Une fois de plus, j'ai beaucoup apprécié cette nouvelle
De Balzac, déjà lue antérieurement, mais relue avec une expérience différente de l'oeuvre. Tout simplement,
Balzac réussit le tour de force de nous émouvoir et de nous charmer avec le destin malheureux d'une jeune noble, tête-à-claques et trop gâtée.
Emilie de Fontaine est une jeune fille en âge de se marier au tournant d'une situation politique particulière : nous sommes sous la Seconde Restauration, et son père a participé à la guerre des Vendéens contre la République. Il y a perdu beaucoup d'argent, mais heureusement, après les Cent Jours, il revient en faveur auprès du roi Louis XVIII, qui apprécie sa fidélité et son esprit.
Toutefois, le Comte a trois fils à placer et trois filles à marier, la dernière n'étant pas la plus facile, de par ses goûts et prétentions. En effet, Emilie est habituée depuis toute petite à obtenir tout ce qu'elle veut. Elle s'est fait une représentation très élevée du prétendant qui trouverait grâce à ses yeux : outre des qualités physiques et morales exemplaires, il devra impérativement être noble, et si possible, pair de France. Elle est cruelle par esprit et éconduit dans la douleur de nombreux jeunes gens. Elle est malgré tout appréciée pour sa beauté et son éducation, sinon sa gentillesse et sa modestie ! Lors d'un séjour à la campagne, elle se rend par amusement au bal de Sceaux, divertissement réputé dans la région, et rencontre un mystérieux jeune homme, qui répondrait à tous ses voeux, si toutefois elle avait l'assurance qu'il soit de "bonne famille". Toute la famille Fontaine se passionne pour l'affaire, jusqu'à son oncle, vieux corsaire, qui prend les renseignements voulus et manoeuvre pour que sa nièce chérie obtienne satisfaction. Emilie saura-t-elle conjuguer l'amour qui vient de naître entre elle et Maximilien avec ses ambitions, et au besoin reconsidérer celles-ci pour faire le mariage heureux qu'elle attend ?
Nous suivons, captivés et quelque peu blasés, les démarches d'Emilie et de son oncle - quel sacré personnage, cet ancien marin qui n'a rien perdu de son franc-parler ! - pour en apprendre plus au sujet de la situation sociale et financière des Longueville, famille à laquelle appartient Maximilien, jeune homme doué de tant de qualités, à commencer par sa générosité, et sans doute appelé avec un peu de temps à un brillant avenir.
C'est à la fois un milieu social qui nous est ici évoqué avec précision, un mode de vie, dans une marche un peu forcée vers la modernité, avec les freins que cela suppose chez la vieille noblesse consciente de ses prérogatives, ou du moins celles qu'elle devrait conserver. Emilie pourrait être une brave jeune fille, mais elle a de toute évidence été un peu victime de son éducation, son caractère fier et vif aidant. Elle est capable de s'amender, de se faire aimer, mais il faut peu de choses également pour que, dans ce monde, elle s'aliène les bonnes volontés de par son esprit caustique qu'elle ne sait pas museler, dans les moments les plus stratégiques. On aurait vite fait de penser qu'elle n'a que ce qu'elle mérite, mais attention : c'est à
Balzac qu'on a affaire ! Par la subtilité de son analyse et l'admirable capacité de son écriture à examiner et à nuancer tous les événements, nous ne pouvons être que charmés par cet éveil à l'amour, la chance de bonheur qu'il offre, la symbiose dans laquelle il place les jeunes amoureux avec la nature resplendissante en cette belle saison - comme nous serons émus par la mélancolie qui se dégage ensuite des choix d'Emilie, qui ira pourtant bravement jusqu'au bout de ses convictions.
Balzac nous offre une belle réflexion sur la place du bonheur individuel au sein d'une caste sociale, ainsi que sur l'importance de l'éducation des jeunes gens, pour qu'une certaine humilité offre davantage de chances de bonheur.