Des poètes et non des moindres, ceux qui furent les "poètes de la Résistance", ont donné leur voix aux vicissitudes d'alors. Je ne me voyais pas emboucher ce clairon. Pendant qu'Aragon, Eluard, Pierre Emmanuel et d'autres se faisaient l'écho d'un patriotisme de circonstance, les porte-voix d'une renaissance barrésienne, je vivais replié, refermé sur moi-même, m'efforçant de trouver un langage exprimant non ce refus, mais, dans une époque d'anéantissement, le point où subsisterait encore un espoir de continuité, ce point secret que nulle éventualité ne peut atteindre. (p.26)
Ce métier de courtier en ouvrages précieux ou rares m'initiait aux fluctuations des goûts et aux vraies valeurs, ajoutant un fleuron à ma panoplie d'expériences. Il réclame une grande connaissance. Plus d'un des bougres qui l'exercent, farouches individualistes, souvent "anars" de droite ou de gauche, en savent plus sur la littérature contemporaine qu'un énarque. Les plus grands écrivains le pratiquaient avant moi, qui affectèrent ensuite de mépriser le négoce. (p.83)
Une boutique est un lieu privilégié. les gens les plus divers entrent et sortent. Quels que soient ses dimensions, son installation, l'endroit où elle se trouve, une particularité lui est commune: la porte ouverte sur la rue. (p. 9)
A la fin des années trente, j'étais encore marchand de chapeaux, mais l'appartement au-dessus de la chapellerie, à Montargis, était rempli de livres qui, pour moi, représentaient la liberté. Vases communicants : du jour où je parviendrais à vivre entièrement parmi les livres j' acquerrais la liberté. La solution- Le compromis- consistait à remplacer les chapeaux par les livres. pourtant je n'envisageais encore nullement de devenir libraire. Mais de plus en plus je me sentais attiré, hanté, appelé par la Poésie, mot que je n'écrivais jamais sans majuscule. Elle seule m'apparaissait comme une porte ouverte sur le monde. (p.10)