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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je connaissais Hannah Arendt et son remarquable travail " les origines du totalitarisme ",c'est grâce à une biopic de la philosophe que j'ai découvert " Eichmann à Jérusalem " et la controverse que ce procès a suscité à l'époque.
Hannah Arendt a donc suivi le procès de Eichmann pour le magazine "new-yorker ".
Elle qui a fuit la barbarie nazi s'est vu attaqué lors de ses comptes rendus d'audience.
" l'hostilité à mon égard est une hostilité dirigée contre quelqu'un qui dit la vérité au niveau des faits, et non pas contre quelqu'un dont les idées contredisent celles communément admises ".
Quelles sont donc ces vérités qui ont dérangé ?
"Si les juifs n'avaient pas aidé au travail de la police et de l'administration - j'ai déjà mentionné comment la rafle ultime des juifs de Berlin fut l'oeuvre exclusive de la police juive - ( page 227).
Ou encore " partout où les juifs vivaient, il y avait des dirigeants juifs, reconnus comme tels, et cette direction presque sans exception a coopéré d'une façon ou d'une autre, pour une raison ou une autre avec les nazis ( page 239).
Elle a osé face à ses détracteurs dénoncer ces faits.
Eichmann on le sait a été kidnappé par les agents du mossad en 1960.
Celui qui fut le " responsable mais pas coupable " de la déportation était un personnage falot, plus préoccupé par son avancement personnel que par les millions de morts qui allaient jalonner son chemin.
" Eichmann à Jérusalem " est donc un livre sur la " banalité du mal " , à travers des chapitres biens documentés on découvre la méthodologie nazi du meurtre de masse.
C'est un ouvrage à la portée de tous contrairement " aux origines du totalitarisme ".
" Entre toutes les passions de l'esprit humain, l'une des plus violentes, c'est le désir de savoir " .
Bossuet
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Le procès d'Adolf Eichmann : 16 semaines de procès ; 4 mois de délibérés ; 15 chefs d'accusation, dont 12 passibles de la peine de mort ; des milliers de documents et de pages tirées des bandes de l'interrogatoire. « le procès est celui de ses actes, et non des souffrances des Juifs, il n'est pas celui du peuple allemand ou de l'humanité, pas même celui de l'antisémitisme et du racisme. » (p. 47)

Capturé en Argentine par le Mossad en 1960, interrogé, jugé et condamné à mort par pendaison à Jérusalem, Adolf Eichmann est un personnage déconcertant dont l'histoire et le procès n'ont cessé de pointer les bizarreries et l'impensable banalité. Hannah Arendt propose à la fois un portrait de cet homme et une longue revue détaillée de son procès. Elle revient sur l'histoire d'Eichmann et du Troisième Reich. Entre tentative d'éclaircissement et réflexion sur les fondements du mal, Eichmann à Jérusalem est un texte fondamental pour qui veut tenter de comprendre ce que fut la Shoah. « Nul n'est tenu d'obéir à des ordres manifestement criminels. » (p. 501)

Adolf Eichmann était un homme médiocre, sans grande intelligence, ni grande culture et parfaitement malhabile quand il s'agissait de s'exprimer. Il est extraordinaire qu'il ait réussi à occuper une telle place dans l'appareil de destruction nazi. Il avait le mérite d'être très organisé et zélé et c'est à force de travail qu'il devint spécialiste des affaires juives au sein du Reich. À noter qu'il n'était aucunement antisémite, ni même pro-aryen. Mais, fonctionnaire modèle, Adolf Eichmann souscrivait sans réserve aux thèses prônées par Hitler : incapable de remettre en cause la loi érigée par le Führer, il obéissait aux ordres. « Plus on l'écoutait, plus on se rendait à l'évidence que son incapacité à parler était étroitement liée à son incapacité à penser – à penser notamment du point de vue de quelqu'un d'autre. » (p. 118) Adolf Eichmann est un vantard qui passe par des phases d'euphorie et d'ennui profond. Lors de son interrogatoire et de son procès, il répondait par des phrases toutes faites et faisait montre d'une mémoire, sinon lacunaire, sinon profondément encline à réécrire l'histoire. « Malgré tous les efforts de l'accusation, tout le monde pouvait voir que cet homme n'était pas un "monstre" ; mais il était vraiment difficile de ne pas présumer que c'était un clown. » (p. 126)

Hannah Arendt remet en perspective le travail d'Adolf Eichmann. Avant d'en venir à l'extermination systématique et mécanique des Juifs d'Europe, le fonctionnaire a d'abord mis en oeuvre diverses solutions, telles que l'expulsion vers une autre terre. Aussi incroyable que cela semble, Eichmann avait pour obsession de mettre une terre sous les pieds des Juifs, ce qui fait de lui un sioniste convaincu et acharné. Quels que soient ses crimes, il a aidé des centaines de Juifs à quitter l'Allemagne dans des conditions favorables, sinon acceptables. Attention, il n'a rien d'un Schindler : l'objectif d'Eichmann était bien de rendre l'Allemagne jüdenrein, débarrassée des Juifs. Mais il faut accorder à Eichmann d'avoir vraiment cru qu'il était chargé de trouver une solution pour vider le pays des Juifs sans passer par la violence. Pendant un temps, ses vagues projets de déportation à Madagascar et ailleurs lui ont été laissés par un régime qui pensait déjà et depuis longtemps à une solution plus radicale. Et quand le Reich a finalement affiché ses véritables intentions, la grande faute d'Eichmann est de n'avoir pas protesté et d'avoir continué à oeuvrer pour le régime. « Comme Eichmann le déclara, le facteur le plus décisif pour la tranquillisation de sa conscience fut le simple fait qu'il ne vit personne, absolument personne qui ait pris effectivement position contre la Solution finale. » (p. 226) Un peu mouton, complètement embrigadé, Adolf Eichmann a suivi le mouvement. Et le tribunal de Jérusalem n'a pas porté cela à son crédit. « Il faisait son devoir, répéta-t-il mille fois à la police et au tribunal ; non seulement il obéissait aux ordres, mais il obéissait aussi à la loi. » (p. 253) Voilà le mal selon Eichmann : non un mal par principe, mais un mal selon la loi et selon les ordres. Voilà comment un homme aussi médiocre a pu présider à l'extermination de millions de Juifs. « Mis à part un zèle extraordinaire à s'occuper de son avancement personnel, il n'avait aucun mobile. Et un tel zèle n'est nullement criminel. [...] Simplement, il ne s'est jamais rendu compte de ce qu'il faisait, pour le dire de manière familière. » (p. 494) C'est sur cela qu'Hannah Arendt a fondé sa thèse sur la banalité du mal.

Dans sa cage de verre, Adolf Eichmann était représenté par l'avocat Robert Servatius, dont la défense se fondait sur deux principes : les crimes d'Eichmann étaient des crimes d'État – ce que le tribunal de Jérusalem n'a jamais concédé, car cela aurait empêché tout procès – et Eichmann était un bouc émissaire. Sous la présidence de Ben Gourion, le tribunal de Jérusalem était investi d'un grand rôle. « Et si pour Ben Gourion, "le verdict prononcé contre Eichmann lui était indifférent", la seule tâche du tribunal de Jérusalem était incontestablement d'en prononcer un. » (p. 71) le procès Eichmann, contrairement au procès de Nuremberg, a mis les Juifs en position d'acteurs et non seulement de victimes et de spectateurs. « On pensait que les Juifs n'avaient pas le droit d'apparaître comme juges dans leur propre cause, mais qu'ils devaient agir uniquement comme accusateurs. » (p. 468) Dans sa relecture de l'Histoire, Hannah Arendt soulève aussi les terribles secrets de l'extermination des Juifs, comme la coopération des autorités juives. « le juge Halévi découvrit, à partir du contre-interrogatoire d'Eichmann, que les nazis considéraient la coopération des Juifs comme la pierre angulaire même de leur politique juive. » (p. 238) Dans ce procès et dans L Histoire, il est toujours bien ardu de séparer le bien du mal, chacun frayant avec l'autre.

J'avais étudié ce texte en terminale pour un projet en binôme à présenter au baccalauréat. Je gardais de cet essai un souvenir confus, mais une expression m'est restée, celle de la banalité du mal. Cette relecture, dix ans après mon baccalauréat, a des saveurs de nostalgie, car je me suis revue bûchant sur ce texte que je trouvais alors ardu, dense et bien épais pour ma pauvre ambition lycéenne de connaissances. C'est très certainement avec cet ouvrage que j'ai « appris à penser ». La clarté du propos et de la démonstration permet d'explorer des thèses épineuses, sans toujours obtenir des réponses, et de relire un épisode historique tristement célèbre qu'il ne faut pas effacer. « Les oubliettes n'existent pas. Rien d'humain n'est à ce point parfait, et il y a simplement trop de gens dans le monde pour rendre l'oubli possible. Il restera toujours un survivant pour raconter l'histoire. » (p. 409) En relisant Eichmann à Jérusalem, j'ai souvent pensé à ma récente découverte de Leïb Rochmann, avec son texte À pas aveugles de par le monde. Voilà deux textes essentiels, certes bouleversants, mais nécessaires, indispensables. Et j'arrête là avec les synonymes pour vous conseiller de vous frotter au texte d'Hannah Arendt : il est accessible et passionnant.
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C'est en tant que reporter qu'Hannah Arendt se rend à Jérusalem pour couvrir le procès Eichmann. le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle maîtrise son sujet, tant du point de vue intellectuel – ses recherches l'attestent – qu'existentiel – elle qui, juive, a fui sa terre natale, l'Allemagne, et s'est réfugiée aux Etats-Unis.
De cette expérience – car c'en est une, étant donné l'accusé ! – naîtra ce livre qui ne donnera pas un coup de pied dans la fourmilière mais la pulvérisera. Arendt renversera en effet beaucoup de fausse idées sur la Solution finale et sa genèse, décortiquant chaque marche de cette descente en enfer avec méticulosité et surtout : sans compromis. Autrement dit, chacun aura sa part.
Le sujet central – à partir duquel Arendt étendra sa réflexion à l'ensemble des protagonistes de cette entreprise exterminatrice – est donc Adolf Eichmann, exécutant sans envergure des basses oeuvres idéologiques nazies. Et cependant rouage essentiel du « bon fonctionnement » de la machine. Eichmann est idéaliste mais surtout très obéissant. La parole d'Hitler c'est pour lui la loi, et on ne discute pas la loi. Ce personnage commun est de ce fait l'incarnation de ce qu'Arendt écrit en sous-titre : « la banalité du mal. » Parce qu'il l'est, banal, loin de ces figures « exceptionnelles » du régime.
Son importance a même été volontairement exagérée par certains accusés au procès de Nuremberg, en 1946, et par lui-même, au cours d'un entretien accordé à Sassen en Argentine, lui-même ancien SS.
Mais comme la Solution finale ne saurait se résumer à un seul homme, Arendt expose sans complaisance les éléments qui ont rendu possible un génocide organisé avec une précision d'orfèvre, où chacun s'acquittait d'une tâche précise et limitée. Ce qui permit son application avec une facilité déconcertante, et avec le concours des Juifs eux-mêmes, explique Arendt. Un massacre anarchique n'aurait jamais permis de tels « résultats ».
Idem, Arendt pointe les erreurs du procès et ses hors-sujet, ce qui nous fait songer qu'il a quelque part raté sa cible : on y a condamné un crime collectif et pas un individu, lequel a été la partie pour le tout. Et l'on se prend à « rêver » : en lieu et place d'Eichmann, un Himmler, un Goebbels ou, « mieux », Hitler en personne, et nous n'avions plus un exécutant bêtement convaincu mais un penseur de la Solution finale.
Au cours des séances, des témoignages se succéderont, sans rapport direct avec l'accusé. le procès devient un lieu de mémoire, et Eichmann, le symbole du crime.
Ce crime, différemment « apprécié » selon les pays sous influence nazie, Arendt explique qu'il a aussi été rendu possible par des volontés non-allemandes, et freiné par d'autres résolument opposées : on a, par exemple, la Roumanie, dont la cruauté envers les Juifs effraya jusqu'aux autorités allemandes – c'est dire ! –, et le Danemark qui, son roi en tête, oeuvra avec courage pour sauver les Juifs.
Il faut toutefois remettre la parution du livre dans son contexte. Nous sommes en 1963 et la « poussière » a été glissée sous le tapis. Arendt dérange alors les consciences oublieuses, sans outrance ni obsession mémorielle : elle se contente d'évoquer les faits.
Eichmann à Jérusalem obligera à repenser l'histoire de ce génocide. Aujourd'hui encore, il conserve sa force et, plus généralement, invite à une extrême rigueur lorsqu'il s'agit d'écrire l'Histoire. le pathos et l'idéologie n'y ont pas leur place. Ce texte est une réussite tant morale que factuelle.
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Présente à Jérusalem pour couvrir le procés Eichman pour la presse américaine , Hannah Arendt s'interroge sur la nature du mal. Voila ici un rapport sur la banalité du mal. Classer a tort dans le rayon théorie , ce texre est clairement l'un des rares textes philosophiques qui consistent en une lecture minutieuse , un examen des cas individuels du régime nazi. Les intentions d'Hannah Arendt sont clairements polémiques , donc clairement philosophiques. Hannah Arendt se pose ici la question du regard de l'opinion des masses sur les nazis , eux méme issus des masses. Pouvoir suivre le procés de l'un d'entre eux lui permet de voir quelle folie était à l'oeuvre en Allemagne et de se demander si cette folie pourrait se reproduire dans d'autres lieux du monde. Ce regard observateur a était mal percu à l'époque , alors qu'il était en réalité indispensable pour comprendre ce qui a pu entrainer des gens comme les autres dans la machine infernale nazie. Un tel regard apparait avec le recul comme indispensable à la société pour que celle ci ne connaisse plus ces pertes de repéres qui on entrainés la folie meurtiére. Les juges du procés sont dans l'attitude qui convient pour juger l'extraordinaire folie qui s'est manifestée a cette époque en laissant aux grands écrivains le soin de décrire pour le monde ce qu'il s'est produit pendant cette analyse du pire de l'histoire du monde, Hannah Arendt s'emploie pendant tout son texte à ne pas perdre de vue son objectif qui ètait de retranscrire de maniére objective le jugement du pire... Ce qui frappe ici c'est l'attachement de Hannah Arendt au formalisme au sens juridique du procés . Hannah Arendt décrit ici avec la plus grande précision les arcanes du totalitarisme , ne perdant pas de vu qu'Eichman était l'un des rouages majeurs de la machine nazie . Son étude et le constat philosophique qu'elle en retire sont des élèments fondamentaux pour notre monde actuel ou le totalitarisme par le biais du populisme peut revenir a la surface....
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A travers cet ouvrage essentiel, Hannah Arendt analyse non seulement : le procès de Adolf Eichmann à Jérusalem en 1961, mais également tout le contexte historique qui a conduit à l'horreur de la Shoah.

Il est stupéfiant de constater que lors de son procès, Eichmann prétendait ne pas se sentir responsable de la mort, de qui que soit, uniquement sous le prétexte ahurissant, qu'il n'aurait tué personne de ses propres mains (ce qui reste à démontrer).
Pour lui, le fait, comme il disait : d' »aider et d'encourager » à l'extermination de MILLIONS d'êtres humains, ne relevait aucunement de sa propre responsabilité.
Selon Eichmann, il ne faisait que son « devoir », il obéissait aux ordres, et cela ne lui posait donc aucun problème de CONSCIENCE.
« Arguments » évidemment, totalement inacceptables face à l'ampleur des FAITS et… de la MORALE !

Le seul moyen grotesque qu'il trouva pour sa défense, fut de MENTIR de manière éhontée.
En effet, sa seule stratégie aberrante de défense était donc de tout nier en bloc, alors qu'il été accusé d'être l'un des principaux organisateurs et responsables de l'horreur que fut : « La solution finale de la question Juive. »
Voici ce qu'il osa déclarer pendant son procès, page 75 :

« Je n'avais rien à voir avec l'assassinat des Juifs. Je n'ai jamais tué un Juif ni d'ailleurs un non-Juif – je n'ai jamais tué aucun être humain. Je n'ai jamais ordonné qu'on tue un Juif ou un non-Juif. Je ne l'ai simplement pas fait. »

Ce que Eichman acceptait donc éventuellement (ce qui pour lui ne paraissait étonnamment pas grave), c'était d'être « juste » coupable des crimes énoncés, page 430 :

« Il convient de rappeler qu'Eichmann avait affirmé de façon inébranlable qu'il n'était coupable que d'avoir « aidé et encouragé » l'exécution des crimes dont on l'accusait, qu'il n'avait jamais, personnellement, commis un crime manifeste. »

Hannah Arendt suggère qu'il s'était enfermé dans un schéma mental « d'automystification », en se mentant à lui-même afin de se dédouaner de sa propre responsabilité.

Alors, « automystification » ET/OU purement et simplement, ignoble ruse mûrement réfléchie pour tenter d'amoindrir son degré de responsabilité ?

Car en effet, à la fin de la guerre ce même bourreau, Eichmann, se vantait auprès des SS, d'avoir fait parti des principaux tortionnaires de cette barbarie, pages 113 et 114 :

« Je sauterai dans ma tombe en riant, car c'est une satisfaction extraordinaire pour moi que d'avoir sur la conscience la mort de cinq millions de Juifs » (ou « ennemis du Reich », c'est-ce qu'il a toujours prétendu avoir dit). »

Compte tenu de l'immensité des crimes, le Tribunal considérant judicieusement qu'il ne s'agissait pas d'un crime « ordinaire », le jugement porta donc sur la responsabilité globale de Eichmann, dans ses gigantesques Crimes contre l'Humanité et Génocide, page 430 et 431 :

« Considérant ses activités à la lumière de l'article 23 de notre code pénal, nous estimons qu'elles étaient essentiellement celles d'une personne sollicitant les conseils d'autrui, ou donnant à autrui des conseils et d'une personne qui en aidait d'autres ou leur permettait d'accomplir des actes criminels ». Mais « comme le crime en question est aussi énorme que complexe, qu'il supposait la participation d'un grand nombre de personnes, à différents niveaux et de différentes manières – les auteurs des plans, les organisateurs, les exécutants, chacun selon son rang – il n'y a pas grand intérêt à faire appel aux notions ordinaires de conseils donnés ou sollicités dans l'accomplissement du crime. Car ces crimes furent commis en masse, non seulement du point de vue du nombre des victimes, mais aussi du point de vue du nombre de ceux qui perpétrèrent le crime et, pour ce qui est du degré de responsabilité d'un de ces nombreux criminels quel qu'il soit, sa plus ou moins grande distance par rapport à celui qui tuait effectivement la victime ne veut rien dire. Au contraire, en général le degré de responsabilité augmente à mesure qu'on s'éloigne de l'homme qui manie l'instrument fatal de ses propres mains. »

Ce qui est certain, c'est que Eichmann n'était : ni fou ni idiot, mais un individu « normal », totalement dénué de toute conscience morale, incapable de faire la distinction entre le Bien et le Mal ; ce qu'exprime parfaitement Hannah Arendt, page 495 :

« Il n'était pas stupide. C'est la pure absence de pensée – ce qui n'est pas du tout la même chose que la stupidité – qui lui a permis de devenir un des plus grands criminels de son époque. »

Puis, toujours, page 495 :

« Qu'on puisse être à ce point éloigné de la réalité, à ce point dénué de pensée, que cela puisse faire plus de mal que tous les mauvais instincts réunis qui sont peut-être inhérents à l'homme – telle était effectivement la leçon qu'on pouvait apprendre à Jérusalem. Mais ce n'était qu'une leçon, ce n'était pas une explication du phénomène ni une théorie à ce sujet. »

Comme pour Rudolf Hoess le Commandant d'Auschwitz et de Franz Stangl le Commandant du centre d'extermination de Treblinka, on constate chez Eichmann l'absence de folie au sens pathologique du terme, car il était parfaitement déterminé à accomplir les ordres et les missions qui lui étaient confiés, concernant la : « Solution Finale ».

Il était ambitieux voire zélé dans l'accomplissement de son infâme « mission » exterminatrice.
De plus, il éprouvait à la fois un très grand mépris et une indifférence totale pour LA VIE HUMAINE. C'est ce que Hannah Arendt nomme la : « Banalité du MAL ».

Il n'est pas rassurant de se dire que de tout temps (passé, présent, futur) des hommes sont capables d'éprouver consciemment, une indifférence voire une certaine jubilation dans l'anéantissement d'AUTRUI. Et lorsque ces hommes se retrouvent à des postes à responsabilités dans des régimes Totalitaires, alors, ils sont capables d'exterminer des masses inouïes d'individus !

Il est tout aussi effrayant de constater que des : Eichmann, des Hoess, des Stangl, etc.., se comptaient par milliers en Allemagne, aux ORDRES du IIIème Reich d'Hitler, pendant la Seconde Guerre Mondiale. Certes, à des postes moins importants, mais en revanche, ce sont ces bourreaux qui étaient chargés de la basse besogne consistant à massacrer des populations entières, comme par exemple, les bataillons exterminateurs SS (les Einsatzgruppen).

Quant à la « passivité » d'une partie du Peuple Allemand (comme en France d'ailleurs, sous le Gouvernement de Vichy) dans la politique du IIIème Reich, cela relève d'un autre grand débat…

Eichmann fut condamné à mort le 15 décembre 1961 et pendu le 31 mai 1962.

Confer également d'autres ouvrages aussi passionnants sur le même thème, de :
Gitta Sereny « Au fond des ténèbres : un bourreau parle, Franz Stangl, commandant de Treblinka » ;
– Tzvetan Todorov Mémoire du mal, Tentation du bien : enquête sur le siècle ;
– Tzvetan Todorov Face à l'extrême ;
Rudolf Hoessle commandant d'Auschwitz parle ;
– Hannah Harendt le système totalitaire : Les origines du totalitarisme ;
– Shlomo Venezia Sonderkommando Sonderkommando : Dans l'enfer des chambres à gaz ;
– David Rousset L'Univers concentrationnaire ;
– Primo Levi Si c'est un homme ;
– Primo levi Les Naufragés et les Rescapés : Quarante ans après Auschwitz ;
– Michel Terestchenko Un si fragile vernis d'humanité : Banalité du mal, banalité du bien.
Lien : https://totalitarismes.wordp..
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Comment juger les criminels nazis? Comment établir leur part de responsabilité dans la machine de l'extermination? Ces criminels sont-ils des monstres ou des personnes ordinaires que le hasard a perverties? Les questions posées par Hannah Arendt sont redoutables. En décrivant le procès d'Eichmann, elle esquisse des réponses. Elle suit l'accusé dans sa minable carrière qui se mue en planification de la mort et montre son incapacité à se souvenir de l'essentiel et à comprendre à quel point ses actes sont odieux. Elle montre aussi comment l'accusation souvent ne s'intéresse pas directement au cas Eichmann ou comment elle surestime son rôle. Elle montre encore que les catégories juridiques habituelles deviennent obsolètes quand il s'agit de la Shoah. Eichmann prétend, comme tous les criminels nazis, n'avoir fait qu'obéir aux ordres, mais comme le système nazi en lui-même est criminel, obéir au moindre ordre qui en émane n'est-il pas également criminel? On se retrouve, à la fin de cette lecture, avec plus de questions encore qu'au début. C'est qu'un tel événement historique ne peut que nous interroger sans fin sur qui nous sommes.
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Un livre très bien écrit au travers duquel j'ai beaucoup appris
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Quelques notes non philosophiques. Lire ce compte rendu du proces d'Eichmann à Jérusalem plus de 50 ans après les faits permet d'aborder le propos avec un sang froid mêlé de l'inquiétude actuelle face à la montée des populismes en Occident. Ce que je retiens n'est pas tellement la formule célèbre d'Arendt sur la banalité du mal, mais l'absence d'intelligence d'Eichmann, les apsects historiques et géographiques de la Shoah et le manque de visibilité des communautés juives sur l'horreur qui suiverait l'étrange valse administrative qu'ils ont dansé avec les autorités Nazi.

Cela permet de se remettre les idées en place et de découvrir une pensée juridique de l'époque.

NB: sur les principaux points des polémiques autour de l'ouvrage et de la formule "banalité du mal", Arendt y répond assez bien dans les dernières parties et je ne suis pas certaine que ce texte soit le plus emblématique si dérive il y a eu. À voir en découvrant le reste de son oeuvre.
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Lu après avoir vu le film Hannah Arendt. C'est un condensé éclairé de la destruction des juifs d'Europe de Raul Hilberg et une réflexion sur le procès d'Eichmann en Israel. Et la polémique bien entendu, les positions tranchées et tranchantes d'Hannah Arendt... En affirmant que les lois rabbiniques empêchent le mariage d'un juif avec une non juive (page 49), en comparant Eichmann à un clown et non à un monstre par exemple (page 126) ou encore en arguant que si le peuple juif n'avait pas été organisé, n'avait pas coopéré avec les nazis, il y aurait eu moins de victimes (page 239). Lecture dérangeante mais qui nous pousse à réfléchir encore et encore à ce qui n'aurait pas dû arriver.
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Eichmann à Jérusalem est un livre écrit par Hannah Arendt en 1963 à partir d'un reportage journalistique publié dans le New Yorker. le livre dépasse le compte rendu ; Hannah Arendt y livre très vite son interprétation. Elle déplore d'ailleurs l'effet procès-spectacle que voulait donner le premier ministre d'Israël, et que joue le procureur, Hausner. Si cet effet spectacle s'inscrivait dans une propagande visant à convaincre “qu'un juif ne pouvait vivre honorablement qu'en Israël” (p.51), pour Hannah Arendt le procès est celui des actes d'Eichmann “et non des souffrances des juifs, il n'est même pas celui du peuple allemand ou de l'humanité, pas même celui de l'antisémitisme ou du racisme”. Et, au grand dam du procureur, les juges l'entendent bien ainsi.

Le livre a fait polémique. Hannah Arendt y décrit un Eichmann qui n'a rien d'une figure démoniaque (il ne supporte pas d'être sur le terrain), qui n'est même pas plus antisémite que ça (il évoque ses bonnes relations avec plusieurs représentants sionistes lorsque l'émigration était la règle et répète plusieurs fois qu'il “n'a rien personnellement contre les juifs”). Eichmann est un bureaucrate d'une immense administration criminelle. Il obéit à la loi, c'est à dire aux paroles d'Hitler, faisant figure de lois dans l'allemagne nazi ; et non aux ordres. Il désobéit d'ailleurs à un ordre direct d'Himmler lorsque, à la fin de la guerre, celui-ci voulant démanteler Auschwitz dans l'espoir d'assurer à l'Allemagne une bonne place dans les négociations. D'ailleurs, Eichmann plaide non-coupable à tous les chefs d'accusation “au sens de l'accusation” : il n'a pas donné d'ordre directs de tuer, il n'a tué directement, il n'avait pas d'intentions abjects. Il se décrit comme un “petit rouage”, obéissant, loin des sphères dirigeantes.

Au fil du livre, Hannah Arendt, en appui sur le développement du procès, décrit les responsabilités d'un Eichmann, sans initiative, revenant sur l'histoire du sort juifs à l'époque du troisième Reich, pays par pays. C'est l'occasion d'une documentation historique importante, qui, si elle est mise en question, plus tard, par d'autres recherches historiques, a pour mérite de participer (avec le documentaire Shoah de Lanzmann) à la seconde vague des études sur le génocide - la première vague était demeuré inaudible tant l'horreur dépassait l'entendement.

Le travail d'Hannah Arendt est d'une grande actualité. Il pose la question de notre responsabilité individuelle, face à la justice des hommes, lorsque nous sommes un “rouage” d'une administration, d'un système, meurtrier. Avec l'écocide de la consommation de masse, nous pouvons nous demander si, à l'instar d'Eichmann, nous sommes coupables des crimes (néo-coloniaux, écologiques) liées à notre consommation quotidienne, même si nous n'avons “rien personnellement” contre le monde dans lequel nous vivons ?
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