Pendant ces années qui s'écoulent entre 1876 et 1852, la douleur suit Nietzsche à la trace, comme le chasseur suit un gibier traqué. Il n'appartient qu'à sa biographie de décrire ce « martyre effroyable et incessant », durant lequel Nietzsche a tant de fois appelé la mort. Mais il s'est raidi contre le destin. Cet orgueilleux vouloir en lui, qui ne supportait pas de se sentir inférieur, n'a pas consenti à la défaite. Son corps supplicié, son âme épuisée de macérations, parlent comme s'ils ignoraient le renoncement et le supplice. Il découvrait que ceux là seuls ont goûté à tout le miel dont la vie s'imprègne, qui ont souvent disputé cette vie à des transes mortelles.
NIETZSCHE est un homme de son temps en ce qu'il fut gagné, comme tous ses contemporains, par l'immense espérance née du transformisme. On crut que, les lois de la sélection des vivants une fois découvertes, nous aurions le pouvoir de faire naître une humanité nouvelle.
Nietzsche n'a pas méconnu la grandeur de l'événement, non plus que Darwin et Herbert Spencer avant lui. Mais il croyait que les moralistes français, de Montaigne à Stendhal, lui offraient une science des structures de l'âme plus exacte que lu psychologie anglaise.
La vie a récompensé Nietzsche de ce tenace plaidoyer pour la vie. Elle lui a donné cette pensée où, pour la première fois, son originalité s'affirme pleine et pure, et où il eut l'illusion consolante que peut-être la vie atteignait sa cime.