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Après lecture de ce livre, je ressens un élan d'affection velouté vers Aharon Appelfeld comme s'il nous avait tendu la clé ouvrant avec délicatesse nos coeurs et remplissant nos âmes en abondance. Pour les recouvrir de coton. Et y amoindrir ainsi la douleur grandissante au fur et à mesure des pages. La douleur des camps de concentration, celle de la nostalgie des parents dont on comprend enfin l'essence, celle enfin de la nature humaine révélée. Étrange de ressentir à la fois autant de douceur, de lumière, dans l'obscurité la plus totale. Quelle lecture à la fois onirique et glaçante, quelle façon originale de raconter l'inracontable !

Aharon Appelfeld a choisi la voie du conte poétique et philosophique, du rêve, du songe, de la balade pour faire remonter et éclore ses pensées et ressentis. Comme s'il lançait des grains, aussitôt germés de belle façon. J'ai cheminé avec le héros Théo, ne sachant jamais trop s'il rêvait, s'il pensait tout haut, s'il délirait. Tels des rêves récurrents certaines scènes reviennent à maintes reprises, en boucles, ritournelles d'une simplicité déroutante pouvant gêner la lecture mais non sans signification profonde quant au message à faire passer. Dans tous les cas cette balade à ses côtés fut scintillante, et continuera de briller longtemps en moi.

Théo Kornfeld (prénom et nom à haute valeur symbolique), juif autrichien, rentre chez lui, à pied, à quelques 250 km de là. C'est le « retour à la maison » tant espéré, tant fantasmé qui est donc l'objet du livre. Enfermés dans le camp n°8 en Ukraine pendant deux ans, lui et ses compagnons d'infortune se sont retrouvés en effet en liberté suite à l'avancée des troupes russes faisant déguerpir les oppresseurs.
Libérés et livrés totalement à eux même, ces rescapés errent, et tentent, tant bien que mal, de rentrer, assaillis par la fatigue, le contrecoup de l'atrocité vécue, la culpabilité, la peur, la faim. Ils profitent des vivres, des cigarettes, du matériel laissés par l'ennemi parti précipitamment, tiraillés entre le désir de rester en groupe et la volonté de retrouver enfin leur liberté, leur solitude alors qu'ils se sont tous entraidés, corps et âme, pendant de nombreux mois.
Ils profitent du café surtout…quelle ode au café, breuvage divin et fraternel ; il est sans cesse honoré tout au long du livre au point de l'avoir lu moi-même les lèvres couleur café…

« Rien ne vaut le premier café de la journée, il nous restitue quelque chose de perdu et de précieux ».

Le chemin du retour est un lieu incertain quant à sa localisation, en pleine campagne devine-t-on, jonché de restes de guerre, où surgissent d'étranges personnages d'errance dont une certaine Madeleine qui incarnera le plus la notion d'amour véritable. Tous ces êtres semblent évoluer dans un monde onirique et ont quelque chose de kafkaïen, de très mystérieux. Certains paraissent dangereux, d'autres névrotiques, d'autres incarnent la bonté même.
Quant au paysage, il est par moment d'une beauté bucolique, sorte d'Eden retrouvé :

« L'immense plaine s'étendait dans toute sa splendeur verte. Les ombres des bouleaux frémissaient sur le sol en silence. Une douce lumière de fin d'après-midi régnait, tel un cocon dans lequel l'on pouvait se blottir. »

Ce chemin est surtout un cheminement symbolique, une réflexion hébétée propice aux rêves et aux chimères. Ce chemin est un chemin psychologique selon moi, sur lequel Théo va faire éclore toutes ses craintes, tous ses souvenirs, toutes ses incompréhensions, tout son amour et sa bienveillance en autant de graines semées au fur et à mesure de sa déambulation et de ses tribulations. Qu'il se permet de faire éclore avec bienveillance, car après le camp, il est doté d'une compréhension différente des choses.
Et c'est un chemin d'une stupéfiante clarté. Quand certains s'interrogent sur le titre du livre, j'y vois par ma part le chemin de la compréhension et de l'éclosion.

Ainsi, l'errance du retour permet à Théo de revenir sur sa mère tant aimée, cette femme belle et fantasque, si particulière, que nous devinons bipolaire et qui avait une emprise énorme sur Théo enfant, préférant partager avec son fils les beautés du monde via de nombreux pèlerinages que l'envoyer à l'école. le père ne pouvait que paraitre fade, austère, invisible, en comparaison. Cette marche lui permet de voir sa mère en vérité, avec cependant beaucoup amour, et de réhabiliter ce père qu'il trouvait si effacé, vouté, taiseux. de le comprendre. Notamment grâce à Madeleine qui a aimé en effet son père. Et de l'aimer ce père, à son tour.

« Maman était en proie soit à de profonds abattements, soit à de grandes exaltations. À côté d'elle, papa paraissait toujours craintif, inquiet, il parlait à peine, ou uniquement lorsque c'était nécessaire. Maman l'éclipsait. Je n'ai pas su voir qui il était ni réussi à le connaître. »

La stupéfiante clarté c'est aussi la compréhension enfin atteinte, à travers le souvenir de sa mère, du sacré, celle d'un dieu au-délà des religions établies, des normes et des rites à suivre. Sa mère juive, fascinée par les monastères chrétiens, par les icônes de Jésus, par la beauté des chants religieux, par la beauté des paysages, par la musique de Bach, atteignait Dieu par la beauté plus que par le rite consacré. En touchant au sublime, elle atteignait Dieu, même dans un endroit aussi profane qu'un lac.

Cette stupéfiante clarté est également cette façon qu'a Théo de comprendre la nature humaine. Alors que les juifs ont vécu l'abominable dans les camps de concentration, certains rescapés juifs réservent à l'ennemi et aux collabos le même châtiment. Ils répondent à l'abominable par l'abominable, et Théo est témoin impuissant de ce spectacle qui en dit long sur notre animalité, pour ne pas dire notre bestialité. J'admire Aharon Appelfeld d'avoir osé parler, dans son dernier livre, de cette loi du Talion, que l'on retrouve aujourd'hui au coeur du conflit israélo-palestinien.

« Les collabos qui avaient été battus étaient rassemblés sous un petit arbre, tous menottés, et, n'eussent été leurs visages salis, ils n'auraient pas semblé différents des autres rescapés ».

Ce chemin est également source de questions pour Théo, de nombreuses questions qui sont celles du tout peuple opprimé : comment témoigner de l'horreur des camps ? Devons-nous témoigner ? La parole est-elle possible ? Parler des douleurs de l'âme de manière aussi simpliste n'équivaut-il pas à une profanation ? Devons-nous rester ensemble, nous les compagnons d'infortune pour témoigner ou retrouver enfin notre solitude au risque de ne pouvoir faire passer le message ? Devons-nous sacrifier notre droit au bonheur pour le témoignage et donc ressasser notre douleur ?

Et enfin, clarté, stupéfiante, sur la compréhension suprême : celle de notre part incompréhensible… « Nous devons accepter l'incompréhensible comme une part de nous-même… L'incompréhensible est plus fort que nous. On doit l'accepter, comme on accepte sa propre mort. »

Alors qu'il ne sait pas s'il va retrouver sa maison intacte et ses parents vivants, «la lumière se déversait à l'intérieur de son corps comme dans un récipient vide», oui après les horreurs subies, Théo est autre, et il comprend désormais des choses qui lui étaient restées opaques ou indifférentes avant la guerre. Ses parents, la nature humaine sont désormais plus compréhensibles à ses yeux, telles des limpidités bleutées qui viendrait enfin le contenir et le remplir d'une dimension quasi christique.

Eduardo, toi qui m'a inspiré cette lecture, tu poses une question à la fin de ta belle chronique ; après lecture de ce livre je répondrais sans doute oui à ta question : cette stupéfiante clarté est certainement « cette découverte de ce qui est «l'immuable» par rapport à ce qui est «purement éphémère», et qui permet de se reconstruire une nouvelle vie après un catastrophe sans renier son passé ».
Merci à toi, cher ami, d'avoir mis ce livre sur mon chemin.
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« À la fin de la guerre, Theo décida qu'il ferait seul le chemin du retour jusqu'à la maison, tout droit et sans prendre de détours. »

Jeune homme de vingt ans, Theo Kornfeld, quitte ses compagnons d'infortune avec qui il a partagé l'indicible, pour prendre le chemin de sa ville natale située en Autriche, à quelques centaines de kilomètres à l'est du camp qu'il vient de quitter.

Son retour solitaire vers le lieu de sa naissance sera parsemé d'embûches, de rencontres tantôt lumineuses, tantôt inquiétantes, et donnera l'occasion au héros de plonger dans une longue introspection sur son rapport à une mère séductrice et mystique et un père qu'il n'est jamais parvenu à appréhender.

Malgré le froid, la faim, le souvenir des camps, le trajet vers l'est de Theo est illuminé par une lumière d'une stupéfiante clarté. Durant ses songes éveillés, le jeune héros renoue avec ses racines, appréhende les failles cachées de sa mère bien-aimée et entrevoit enfin les qualités cachées d'un père trop discret.

Sa rencontre fortuite avec Madeleine, une femme gravement blessée, qu'il va tenter de soigner de son mieux, nous donne l'occasion de découvrir toute la générosité et l'opiniâtreté du héros, qui aide une rescapée au courage stupéfiant évoquant un ange aux ailes brisées par les vents mauvais de l'Histoire.

Tandis que « Le garçon qui voulait dormir » entrelaçait les songes avec le quotidien du voyage vers la Palestine du jeune Edwin, « Des jours d'une stupéfiante clarté » entrelace les souvenirs de Théo avec son long chemin vers son village natal. Un procédé qui permet à Aharon d'Appelfeld de dérouler un récit de voyage vers l'est, tout en le parsemant d'incises méditatives.

Yetti, la mère fantasque du héros, occupe une place prépondérante dans les souvenirs d'enfance du jeune garçon. Femme à la beauté irradiante, juive non-pratiquante fascinée par les chapelles, les églises, les monastères et la musique de Bach, elle n'a de cesse d'emmener avec elle le jeune Theo, qui devrait être à l'école, pour aller découvrir un monastère ou une chapelle nichée dans les hauteurs.

Aveuglé par son amour pour une mère possessive, Theo n'a que peu de rapport avec son père Martin, libraire discret et dévoué qui finance tant bien que mal les extravagances de son épouse. C'est Madeleine qui a aimé en secret le beau Martin durant leurs années de lycée qui lui révélera à quel point cet homme effacé était aussi un être brillant, curieux, joyeux.

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Le long chemin de Theo le conduira à assister, impuissant, à des scènes d'une violence terrifiante où des rescapés massacrent des juifs « collabos » que les nazis ont forcé à agir contre leur communauté. le jeune homme alerte devra également affronter des réfugiés violents, qui ne comprennent pas son désir insolite de se rendre au monastère de Sankt Peter, où il espère retrouver sa mère.

« - Comment ça, vous travaillez gratuitement ?
- Pas gratuitement, dit la femme, un sourire en coin. Les gens me remercient et reprennent la route en étant rassasiés. C'est mon salaire. Je n'ai guère besoin de plus. »

Theo croisera des gens de peu qui ont tout perdu, mais ont gardé l'essentiel : un coeur pur. Telle cette femme qui a perdu tous les siens et qui a dédié sa vie à nourrir les réfugiés qui errent sur les routes.

Madeleine incarne cette lumière qui ne cesse d'irradier une âme intacte prisonnière d'un corps meurtri. Figure lumineuse et sacrificielle du roman, elle sert de révélateur de la générosité sans faille de Théo tout en dissipant la part d'ombre qui flottait sur la figure tutélaire d'un père absent.

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« « Pourquoi ne parlez-vous pas ? » me demande le médecin. Il ne comprend pas qu'on ne peut pas parler de certaines choses. Elles heurtent tant la conscience qu'il est impossible de les prononcer, même du bout des lèvres. »

« Des jours d'une stupéfiante clarté » revient sur cet indicible qu'Aharon Appelfeld se refuse à aborder. À l'instar d' « Histoire d'une vie », ce roman nous rappelle la thèse de l'auteur selon laquelle le langage n'épuise pas le réel. Certaines réalités ne peuvent être contées, sous peine de travestir le réel, de minorer l'innommable.

« Celles qui nous frappaient étaient nos soeurs, des collabos. Nous recevions chacune cinq coups douloureux, puis nous rampions vers notre baraquement à bout de forces. J'essaie de raconter cela, je n'y arrive pas ».

Les épreuves traversées par Madeleine et tant d'autres ne se racontent pas. Ce refus de formuler l'indicible est sans doute la pierre angulaire de l'édifice littéraire que constitue l'oeuvre de l'immense écrivain israélien né en Bucovine. Ce refus n'a rien à voir avec une quelconque forme de modestie, mais avec le feu intérieur qui ne cesse de brûler au creux de l'âme de l'auteur, qui lui intime de garder le secret sur l'horreur absolue traversée par tout un peuple, une horreur qui touche à une forme de sacré, que notre langage ne peut décrire adéquatement.

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Malgré les embûches, Théo rencontre au cours du long périple qui le mène à sa terre natale, une sainte qui s'ignore, la bien nommée Madeleine, ainsi que des femmes et des hommes qui ont tout perdu et pourtant conservé l'essentiel : la croyance dans le sens d'une vie dédiée à l'aide de son prochain.

C'est ainsi que le voyage vers le soleil levant du héros parvient à dissiper l'infinie noirceur qu'il laisse derrière lui, et que Théo vivra au cours de son périple incertain « des jours d'une stupéfiante clarté ».

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En refermant ce livre, j'ai éprouvé comme un besoin momentané de silence et de recueillement. Peut-être pas très compliqué à réaliser comme voeu, diriez-vous, par exemple, en ces temps de restrictions avérées et de claustration préconisée..!

Dans tous les cas, la lecture de DES JOURS D'UNE STUPÉFIANTE CLARTÉ m'a laissé un sentiment teinté de gravité et provoqué une certaine componction. Pour ce qui est donc de mes étoiles, l'exaltation que je recherche d'habitude en tant que lecteur (je n'y peux rien, l'Amérique Latine coule aussi dans mes veines !!) n'y serait pas, je crois, pour grand-chose.

Il y a pour moi, je ne vous cache pas, et probablement on s'en doute déjà, quelque chose de difficile à exprimer à propos de cette lecture que je situerais volontiers, à un niveau purement intuitif de l'état actuel de mon pauvre raisonnement, entre « La Route», de Corman McCarthy, et «La Pesanteur et la Grâce », de Simone Weil.

DES JOURS D'UNE STUPÉFIANTE CLARTÉ raconte, en toute simplicité stylistique et narrative, le «retour à la maison » du jeune Theo Kornefeld suite à la débâcle provoquée dans les camps de concentration ukrainiens par l'avancée progressive des troupes russes. Les déportés se retrouvant subitement libérés et livrés à eux-mêmes, errent en grande partie hébétés sur les routes d'une Europe centrale dont la réalité géographique reste ici accessoire, fondamentalement floue. Jonchées de débris de la guerre, étrangement dépourvues de traces de la civilisation moderne ou d'urbanité, ces dernières évoquent une sorte de no man's land propice aux chimères de toutes sortes, et où certains, égarés, décideront de s'installer à demeure...

L'expression « stupéfiante clarté » du titre m'intrigue. Quelle est cette stupéfiante clarté dans un récit qui s'apparenterait au départ à un témoignage sur les abominations terribles subies par le peuple juif pendant la Deuxième Guerre mondiale, et dont l'auteur lui-même avait personnellement pâti durant son enfance?

Certes, il fait plutôt beau pour la saison, devant Theo il y a le ciel qui «s'ouvrait dans une limpidité bleutée», même si , apprend-on , «la lumière se déversait à l'intérieur de son corps comme dans un récipient vide», mais de quoi s'agirait-il au juste sous ce titre très arcadien et bucolique ?
De l'éblouissement face à la liberté retrouvée ?
Du constat sidérant que rien ne serait plus pareil? Qu'il n'y aurait pas de retour possible, puisque «nos maisons sont perdues à jamais» ?

Aharon Appelfeld ne se reconnaissait pas lui-même comme un écrivain de la Shoah : «Je ne suis pas un écrivain de l'Holocauste et je n'écris pas sur cela, j'écris sur les hommes juifs».

DES JOURS D'UNE STUPÉFIANTE CLARTÉ est en principe une fiction dénuée de tout propos volontairement autobiographique, parsemée d'évocations d'une enfance enchantée auprès d'une mère aimante (la mère d'Aharon Appelfeld a été elle assassinée quand il avait 8 ans).
Un récit traversé tout au long par des rêves éveillés, par des visions nocturnes et situé plutôt à la limite de la fable métaphysique, voire de la parabole à connotation biblique.

«Et le soir fut». Theo rêve de sa mère. Il a 5 ans, ils sont dans un jardin public, sa mère distribue de miettes aux pigeons. Il lui demande si les pigeons nous ressemblent. «Bien-sûr, répond la mère (...) mais ils sont plus proches du ciel que nous (...) Parfois elle murmurait le mot «Dieu» sans rien lui demander (...)».

La mère de Theo, Yetti, femme charmante, versatile, enflammée, ne fréquentait plus les synagogues, préférant se recueillir dans les chapelles et dans les monastères où résonnaient les cantates de Bach.
Yetti pourrait en effet me faire penser à Simone Weil, ou en tout cas à ce que cette mystique moderne incarnait : une quête dépassant largement l'enfermement des religions instituées et par laquelle l'homme cherche à s'élever et à sublimer sa condition purement terrestre, bestiale.

Et puis il y a Madeleine, la femme blessée que Théo rencontrera sur la route, dont la foi inamovible en l'amour permet d'endurer toutes les souffrances qui lui sont infligées.

Quelle est donc cette stupéfiante clarté qui permettra in fine à Theo de rentrer chez lui et d'accepter que sa maison n'existera peut-être plus, ou que ses parents auront été massacrés ?

Serait-ce cette découverte de ce qui est «l'immuable» par rapport à ce qui est «purement éphémère», et qui permet de se reconstruire une nouvelle vie après une catastrophe d'une telle ampleur sans devoir enterrer son passé ?

Aharon Appelfeld a lui aussi changé de pays et adopté, pratiquement adulte déjà, une nouvelle langue, l'hébreu, par laquelle il serait ensuite consacré comme un des écrivains majeurs de la littérature israélienne contemporaine.
DES JOURS D'UNE STUPÉFIANTE CLARTÉ est son dernier ouvrage, publié peu avant sa disparition.
C'est épuré comme un dernier tableau de maître : quelques traits suffisent, peu de couleurs.

Dans son autobiographie «Histoire d'une vie», parue en 1999 il écrirait : «La mémoire, s'avère-t-il, a des racines profondément ancrées dans le corps. Il suffit parfois de l'odeur de la paille pourrie ou du cri d'un oiseau pour me transporter loin et à l'intérieur».

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On a pu comparer Appelfeld à Proust. Mais si le personnage de Madeleine, que rencontre le héros, lui permet de se replonger dans ses souvenirs, le passé n'a plus la saveur conférée par la pâtisserie dodue chère à Marcel. le temps ne peut plus être retrouvé. Car entre le présent et l'autrefois, quel pont construire, quand la Shoah a brisé tout espoir de continuité entre ce qui fut et ce qui est?
Théo repart vers sa ville natale, espérant que ses parents seront dans leur maison pour l'accueillir. Mais ce monde ancien était-il si désirable? Théo se souvient de sa mère, fantasque et désespérante, émouvante et toxique; il se souvient de son père qui, par bonté, se laissa ruiner; et, tandis que ces deux êtres n'avaient pas su le protéger, il se souvient aussi de ses compagnons de misère qui l'ont soulagé et sauvé du typhus.
Théo vit maintenant dans un monde où les camps de concentration peuvent porter plus de nostalgie que ceux qui les ont laissé advenir.
Dans ce monde d'après, il n'y a plus ni repère ni mode d'emploi. Faut-il rester avec les autres quand le groupe représente à la fois l'entraide et l'adhésion irréfléchie de la foule, le meilleur et le pire de l'homme? Désormais, les routes d'Europe centrale sont hantées par des Juifs errants qui ne savent s'ils doivent partir ou rester, incapables de trouver un sens à leur vie de survivants.
Ainsi, Madeleine, malgré les soins dont elle bénéficie, ne parvient pas à guérir et ses plaies ne peuvent cicatriser.
Un homme, sur le chemin, couve ses ballots et ne peut avancer, lesté de trop de bagages. A-t-il plus de tort que la mère de Théo qui dépensa sans compter et accula son mari à la ruine?
Cette mère, Yetti, préférait les monastères aux synagogues: mais a-t-on le droit d'aimer la culture de son bourreau? (« C'est comme si tu disais: « Nous sommes tous des hommes, il n'y a pas de différences entre les assassins et les victimes. ») N'est-ce pas aussi parce que des intellectuels amoureux des livres et de la musique allemandes ont refusé de voir que l'Europe chrétienne, malgré tous leurs efforts d'assimilation, les méprisait, que la catastrophe est arrivée? « N'oublions jamais, ne serait-ce qu'un instant, ce que nous ont infligé les héritiers de la grande culture »
Mais lorsqu'un officier dit à Théo « Un être qui vit sans ce que lui ont transmis son père et sa mère est infirme, et nulles béquilles au monde ne pourront l'aider. », n'est-ce pas aussi une façon d'absoudre ses parents? le génocide doit-il retrancher les Juifs du reste du monde?
Et finalement, ce même officier enjoint aux vivants de vivre aussi pour les morts; il leur propose d'être les gardiens des valeurs acquises. Mais cette fin pleine d'espérance vient après tant de questionnements sans réponse qu'elle ne peut dissiper l'atroce mélancolie du récit. Les jours ont gardé une stupéfiante clarté: la nature se moque bien des souffrances des hommes et le soleil continue de briller, à l'étonnement de tous, quand le monde devrait prendre le deuil.
Ce n'est pas le désespoir de ce long voyage qui m'a empêchée d'apprécier toute la sèche poésie de ce livre. Plutôt la volonté de l'auteur d'écrire en paraboles: entre un héros nommé Théo Kornfeld (Dieu Champ de blé!), une mère nietzschéenne folle de musique et amoureuse d'un cheval, un père christique, une Madeleine, des verseuses de café aux allures de Samaritaines, j'ai passé mon temps à traquer la référence en me disant que je ratais la plupart des références.
Je n'ai pas ressenti d'émotions.
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Après la libération des camps, Theo Kornfeld, âgé de vingt ans, part sur les routes, seul, sans ses compagnons de déportation. Il a passé deux ans et demi dans le camp numéro 8, a vu mourir la plupart des hommes de son baraquement. Il doit la vie à ceux qui l'ont aidé tandis qu'il avait contracté le typhus. Maintenant, il rentre chez lui, à Sternberg, en Autriche. Il doit marcher, veiller à ne pas se perdre, ne pas revenir sur ses pas. Il plante des piquets çà et là pour en être certain. Il admire le paysage éblouissant qui s'offre à lui, s'arrête pour une contemplation volée à cette course contre la montre. « L'immense plaine s'étendait dans toute sa splendeur verte. Les ombres des bouleaux frémissaient sur le sol en silence. Une douce lumière de fin d'après-midi régnait, tel un cocon dans lequel l'on pouvait se blottir. » Sur le chemin, où errent de nombreux déportés, il ne cesse de faire des rencontres, notamment celle de Madeleine, survivante de la Shoah elle aussi, qui fut secrètement amoureuse de Martin, le père de Theo. C'est auprès de cette femme qu'il connaîtra peut-être un peu mieux ce père libraire si mystérieux.
D'autres déportés trouvent un sens à leur vie en distribuant du café et des sandwichs à ceux qui ont souffert de la faim et de la soif pendant plusieurs années. Offrir aux autres de quoi vivre, telle est maintenant leur mission. Avec certains, il discute, s'interroge, se dispute ou reste silencieux.
Et puis, Theo dort, souvent. Il tombe d'épuisement sans même s'en rendre compte et s'enfonce dans la profondeur des songes. Alors, il retrouve le visage de sa mère, Yetti, une très belle femme fantasque fascinée par la beauté des monastères chrétiens, notamment celui de Sankt Peter où elle contemple pendant des heures une icône de Jésus, oubliant momentanément son judaïsme. Elle admire aussi la musique de Bach, préférant initier son fils aux beautés du monde plutôt que de l'envoyer à l'école. « On ne peut pas se permettre de rater une belle vision que l'instant nous offre. » lui disait-elle souvent avant d'être déportée elle aussi.
Les personnages de Aharon Appelfeld évoluent entre veille et sommeil, divagations et rêves et si l' on ne perçoit pas toujours au premier abord le sens de leurs propos, tout laisse penser que ce qu'ils disent est essentiel. D'ailleurs, ces êtres semblant évoluer dans un monde onirique ont quelque chose de kafkaïen. Souvent rêve et réalité se confondent et l'on passe de l'un à l'autre au détour d'une phrase. C'est donc une traversée mystérieuse et énigmatique qu'il nous est donné de faire aux côtés de Theo.
Ce roman, à la fois poétique et philosophique, pose à travers les interrogations du personnage principal les grandes questions qui ne cessent de hanter le peuple juif : Pourquoi ? Quelle est notre faute ? Peut-on témoigner sur les camps et si oui, de quelle façon ? Ne vaut-il pas mieux se taire ? Faut-il « rester groupés » ou partir, s'éloigner du groupe ? Et si l'on s'éloigne, qui nous comprendra ? « Je ne comprends pas pourquoi les gens se rassemblent de nouveau. Ils n'ont pas appris la leçon ? » s'interroge Theo « Rester ensemble, toujours ? Toujours avec ceux dont la souffrance ne quitte pas le visage ? À ressasser ce qui s'est passé ? À accuser tantôt les autres, tantôt soi-même ? ».
Toutes ces questions reviennent à l'esprit du jeune Theo, de façon obsessionnelle, tandis qu'il progresse chaque jour un peu plus. Mais que va-t-il trouver en rentrant ? Ses parents déportés sont-ils encore vivants ? N'est-ce pas risqué de rentrer pour s'apercevoir que l'on est seul, qu'ils sont tous morts là-bas ?
« Nous devons accepter l'incompréhensible comme une part de nous-même… L'incompréhensible est plus fort que nous. On doit l'accepter, comme on accepte sa propre mort. » pense Madeleine. Terribles paroles… Peuvent-elles soulager ? Je ne sais pas...
Des jours d'une stupéfiante clarté a d'autant plus de force que l'on sait qu'il est le dernier livre de l'auteur, mort le 7 janvier 2018 à l'âge de 85 ans. En 1941, il avait été déporté enfant avec son père à la frontière ukrainienne dans un camp de travail de Transnistrie dont il s'était échappé en 1942, seul, à l'âge de dix ans. Il se cacha dans la forêt où il vécut pendant trois ans en mangeant tout ce qu'il pouvait trouver, fut hébergé par une prostituée et rejoignit une bande de voleurs de chevaux avant d'être enrôlé comme cuisinier par l'Armée Rouge. Après moult pérégrinations, il arrive en Palestine en 1946, à 13 ans. Il dira de son enfance qu'elle fut horrible, atroce, tout en précisant : « Je rends grâce à Dieu qu'ils n'aient pas pris l'enfant qui est en moi. » Il apprendra l'hébreu et enseignera à l'Université. Il retrouvera en 1957 son père en Israël. La littérature sera au coeur des travaux de l'auteur. Il pensait en effet qu'il était nécessaire de passer par la littérature pour dire la vérité parce qu'autrement, on ne le croirait pas… Stupéfiantes paroles.
Par ailleurs, la littérature lui permettait de combler les blancs et de lutter contre l'oubli. « Je n'écris pas des livres, j'écris la saga du peuple juif. » Un livre, toujours le même, comment peut-il en être autrement ?
Dans ce très beau roman testamentaire, dont l'écriture n'a de simplicité que les apparences, Theo semble être un double de l'auteur, porteur de ses doutes, de ses angoisses, du sentiment d'absurdité qui l'habite, un être pleurant la perte de la mère, amour absolu, dont il a été violemment privé.
Son personnage aura-t-il plus de chance que lui en retrouvant à la maison une mère et un père se tenant sur le seuil pour l'accueillir  et l'aimer ?
Quoi qu'il en soit, dorénavant, comme le dit un rescapé du désastre : « Malgré ce que nous avons éprouvé dans notre chair, nous nous battrons pour garder l'esprit lucide et la foi dans le bien. Et malgré la mort cruelle qui a voulu nous arracher nos parents et grands-parents, nous continuerons de vivre avec eux. Nous avons abattu la séparation entre la vie et la mort. » Peut-être le songe est-il le seul espace possible où les vivants et les morts se retrouvent et s'aiment…
Puissent-ils être heureux et rattraper un peu le temps perdu...
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Entre conte philosophique et récit onirique, Des jours d'une stupéfiante clarté est l'histoire de Théo, un Juif libéré d'un camp de concentration.

Aharon Appelfeld est lui-même un rescapé de camp de concentration et raconter l'après Shoah sous forme de roman pouvait s'avérer fort intéressant. Malheureusement, je n'ai pas du tout été captivée par cet ouvrage qui renferme pourtant une forme de poésie mais à laquelle je n'ai pas été sensible. Je regrette d'être passée à côté de ce livre et d'autant plus pour ce monsieur (décédé en 2018) qui a tenté de délivrer un message que je n'ai pas su capter.

L'histoire n'en est pas vraiment une, elle est plutôt un cheminement initiatique que son personnage, Théo donc, tente d'emprunter pour donner sens à ce qui lui est arrivé à lui et à ses "camarades".
Il repense continuellement à sa mère qu'il avait tant idolâtrée, elle qui l'emmenait voir les monastères, bien que Juive. Elle était émerveillée par ces édifices, les chants religieux et la nature. Elle poussait son fils dans cette quête d'enchantement, tandis que son père s'échinait à gagner l'argent nécessaire à ses caprices de voyages, de toilettes dernier cri et de cosmétique. Théo était sous le charme de sa mère si belle et ne se rendait pas compte que son exhalation alternée par des moments d'abattement était le symptôme de sa folie. Il n'a pas vu tous les sacrifices de son père et n'a pas su l'aimer.

Ces rappels à sa vie antérieure et intérieure reviennent comme une rengaine. Tandis que les échanges avec les autres rescapés sont sans cesse des questionnements : d'où viens-tu ? Où vas-tu ? etc. très répétitifs eux aussi et formulés sans naturel d'où l'impression d'interrogations philosophiques bien plus que d'immersion dans le réel de cet après.

Je suis demeurée en retrait et dans un brouillard qui ne m'a pas permis de voir cette stupéfiante clarté, quel dommage !
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1945, Théo, 20 ans quitte seul les camps de concentration laissant derrière lui ses compagnons. Il veut rentrer "chez lui" à Sternberg, en Autriche. Il avance, se souvient de son enfance, de sa mère fantasque, mystique, qui lui apprend la contemplation, s'arrête dans des camps de réfugiés, fait des rencontres. Madeleine blessée physiquement et moralement a bien connu le père de Théo. Grâce à elle, il découvre un être plus complexe qu'il ne le croyait car il a peu discuté avec lui, n'a pas cherché à le connaître.
Récit qui alterne veille, sommeil, rêves, souvenirs, questions existentielles, métaphysiques. Récit poétique et onirique, récit tragique qui traduit l'effondrement d'un monde, d'une culture, d'une civilisation mais aussi porteur d'espoir car la vie renait et que l'entraide entre les hommes a résisté à l'horreur. Récit d'apprentissage, initiatique, une marche géographique et intérieure. Théo apprend que les hommes sont doubles, que le monde est complexe, que le pouvoir du langage est limité et la contemplation transmise par sa mère lui est d'un grand secours.
Dernier roman d'Aharon Appelfeld mort en janvier 2018 dans lequel on retrouve son style, ses préoccupations.
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Théo, vingt ans, vient de quitter le camp de concentration allemand où il était depuis des années, les Russes sont venus les délivrer.
Maintenant il a pris la route et va essayer de rejoindre sa petite ville d'Autriche pour peut-être retrouver sa famille.
Son père sans doute pas car il a été déporté comme lui.
Mais sa mère, d'une santé mentale fragile, est peut-être encore là-bas.
Quelques rencontres en chemin lui redonnent des habitudes sociales presque normales, bien que tous ses compagnons de route viennent comme lui de passer des années effrayantes dans les camps.


Depuis « Histoire d'une vie » qui m'avait fait connaître Appelfeld, je lis la plupart de ses ouvrages.
Beaucoup de poésie et de rêverie adoucissent quelque peu le propos toujours dramatique.
Je me souviens lui avoir entendu dire qu'il n'avait jamais réussi à écrire sur les camps eux-mêmes et sur la vie là-bas.
Dans tous ses livres cette période n'est évoquée qu'à travers les sensations qui persistent des mois et des années après.
Ainsi les sensations de faim et de soif qui ne le quitteront jamais.
Il est mort au début de l'année et ce livre est sans doute le dernier, à moins que l'on retrouve quelques textes non publiés.
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Le jeune Théo Kornfeld, libéré du camp de concentration où il a été interné, rentre chez lui à pied. C'est le sujet de ce récit, qui n'est pas sous-titré "roman", ni "témoignage", ni "autobiographie", ni rien de semblable. On serait tenté de parler de structure picaresque, à cause des étapes, des rencontres, des situations traversées par le héros voyageur, mais le pittoresque et la drôlerie du roman picaresque sont ici absents. Théo Kornfeld se sent poursuivi par des remords et des vengeurs : ses camarades de captivité n'ont pas apprécié qu'il les quitte pour rentrer seul chez lui ; il a en quelque sorte trahi sa communauté pour renouer avec sa vie d'avant-guerre ; à une étape, il se défend contre un homme qui l'agresse, apprenant que sa mère fréquentait trop les monastères chrétiens : il se reproche d'avoir fait tomber son agresseur. Son voyage est ainsi parsemé de doutes, de questions, de remords, de souvenirs, de visions du passé ou bien du camp, ce qui fait que le récit se déroule sur plusieurs plans à la fois : la "réalité" du retour à la maison, les rêves du passé et ses dialogues avec les morts, les visions qu'il a de personnes qui lui parlent et à qui il répond, les souvenirs du camp. Mais aussi, la nourriture, le retour à une alimentation plus saine, le café, le sucre, la soupe, ces éléments ordinaires de la vie prennent une dimension miraculeuse pour tous ceux qui en ont été privés, de même que le sommeil, les réveils sans gardes ni brutalités, tout ce plaisir de vivre qui revient lentement à Théo à mesure qu'il voyage. Cette sensualité va de pair avec l'irréalité de ce beau récit qui s'étage en plusieurs plans de réel et de rêve. Loin d'être compliqué, ce texte au réalisme réfracté dans tous ces niveaux différents devient poétique, multiple et profondément attachant.
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Une parenthèse de quelques jours à la lecture de ce livre magnifique
Theo Kornfeld 20 ans sort d'un camp de concentration et décide de rentrer chez lui à pied en Autriche
Nous allons vivre avec lui ce retour , à la vie .
Récit poignant , les souvenirs de ses parents ,de sa famille , des amis , de sa vie d'avant
Les questionnements en filigrane après cette épreuve terrible
Tout est dit avec une poésie somptueuse , j'en suis bouleversée
Comment vivre et faire confiance aux "autres " après un tel chaos
La douleur est là mais comme cachée , par pudeur ….et les nons dits sont encore plus forts
Magnifique , à lire absolument …….éblouissant
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