J'ai choisi ce livre un peu au hasard, cet auteur canadien francophone, qui écrit essentiellement pour la jeunesse, m'était tout à fait inconnu, mais pourquoi pas ?
On a là un roman plein de potentiel… mais qui reste désespérément plat tout du long. C'est une bande d'adolescents de dernière année qui partent en voyage scolaire (et de détente !) au Mexique, dans la péninsule du Yucatan, avec quelques enseignants. Lorsque l'une des filles du groupe disparaît brutalement, c'est le choc pour tout le monde, et en particulier pour son frère jumeau. Sous l'impulsions de la prof d'espagnol déterminée à remuer ciel et terre, et avec l'arrivée d'une grand-mère très moderne, très vite suivie par celle des parents, peu à peu les choses se mettent en place pour la retrouver à tout prix – avec l'aide de la police locale, dont on relève l'incorruptibilité tellement rare mais qui sert justement bien le roman, ou avec l'appel à la presse dans un pays qui n'a vraisemblablement pas de dispositif comparable à « alerte-enlèvement » ou « child focus ». Parallèlement à ça, on suit les mésaventures de la jeune fille disparue aux mains de ses ravisseurs, par des passages en italique à la 1re personne du singulier à la fin de chaque chapitre, tandis que plusieurs éléments semés sans grande finesse laissent deviner à qui on doit cette disparition (sans aucune certitude cependant) longtemps avant la révélation finale.
Ce qui rend ce livre peu crédible, en fait, c'est un certaine « facilité », et une surabondance de détails inutiles. D'une part, les personnages principaux sont issus d'un milieu privilégié, ils prennent l'avion d'Ottawa à Cancún comme je prends le tram pour aller au bout de ma rue, sans se poser la moindre question financière ; ils se permettent tout et n'importe quoi avec les locaux au Mexique du haut de leur statut d'ex-avocate ou de médecin sûr de lui, c'est tout juste s'ils ne les considèrent pas un peu comme leurs larbins. Bien sûr, ce n'est pas gênant en soi (quoique)… mais ça laisse planer cette question somme toute horrible : la jeune fille disparue aurait-elle eu la moindre chance d'être retrouvée si elle était issue d'un milieu moins privilégié ? En outre, il y a cette permanente « bonne éducation » un peu exagérée : la moindre friction entre les élèves (car bien sûr il y en a ! et l'une d'elles m'a presque fait espérer que ça bougerait un peu, mais à peine…) s'apaise avec un seul mot d'adulte, et ces jeunes s'excusent quoi qu'il arrive… je suis vraiment dubitative ! quand je vois mes propres enfants, qui n'ont même pas encore atteint le plus fort de leur adolescence, et qui sont pourtant « bien élevés » (ce n'est pas moi qui le dis ! mais on me le dit parfois, peut-être juste pour me rassurer ?) et éduqués dans une école considérée comme élitiste par certains, leur comportement pourtant sage –en général- est à des années-lumière de ce qui est montré ici ! Soit l'auteur écrit son rêve d'ados sans tenir compte de la réalité, soit les jeunes Canadiens de 17 ans sont des exemples pour les ados du monde entier ! Mais sincèrement, je n'y crois pas une seule seconde…
D'autre part, ce récit est parasité par une surabondance de détails de la vie quotidienne qui ne servent pas à grand-chose ! Déjà, l'intrigue même (c'est-à-dire le départ pour le Mexique) ne commence qu'après 25%, ce premier quart ayant été consacré à l'explication de ce qui va être mis en place pour pouvoir financer ce voyage pour ceux qui ont moins de moyens – oui, rendons justice à l'auteur : au moins il y a un peu pensé ! Mais franchement, ça n'a aucun intérêt en lien avec l'intrigue, ça aurait pu (dû) être beaucoup plus court.
Ensuite, avant l'enlèvement même, on a plusieurs scènes des visites touristiques au Mexique – et là, à nouveau, je suis partagée : d'un côté, on voit que l'auteur a déjà visité le coin et l'a beaucoup apprécié, il y a un vague sentiment de passion qui en ressort (mais alors une passion bien calme), mais d'un autre côté, ça ne fait que ralentir l'intrigue !
Mais surtout, quand je parle de surabondance de détails, c'est le fait que chaque petit geste est détaillé en toutes circonstances : on fait les valises avec les protagonistes, on passe à la salle de bains avec eux, on boucle sa ceinture dans l'avion avant le décollage avec eux, on arrive à l'hôtel avec eux, on va au restaurant avec eux et on choisit les plats avec eux, c'est tout juste si on ne compte pas les grains de sable avec eux ! Ce procédé peut être intéressant selon le contexte, mais quand c'est tout le temps, tout le temps, tout le temps, ça devient passablement ennuyeux, sans faire avancer l'intrigue.
A vrai dire, le plus problématique avec ça, c'est que les événements réellement importants, ce qui fait bouger l'histoire, sont traités exactement de la même façon. Dès lors, ni l'action ni les émotions ne parviennent à se dégager de l'ensemble, tout est présenté de façon similaire entouré d'une certaine gangue d'ennui. Pour donner un exemple concret, qui je l'espère n'est pas spoilant, l'auteur nous explique que Félix, le frère jumeau de la disparue, pleure sa soeur pour qui il s'inquiète, de la même façon qu'il range ses chaussettes dans sa valise. C'est ensuite pareil pour les parents quand ils arrivent à leur tour au Mexique. On est dans le même registre, dans le même exposé de faits, sans jamais susciter de vraie émotion. Ces parents-là bien raisonnables traitent la disparition de leur fille comme ils traitent n'importe quelle urgence dans la vie, eux les médecins qui vont régulièrement en mission pour MSF, sans avoir l'air d'être réellement touchés – or ça, la mère en moi ne peut pas y croire ! Si ma fille venait à disparaître lors d'un voyage scolaire à l'étranger, je ne pourrais certainement pas rester aussi stoïque que ce qu'on dit de cette femme-là ! J'aurais pleuré, j'aurais crié, j'aurais tempêté et on aurait sans doute dû me mettre sous anxiolytiques ! Mais elle, elle a l'air aussi malheureuse que si elle avait perdu son portefeuille… alors que c'est de sa fille qu'l s'agit !
De façon similaire, même les passages en italique consacrés à Valérie, la disparue, souffrent de cette absence de vrai suspense : on a peur avec elle pendant quelques pages, mais très vite tout redevient analytique sans vraie émotion.
Tout cela est peut-être lié à un défaut assez classique contre lequel on m'a plus d'une fois mise en garde en atelier d'écriture : expliquer les choses, c'est bien, mais ça ne suffit pas. Il faut aussi montrer les choses. Dire que Félix a fait un cauchemar, ça peut passer, mais à moins de vouloir faire au plus court, c'est très insuffisant, voire inutile ; il faut idéalement plonger le lecteur dans le cauchemar de Félix, il faut qu'on ait l'impression d'émerger avec lui dans ses draps mouillés de transpiration et de larmes et qu'on se débatte dans notre propre lit avec un sentiment d'urgence – mais cela n'arrive jamais ! Si seulement Félix ne faisait pas sa valise tout gentiment juste après, il serait peut-être plus crédible – le lecteur veut des sentiments forts, alors qu'il s'en fout de la valise ! (pour le dire un peu brutalement)
Cela dit, j'ai quand même continué de lire sans ennui majeur. Sans être exceptionnelle, l'écriture est plutôt fluide et légère, assez agréable. On « sent » de façon évidente le prof de français dans cet auteur, car tout est toujours très didactique (un peu trop à mon goût, même, et ça contribue sans doute au manque d'émotion). En outre, même si la plupart des éléments de ce livre sont improbables, tant sur le fond qui tombe quand même très souvent dans un certain cliché du Mexique, que sur la forme très lisse, l'ensemble dégage une impression de sympathie un peu naïve. Ainsi, ce livre a un indéniable côté « lecture reposante » qui tombait bien à pic – sachant que je sors d'un brûlot de près de 1.200 pages sur les atrocités commises par les Ku Klux Klan : ici, en comparaison, on est dans le monde des Bisounours ! or, j'avais sans doute bien besoin d'une lecture aussi peu bousculante (oui, j'invente le mot) à ce moment précis de mon calendrier de lectures. Si je l'avais lu à un autre moment, j'aurais peut-être été bien plus critique…
Au final, le principal intérêt de ce livre réside, pour moi, dans la langue. Les auteurs canadiens francophones restent relativement confidentiels dans notre vieille Europe ! On trouve sans trop de mal un certain nombre de best-sellers plus ou moins récents, la plupart écrits en anglais et traduits en français – et alors vraisemblablement par des traducteurs de chez nous, ou qui pour le moins ont veillé à utiliser un français international neutre. En revanche, j'ai trouvé nettement moins d'auteurs canadiens francophones, parmi eux encore moins qui ne soient pas diffusés à prix prohibitif (le broché de celui-ci coûte 34,28€ ! c'est à peu près le double d'un roman jeunesse édité en France… heureusement qu'il était aussi disponible en Kindle !), et parmi ces derniers quasi-aucun qui corresponde à mes goûts littéraires…
Dès lors, découvrir un livre écrit par un enseignant canadien francophone, à destination de jeunes Canadiens francophones, qui affiche sans aucun complexe sa québécitude (ou canaditude ? puisque Ottawa, d'où tout démarre et d'où vient l'auteur, n'est géographiquement pas tout à fait au Québec), c'est vraiment très savoureux ! Ce roman est truffé d'expressions qu'on n'entend pas chez nous. Certaines sont connues ou se devinent sans souci, et me font tout au plus le même effet que quand j'entends un Français me parler à coups de soixante-dix ou quatre-vingt-dix. D'autres me plaisent car elles insistent sur la francophonie – c'est un phénomène connu de la part du Canada francophone, mais qui m'interpelle, car ici (en Belgique, et je pense aussi en France) on intègre les mots d'autres origines, notamment anglo-américaine, sans sourciller… mais nous ne souffrons pas de la proximité (voire l'inclusion) géographique d'un géant anglophone à l'heure où l'anglais (américain) s'impose comme langue-clé dans le monde entier. Par ailleurs, à l'échelle de ma petite Belgique, l'influence toute relative de la langue néerlandaise (flamande) reste plutôt anecdotique – dès lors, on se préserve beaucoup moins ! Ainsi, ça fait quelque peu sourire, mais avec un brin de nostalgie teinté de jalousie linguistique, de voir un selfie devenir un égoportrait, ou un smartphone devenir, à très juste titre d'ailleurs, un téléphone intelligent, tout simplement… Et ce ne sont là que deux exemples, mais j'en ai relevé pas mal d'autres ! Enfin, certaines autres expressions sont tout à fait inconnues, et si elles ne gênent pas à la compréhension générale du livre, j'ai quand même dû rechercher leur signification exacte.
Quoi qu'il en soit, ce livre a réveillé et enchanté mon intérêt pour la langue française dans toutes ses variations. Rien que pour ça, il vaut le détour ! ce n'est pas tout à fait suffisant pour en faire un vraiment bon livre, mais au moins j'ai passé un moment agréable, sans grande révélation ni excitation littéraire. Ce roman est trop marqué par son manque d'émotion, si ce n'est d'ordre linguistique… mais c'est déjà mieux que rien !
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