La Charogne de
Charles Baudelaire est un de mes poèmes préférés depuis ma première lecture à 10 ans. J'avais été frappée par l'image dérangeante de cette carcasse en décomposition, “son ventre plein d'exhalaisons” et par la violence des mots de
Baudelaire à sa Muse (Jeanne Duval).
Quand j'ai appris que l'autrice des Petites Reines s'en était inspirée pour tisser
Décomposée, j'ai acheté ce livre. Je ne l'ai plus lâché jusqu'à la dernière page. Et je l'ai relu une 2ème fois car le texte me hantait.
Clémentine Beauvais nous offre ici un magnifique texte en vers libres d'une inventivité audacieuse, par ses jeux de formes, sa profusion de genres (tour à tour poème, dialogues théâtraux, monologues, théâtre antique avec son choeur de femmes, jeux de langues…). L'autrice joue avec la forme et les mots d'une manière très intelligente et nous propose un texte qui fait autant appel à nos sens et à nos émotions qu'à notre intellect.
“Tandis que sur mon corps se compose un poème”
La Charogne, c'est Grâce, une femme du XIXème siècle qui essaie de survivre dans un monde dur avec les femmes. Au rythme de la chair en décomposition, l'autrice recompose son histoire. Par ses jeux de langage, elle la coud, la tricote, au fil des souvenirs de Grâce qui peu à peu se décomposent eux aussi. Clémentine donne une voix à Grâce et à Jeanne Duval, la muse de
Baudelaire, et à travers elles, ce sont les voix des Femmes qui se font entendre. les Voix de “ses soeurs”.
Décomposée c'est une histoire de corps, de violence, de lutte et de vengeance. Mais c'est aussi une histoire d'amour, de famille, de sororité. Une histoire de Femmes et d'émancipation. C'est un texte puissant, humain, touchant, révoltant, vibrant, cru, sarcastique, bouleversant...
Ce texte a été un énorme coup de coeur, une claque tant par le style que par la forme. J'ai vibré, frissonné, été émue, j'ai eu des papillons dans le ventre devant la beauté de certains vers... Je me suis remise à lire de la poésie depuis.
Juste une dernière remarque, je voulais revenir sur le choix du prénom “Grâce”. Il a évoqué chez moi tellement de choses tout au long de ma lecture. Déjà par le rappel des 3 Grâces, les déesses de la beauté et de la créativité dans l'Antiquité grecque. Grâce devient elle-même la Muse de
Baudelaire, lui inspirant au détour du chemin un poème, mais elle est aussi celle de Clémentine.
“une Grâce” c'est aussi ce que l'héroïne accorde aux femmes désespérées qui viennent la voir pour les “libérer”.
Mais “grâce”, c'est surtout le cri de douleur des femmes battues, violentées, meurtries par les hommes et par ce siècle dur.