"La terre qui ne ment pas"
Ce propos est celui de Pétain, le 25 juin 1940. Il s'oppose naturellement à ceux qui mentent : politiciens de la IIIe République, intellectuels dégénérés, bientôt les Juifs. Or,
Ravage de René Berjavel a été publié en 1943. Il est ainsi dans l'air du temps, celui de la Révolution nationale qui met en exergue la devise "Travail, Famille, Patrie". D'ailleurs, le roman est publié dans un premier sous forme de feuilleton dans le journal collaborationniste Je suis partout. Je l'ai lu il y a près de 40 ans (au lycée); pourtant son souvenir est toujours vivace. Est-ce parce que c'est le premier roman post-apocalyptique que j'ai lu? Je me souviens d'avoir lu de ce même auteur à l'époque,
le voyageur imprudent et
La nuit des temps (au collège). Je les avais beaucoup apprécié. Quant au roman qui retient actuellement mon attention, mon regard avait été mitigé et je ne savais pas pourquoi. Or, à la lecture de l'essai d'
Ariel Kyrou,
Dans les imaginaires du futur; je sais désormais la raison de mon malaise d'antan.
Ravage a la particularité de décrire un avant et un après l'apocalypse. La catastrophe est prévisible par la description d'une société ultra-moderne où dieu a disparu. 25 ans plus tard, on a la description d'une société dominée par un patriarche qui a fait 17 enfants à sa compagne, "réarmement démographique" que doit approuver la Bête immonde. Ce choix d'un futur post-apocalyptique est politique et fait écho aux événements contemporains. .
René Barjavel critique un monde robotisé. On a l'impression d'entendre La complainte du progrès de
Boris Vian à travers l'énumération d'objets hétéroclites et absurdes. L'apocalypse n'est pas prévisible pour les contemporains. Des tâches solaires apparaissent et engendrent des perturbations électriques. On parle peut-être d'un réchauffement climatiques. Or, un soir de juin 2052, tout cesse de fonctionner. Plus de courant, plus de lumière. On a l'impression qu'un doigt accusateur a appuyé sur l'interrupteur.
Alors apparaît le "héros" du roman au patronyme bien trop évocateur de l'idéologie réactionnaire de l'auteur,
François Deschamps, jeune homme venu à Paris poursuivre ses études. Ses propos ne laissent aucune ambigüité sur son sentiment face à la catastrophe.: "La nature est en train de tout remettre en ordre". On a l'impression d'entendre
Charles Maurras parlant de "divine surprise" à l'arrivée de Pétain à la tête de l'Etat fantoche de Vichy.
Le fameux François, prénom choisi à bon escient, descend vers un éden hypothétique, sa région d'enfance, la Provence. Il se fait le chef totalitaire d'un troupe de survivants fuyant d'immenses brasiers. Il passe à proximité de pauvres hères anthropophages. Magnanime, il prend sous son aile la pauvre jeune fille qui l'avait quitté pour une vie de strass et de paillettes. Pauvre petite femelle éplorée dont il aura plus tard 17 suppôts de "la manif pour tous". Ces derniers seront les fers de lance d'un monde sans technologie mais ayant retrouvé les vrais valeurs, celles d'un dieu rédempteur.
Nous avons dans ce roman la synthèse de la pensée nauséeuse de "la manif pour tous" qui remet en cause la modernité car cette dernère a renié Dieu. On a l'impression d'être sur un plateau de l'ignoble Pacsal Praud. A noter qu'au nom du refus de la modernité, le descendant de
Christine Boutin fait bruler les livres, car considérés comme dangereux.
Je me suis laissé avoir à l'époque par le talent certain de l'auteur à nous narrer son apocalypse. Mais celui-ci est profondément réactionnaire. Il nous décrit l'évolution d'un jeune homme triste d'avoir été quitté en un tyran despotique, établissant une société phallocratique et ultra-violente; à l'image d'Immortan Joe.
Je déconseille vivement.