Il fallait oser, Mr Baricco, trouver ce titre à votre roman,
cette histoire là... et quelle histoire, ou plutôt quelles histoires. Ce sont les histoires d'une vie, mais aussi, intriquées celles d'autres vies. Et là est tout le talent d'A. Baricco, de nous faire traverser, à partir de la vie du personnage central qu'est Ultimo Parri, sorte d'axe de direction du roman, celle de mutliples personnages tous aussi attachants que riches et complexes. Son père, sa mère, un aristocrate italien, un soldat, des officiers, une enfant émigrée russe, puis la même devenue jeune femme, puis enfin encore la même devenue femme mariée, riche et capricieuse, des héros, des traitres, des lâches, des entrepreneurs, des voyous, des vicieux, des simples, brefs des hommes et des femmes éternels.
Au delà de ces vies imbriquées, des histoires , parfois vraies, comme le drame italien que fût la bataille de Caporetto. L'histoire de la révolution russe, des débuts de l'automobile et des courses automobiles, de la guerre, des Etats-unis de la grande dépression, de l'Europe des trente glorieuses. Mais si tout ceci n'était que prétexte.
Prétexte, car comme toujours, Baricco ajoute beaucoup de technique, de mécanique (ici automobile, piano, armes..) à son univers, comme si toutes ces machineries, ces "progrès", n'étaient en fait qu'une grande métaphore de notre capacité à accepter la fatalité de nos existences et de leur caractère vain, mécanique qui se décline en fait en mécanique romanesque pour aussi constituer le moteur, l'"axe de direction" (comme dans les
Chateaux de la colère). Prétexte encore, car comme toujours chez Baricco, l'amour est tragique, loupé, manqué, inexprimé, impossible, raté, un peu à la façon d'un Schiller pour qui "celui là seul connaît l'amour qui aime sans espoir". Prétexte enfin, car il s'agit comme toujours, de l'odyssée de personnages en leur temps, en des lieux tellement éloignés les uns des autres, que tous repères sont absurdes.
Ce roman est donc une jubilation à l'état pur, du vrai Baricco, brillant, étincelant, une mécanique romanesque aussi invisible qu'efficace, un style flamboyant, de grandioses pages au coeur des sentiments humains, et une finale fataliste, désabusée, mais accomplie.
Les plus: un superbe exercice romanesque au montage complexe et subtil, des personnages hauts en couleurs, des histoires dans "
cette histoire là", des dialogues - monologues- (le journal d'Elisaveta est un pur joyau), des sentiments forts et vrais, des leçons de vie, si, si....
Les moins : l'effet de surprise n'est plus celui rencontré à la lecture de
Soie ou de
City, mais on l'aime tant ce style Baricco.......