« Rien que des mots,
Des mots faciles, des mots fragiles,
C'était trop beau.
Des mots magiques, des mots tactiques,
Qui sonnent faux.
Encore des mots, toujours des mots ».
Des paroles, qui s'envolent, et la voix, de Dalida.
Comme ce bol, qui tombe au sol, et la soie, qui le guida.
L'émotion des mots, l'émoi de les dire, et moi ?
Emu je fus, à la lecture de ce petit roman de
Jeanne Benameur.
Etonnante, l'association de ces deux mots,
Jeanne Benameur, aucune lettre ne descend, quatre e, trois n, à létal du marché de Padipado, il y aurait-il un anagramme ?
Ame enrubannée j. L'âme enrubannée gît.
Et
la patience des traces, une contrepèterie ? La science des patrasses.
Patrasse, en patois provençal, haillon.
Il n'y a jamais de hasard, les mots résonnent, des rubans de haillons, vraiment de quoi faire gésir l'âme !
C'est pourquoi le tissu est au coeur du livre, il se livre, il cache, il découvre, il suggère, il enveloppe, il réchauffe, le corps et l'âme.
Vous êtes encore là ? Pas las, j'espère, si je vous perds, j'ai les nerfs, hélas !
Revenons au bol, maladresse, la chute le casse, éclatement des souvenirs, les étapes de la vie qui ressurgissent, pas d'bol !
Surtout que c'est celle d'un analyste, psy pour les intimes, il va donc la disséquer sa vie, le Simon.
Revenons au livre, non, pas au contenu, au contenant. Facile à tenir, j'aime le petit format de chez
Actes Sud, de la hauteur, mais peu de largeur, les lignes ont peu de mots, les yeux n'ont pas besoin de se fatiguer, ça se lit sans faire d'effort, le confort du lecteur, j'apprécie cet effort.
La couverture est presque floue, on y devine des fleurs sur une branche d'arbre, on imagine un rose éclatant, et pourtant c'est sépia. L'évocation du passé, c'est sûr, un passé composé, mais y a des morceaux à recoller, un passé décomposé, tout à recomposer.
Louise et Mathieu, ses amis, vont s'en occuper, de la psychanalyse, et Lucie, la patiente, qui cherche son moi en s'allongeant sur le canapé, mais qui n'en a plus de patience, et disparaît, sans crier gare. Car, des années plus tard, ce n'est pas en train qu'elle part, mais en avion, et Simon la croise dans l'aéroport, lui en partance pour le Japon, il se met enfin en vacance, un choix assumé, ni bon ni mauvais, juste nippon.
Il n'y a jamais de hasard, le destin est écrit, le festin est décrit, parfois des crimes, et ça qui ment.
N'allez pas croire qu'ils vont se retrouver sur cet archipel, qui appelle, îles Yaeyama, y a il, bien sûr, mais elle, y a pas.
Non, il est seul, mais avec sa conscience, qui l'accompagne au bout du monde, au pays du soleil levant, la science des patrasses, son âme est en haillons,
la patience des traces, il en faudra, pour maîtriser les souvenirs, et faire disparaître ces empreintes que nulle neige ne peut recouvrir.
Là-bas, c'est tropique, du Cancer, le panier de crabes en pince pour sa mémoire, et il s'en pose des questions, mais ses hôtes, des petits vieux très charmants, vont apaiser ses tourments.
Lui est céramiste, il répare les objets brisés, mince, Simon n'a pas emporté les morceaux, c'est pas d'bol. Mais il cicatrise les blessures d'âme, avec sourire et silence, car les paroles s'envolent, mais les regards figent les souvenirs hagards.
Elle, collectionne les tissus anciens, et en toutes sortes d'étoffes, taille la douce soie et restaure les couleurs des sentiments, cachés par les stores occultes. C'est dans les voilages qu'on voit l'âge, et qu'on enveloppe les tissus de chair.
Jeanne Benameur distille les phrases, instille les émotions, d'une respiration tranquille mais sans en avoir l'air, avec adresse et délicatesse.
« La chute c'est fertile, la rupture crée.
La parole vraie, celle qui s'origine vraiment au plus profond de soi.
La rage, c'est de ne pas réussir à aimer ce qu'on désire.
L'âme, c'est un mouvement. Fugace. On l'atteint quand tout de notre être s'unifie pour pouvoir, dans un élan, se mêler enfin à tout ce qui n'est pas nous. »
Fugace, comme le saut de la raie Manta, qui prend le risque de quitter son eau pour sortir de son élément.
« L'élan qui rassemble tout », et qui permet « d'éclairer, un peu, chaque fois, l'obscur de notre vie ».
Une femme qui écrit la vie d'un homme, c'est émouvant.
Silence, ambiance, suggestion, réparation.
Des mots fragiles, des mots magiques, c'était trop beau.
Un style élégant et concis, avec récit et dialogues réunis, une unité dans l'espace et le temps.
L'âme enrubannée gît.
Un grand merci pour ce petit moment.