls éléments d'ancrage, remèdes aux maux de cette société qui s'est effondrée sous le régime totalitaire et islamiste.
On se croirait parfois dans le roman -1984- d'Orwell, le crime par la pensée mis au grand jour, dans 2084 aussi de Boualem Sansal.

Madame Hayat est un roman d'amour mais il est dystopique. Il dérange car proche de la réalité du pays dans lequel se déroule l'histoire. le trait est à peine grossi et met la peur au ventre durant toute la lecture car des tentatives de renverser la démocratie existent aussi partout ailleurs sous d'autres formes, avec d'autres idéologies mais qui pourraient avoir les mêmes conséquences. Ceci faisant écho à bien des angoisses.

Le régime de la terreur règne dans le pays, écrasant tout sur son passage.
C'est la déchéance, l'anéantissement de l'humanité qui est mise à la face du lecteur. La pauvreté, la violence la misère et la haine règnent en maître.
La déshumanisation est incarnée dans le roman par les hommes aux bâtons qui frappent à tout va, la police qui emprisonne pour des prétextes fallacieux.
Ce régime dictatorial détruit bien des vies, des illusions ainsi que le bonheur des familles et des êtres.
Les biens sont spoliés, les anciens détenteurs de richesses deviennent la cible du pouvoir en place et sombrent dans la misère, les suicides et morts subites sont le lot quotidien de cette société en déroute, cette débandade profitent aux escrocs, délateurs et collaborateurs de tous bords et aux intérêts obscurs

Ce roman a été écrit durant l'emprisonnement de Ahmet Altan, journaliste turc. C'est une oeuvre sur l'amour mais qui soulève surtout de douloureuses questions sur la vie, le devenir de nos sociétés et de l'humanité.

Un roman vrai, à ne pas manquer.


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L'intrigue de Madame Hayat en rappellerait bien d'autres, si elle ne se déroulait pas dans un pays totalitaire, avec des personnages fascinants, sans compter le style d'Ahmet Altan, envoûtant.
Les parents de Fazil ont perdu leur fortune. Après le décès de son père, il part faire des études de littérature loin de chez lui. Devenu pauvre, il s'écarte de ses anciens amis et ne s'en fait pas de nouveau.
Pour gagner un peu d'argent, il obtient un travail figurant à la télévision. Il y rencontre pendant un tournage une femme plus âgée que lui, madame Hayat dont il n'apprendra rien si ce n'est qu'elle est solaire et qu'elle adore regarder des documentaires. Hélas, elle ne connaît rien à la littérature.
Sila, une jeune étudiante tout aussi passionnée que lui de littérature, a vécu la même histoire, tous deux subissent, comme ils peuvent, leur nouvelle pauvreté.
Madame Hayat ? Sila ?

Lien : https://dequoilire.com/madam..
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Fascinante personnalité que celle de "Madame Hayat" imaginée par Ahmet Altan depuis la prison où il était incarcéré.
Accusé par la justice turque d'avoir participé à la tentative de coup d'Etat du 15 juillet 2016, l'auteur a continué à écrire du fond de sa cellule durant les cinq années de sa détention. « Madame Hayat », prix Femina Étranger 2021, a vu le jour grâce à son courage, la force de sa pensée, de son imagination et de ses rêves. Des forces qui, ne pouvant pas être emprisonnés, se sont affranchis des barreaux de sa prison. C'est cette pensée qui m'a habitée au moment de ma lecture, celle d'un monde où l'imaginaire, les rêves, les désirs côtoient la réalité et la dénoncent.

*
« Mais on n'apprend pas grand-chose sur l'existence, dans les familles heureuses, je le sais à présent, c'est le malheur qui nous enseigne la vie. »

Suite à la ruine financière de l'exploitation agricole et le décès de son père, Fazil reçoit une bourse et part poursuivre ses études de lettres loin de chez lui. Il loue une petite chambre dans une modeste pension.
C'est en travaillant comme figurant dans une émission musicale télévisée pour subvenir à ses besoins que le jeune homme va croiser, à quelques jours d'intervalle, deux femmes, Madame Hayat et Sila, dont il va tomber amoureux.

Sila est jeune, belle, moderne, fière, instruite, issue d'une famille riche, mais déclassée par le pouvoir en place. Au contraire, Madame Hayat est une femme mûre, à la personnalité troublante et surprenante. Elle est libre, séduisante, charmeuse, espiègle, pétillante, tendre, réfléchie, d'un naturel optimiste. Elle va l'initier à l'amour et ses plaisirs.

« Madame Hayat était là. D'où j'étais assis je pouvais entrevoir ses longs cheveux roux, la tendresse moqueuse de son sourire. Elle portait sa robe couleur de miel. Sous la lumière des spots, elle semblait entourée d'un halo d'or qui s'embrase. »

Dans ce triangle amoureux, Fazil est écartelé entre ces deux femmes que tout oppose, l'une projetant son regard dans l'instant présent, l'autre choisissant l'avenir et une vie meilleure dans un pays étranger mais libre.

C'est dans ce jeu de contrastes, d'ombre et de lumière, de bonheur et de douleur, de soumission et d'oppression, de silences et de non-dits, de lutte et de fuite que se découvre la personnalité de Madame Hayat. En effet, si elle dévoile son corps voluptueux, ensorcelant, sensuel et plein de grâce lors des shows télévisés, elle reste une énigme dans le cercle privé.
La plume de l'auteur, belle, langoureuse, amoureuse, passionnée imprime quelque chose d'étrangement flou et de troublant dans ce récit. Madame Hayat apparaît insaisissable, mystérieuse et donc attirante, fascinante.

« Elle était comme une galaxie mystérieuse qui planait au milieu de ma vie, dont je voyais les étoiles, les feux, les scintillements, mais dont l'énigme d'ensemble demeurait insoluble. Avait-elle un secret à cacher, un secret dont elle jugeait plus séduisant de préserver le mystère, ou bien trouvait-elle tout simplement ennuyeux de parler d'elle, c'est ce que j'ignorais. Il y avait un trou noir au milieu de cette voûte étoilée, une ombre désirable qui la rendait fascinante et que je n'arrivais jamais à percer. »

Trouvant le narrateur immature et égocentrique, je me suis davantage attachée au magnifique personnage d'Hayat. J'ai aimé sa générosité, sa force et sa vivacité d'esprit, sa façon un peu désabusée de voir la vie. J'ai aimé la bulle protectrice qu'elle crée autour d'elle pour mettre à distance la violence, la peur et échapper à la servitude de ce quotidien déprimant et étouffant. Elle est éblouissante et j'ai eu un réel coup de coeur pour elle.

« Il y avait tant de choses dans son rire : les oiseaux du matin, des éclats de cristal, l'eau claire qui cascade sur les pierres d'un torrent, les clochettes qu'on accroche aux arbres de Noël, une bande de petites filles courant main dans la main. »

On ressent la fragilité de la vie dans ce pays qui restreint toutes les libertés : liberté de pensée, liberté d'expression, liberté d'aimer, liberté à la vie, liberté à avoir une vie privée. Madame Hayat incarne toutes ces libertés à la fois.

« Ne comprend-on le sens de la liberté que lorsqu'on a touché le fond ? »

*
A la lecture de ce roman, on est partagé entre différentes approches.
« Madame Hayat » est tout d'abord une histoire d'amour belle et tragique, un roman d'apprentissage aussi, marqué par la peine, la culpabilité de ce jeune homme né riche, devenu pauvre qui découvre en même temps que la passion, un monde marqué par la peur, l'insécurité, la pauvreté et la solitude.

Néanmoins, vu le contexte dans lequel il a été écrit, il est évident qu'on ne peut faire l'impasse de la dimension politique du récit.
L'auteur a insufflé avec subtilité, une tension politique qui s'amplifie tout au long du récit. A la fois subtile et profonde, l'écriture d'Ahmet Altan nous emporte par sa force narrative, décrivant le climat croissant de tension, de peur, de méfiance dans ce pays jamais nommé, mais qui est très certainement la Turquie. On oscille sans cesse entre espoir et désespoir, inquiétude et insouciance, impuissance et refus de se soumettre, angoisse du lendemain et importance de profiter du moment présent.

« La vie des gens changeait en une nuit. La société se trouvait dans un tel état de décomposition qu'aucune existence ne pouvait plus se rattacher à son passé comme on tient à des racines. Chaque être vivait sous la menace de sombrer dans l'oubli, abattu d'un seul coup comme ces pantins qu'on prend pour cible dans les fêtes foraines. »

Dans ce contexte particulièrement dur, l'auteur dresse des portraits touchants des habitants de l'immeuble. Ils sont à l'image de la société turque, pleins de contrastes et de douleurs inexprimées. A travers leur chemin, leur destin, leur trajectoire qui se croisent et s'entremêlent, l'auteur dessine une nouvelle société émergente qui voit le jour avec la montée de l'oppression, du totalitarisme et de l'arbitraire, la dégradation constante des conditions sociales, la menace quotidienne d'être emprisonné, le déclassement d'une partie de la population qui se retrouve privée de ses biens.
Un sentiment de perte, de tristesse, une solitude profonde habite ce roman.

« On aurait dit que nous étions coincés dans la paume d'un géant qui pouvait nous écraser quand il le voulait, d'un seul geste, en refermant la main. Encore sous le choc, nous étions en train de comprendre que faire ce que nous avions toujours fait pouvait désormais nous valoir une condamnation, qu'il suffisait d'une blague, d'un bon mot, d'une seule phrase, pour que la police déboule à l'aube et nous embarque. »

Malgré la défiance ambiante, les habitants de cet immeuble partagent une diversité culturelle et de belles valeurs humaines de solidarité, de partage et de courage. Je les ai trouvés beaux, lumineux, et d'une certaine manière, libres, malgré tout.

*
Enfin, ce roman propose une réflexion pertinente sur la littérature avec deux regards discordants qui se croisent : celui de Fazil pour qui les personnages de la fiction ont une réalité passionnante.

« La littérature est un télescope braqué sur les immensités de l'âme humaine. »

Celui de Mme Hayat qui préfère se nourrir de documentaires télévisés.

« Elle était certainement la partenaire la plus charmante qu'un homme puisse souhaiter pour un dîner, sa conversation était brillante, captivante, à sa façon de tout s'approprier avec désinvolture et ironie se mêlait une sorte de timidité, les sujets de discussion dansaient et tournoyaient à notre table tel un essaim de lucioles autour d'une lumière. »
*
Pour conclure, il est difficile de rester insensible à ce récit émouvant et profond qui mêle avec finesse engagement, courage et amour. Ahmet Altan a imaginé une histoire pleine de vie, de joie, d'espoir, de désir, de douceur charnelle, mais également une histoire tragique, douloureuse, pénétrée d'appréhension, d'incertitude, de perte autant que de résistance face à la montée du totalitarisme religieux.

« Madame Hayat » est une ode à l'amour et à l'amitié, un hymne à la vie et à liberté, un bel hommage à la littérature et au pouvoir des mots. Servi par une écriture élégante et poétique, le personnage d'Hayat, véritable figure allégorique de la liberté, est divinement beau et touchant.

« … j'avoue que je peine à comprendre comment un seul être peut couvrir autant d'étendue dans la tête et le coeur d'un homme. »

Un beau roman sombre et touchant que je vous invite à découvrir.

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Merci à mes compagnons de route, Diana, Nathalie et Bernard, sans qui cette lecture aurait pris l'allure d'un voyage en solitaire.

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Voilà un grand livre plein de finesse et de subtilité dont la lecture m'a touchée profondément.

Fazil, le narrateur est un jeune homme passionné de littérature. Son existence vient de basculer récemment, depuis que son père, agriculteur, meurt subitement après avoir enduré une faillite insupportable. le jeune homme passe du jour au lendemain d'un statut de fils aimé d'une famille aisée au statut d'étudiant pauvre.
Bénéficiant d'une bourse pour étudier, il loue une chambre dans un immeuble délabré mais où les locataires sont chaleureux et solidaires entre eux.
Pour compléter sa bourse, on lui propose un petit boulot de figurant dans une émission de télévision de seconde zone. C'est là qu'il découvre une femme plus âgée que lui – il est totalement séduit immédiatement.

Fascination, éblouissement, envoûtement, Fazil découvre cette figure magnifique d'une femme libre et indépendante, joyeuse et solaire, qui va être son initiatrice d'un univers de volupté et de plaisir.
Passionnée par les documentaires qu'elle regarde à la télévision avec ce jeune étudiant , elle, qui n'aime pas la littérature (et on peut se demander si ce n'est pas le cas de toute une génération qui ne croit plus en rien aujourd'hui) a de passionnants débats avec ce jeune homme qui tente de justifier son amour des livres sous le rire toujours éclatant de cette femme voluptueuse.

Mais ce n'est pas tout. A l'université où il étudie la littérature il rencontre une étudiante, Sila, qui partage la même passion que lui : intelligente, cultivée, sa relation avec elle le comble sur le plan intellectuel.

Commence alors pour Fazil une double vie : le soir auprès de Madame Hayat dans le studio d'enregistrement, soirée qui bien souvent se prolonge au restaurant et dans son appartement où la volupté est au rendez-vous, le jour auprès de Sila sur les bancs de l'université et parfois dans sa modeste chambre pour poursuivre leurs discussions.

En toile de fond les étudiants vivent néanmoins des arrestations arbitraires : le père de Sila est arrêté pendant 4 jours pour des raisons obscures, dans l'immeuble où habite Fazil un locataire est battu à mort, et un autre, "le poète", qui tient une revue littéraire et propose à Fazil d'y participer, se jette de l'immeuble pour échapper à la police.

Fuir semblerait donc la meilleur solution pour les deux étudiants, qui auraient l'espoir d'une vie meilleure, la vie en Turquie apparaissant comme de plus en plus invivable. Mais on ne dira rien de la fin qui forcément mettra un terme à cette période de bonheur incroyable, alors que la mélancolie de Fazil, mais aussi celle de l'auteur, pointe au détour du roman...

Cela aurait donc pu être un très bon roman d'apprentissage classique d'un jeune homme initié par une femme plus âgée et déjà cela aurait été très réussi.

Mais lorsqu'on sait que l'auteur, Ahmet Altan, a écrit ce roman alors qu'il était emprisonné, on pense bien évidemment aux correspondances qu'on peut faire avec ce texte magnifique.

Arrêté en septembre 2016 dans le cadre d'une campagne de répression contre les intellectuels (on se souvient que le président turc, Recep Tayyip Erdogan avait prétendu être victime d'une tentative de putsch) Ahmet Altan a été en effet condamné par un tribunal arbitraire à une peine de perpétuité avant d'être ramenée à dix ans et demi de prison. Remis en liberté sous contrôle judiciaire le 4 novembre 2019, l'auteur a de nouveau été arrêté le mardi 12 novembre, subissant l'arbitraire d'un régime totalitaire qui bâillonne les intellectuels. il a écrit "Je ne reverrai plus le monde" à cette occasion.

On peut donc lire « Madame Hayat » comme une splendide métaphore de la liberté : cette figure féminine, qui vit pleinement l'instant, qui ne se soucie pas de la peur (laquelle est bien présente en filigrane dans le récit) et qui jouit d'être vivante est magnifique. « La vie des gens changeait en une nuit. La société se trouvait dans un tel état de décomposition qu'aucune existence ne pouvait plus se rattacher à son passé comme on tient à des racines» peut-on lire par exemple pour rappeler la toile de fond dans lequel évolue ce peuple aujourd'hui.

Au pays de l'autre grand écrivain turc qu'est aussi Orhan Pamuk – une oeuvre à revisiter aussi autant que de besoin – dans cet état totalitaire qu'est devenu ce pays au magnifique confronté à Erdogan, « Madame Hayat » est rempli de finesse et de subtilité.

« Je suis écrivain. Je ne suis ni là où je suis, ni là où je ne suis pas », écrivait Ahmet Altan dans son autre récit paru aux Editions Actes Sud « Je ne reverrai plus le monde ».

Tout est dit, aucun doute sur les grandes qualités littéraires de ce récit, il ne vous reste plus qu'à plonger comme Fazil à l'intérieur de « Madame Hayat » pour un très beau moment de littérature.

Lien : https://www.benzinemag.net/2..
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Vendredi 28 avril 2023- Square des Poètes...

***Grand moment de lecture , immensément lumineux , nous communiquant énergie, force et espoir , dans un contexte pourtant terrifiant...!

Très grandement récompensée cette fois, en allant comme très souvent déposer des livres dans un très sympathique kiosque de " livres- voyageurs"....j "eus la joie de trouver
" Madame Hayat" sur mon chemin...; roman que je souhaitais lire à sa parution...Imaginez...comme je me suis " ruée " dessus !!

Ayant toujours vivement à l'esprit que cette " fiction " a été rédigée, imaginée par l'auteur alors qu"il était emprisonné, chaque ligne prend une densité émotionnelle supplémentaire...!

Le jeune narrateur, Fazil, vient de perdre brutalement son père...
Sa mère est brisée par le chagrin...Toutefois Fazil réussit à obtenir une bourse pour poursuivre loin de chez lui, des études de Lettres; son projet et son souhait le plus lointain étant d'enseigner !

D'une situation familiale protégée, aisée, il connait , après le décès paternel, la pauvreté...Ainsi, pour subvenir à ses besoins, il trouve un " travail" de figurant le soir, dans une émission de télévision...

Ce sont dans ces circonstances que Fazil fait une rencontre des plus singulières, qui va le marquer à jamais.
Il remarque une femme différente," vif-argent", qui pourrait être sa mère. ...

La rencontre avec la " fameuse Madame Hayat" va lui offrir une parenthèse de vie enchanteresse, exaltante et troublante !

Dans un même temps, en parallèle, Fazil fera une seconde rencontre, aussi déterminante, en Sila, jeune étudiante de son âge, au caractère bien affirmé....

Double, triple vie ...entre son quotidien estudiantin et les cadeaux de l'existence, induits par ses deux rencontres amoureuses, singulières et passionnées...Apprentissages amoureux, intellectuels ...de notre narrateur...où les échanges culturels, existentiels foisonnent. Hors le parcours sentimental de Fazil, il est aussi question de Liberté, d'engagements, de questionnements vis à vis d'un pays, d'une population vivant progressivement dans la seule " PEUR"....

L'écrivain ne s'appesantit pas..cependant, il accompagne le récit du quotidien de Fazil et de ses "ami (e)s des actualités violentes, inquiétantes : les disparitions, les arrestations arbitraires, les mauvais traitements dans la population civile, les fuites à l'étranger, les suicides...

Pour conjurer toute cette peur galopante, Fazil se réfugie dans les coeurs de littérature, dans la lecture...A quasiment chaque émotion, bouleversement et événement de son quotidien, il fait référence à des auteurs, des textes qu"il aime particulièrement et qui l'aident à " vivre" à "tenir "...

J'ai "savouré les abondants passages extraordinaires sur la passion du narrateur pour la Littérature ...

"Mon grand rêve eût été de passer ma vie dans la littérature, à en débattre, à l'enseigner au milieu d'autres passionnés, ce dont je me rendais toujours
un peu plus compte à la fin de chaque cours de Madame Nermin.La littérature était plus réelle et plus passionnante que la vie.Elle n'était pas plus sûre, sans doute même plus dangereuse, et si certaines biographies d'auteurs m'avaient appris que l'écriture était une maladie qui entame sérieusement l'existence, la littérature continuait de me paraître plus honnête que celle- là. " La littérature est un télescope braqué sur les immensités de l'âme humaine ", avait dit notre professeur d'histoire littéraire, monsieur Kaan.Et je le réentendais ajouter de sa voix caverneuse:" À travers ce télescope, vous voyez de l'homme les scintillantes étoiles aussi bien que les trous noirs ".


Fazil sera encouragé vigoureusement à fuir le pays avec sa jeune amie, Sila....Encouragé par Ladame Hayat qui a peur pour lui....je n'en dirai pas plus !!!
Fazil, indécis, aura bien du mal à prendre une décision .Il traversera des épreuves, des chagrins...et trouvera chaque fois " sa" petite lumière dans les mots, les études, les livres...et dans l' Écriture qui le sauvera littéralement !

Une magnifique lecture qui exprime de la manière la plus lumineuse et persuasive possible, combien le Savoir, les Livres, la Littérature sont , par essence, des outils majeurs de Résistance,de résilience et de Liberté intérieure...

Après ce coup de coeur, je vais enchaîner avec ses " Textes de prison" où l'amour des mots et des Livres semble également La " Nourriture intellectuelle ,humaine" essentielles pour " tenir debout dignement et résister envers et contre tout...!"
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