Femme brisée physiquement par un violent accident qui la tourmentera toute sa vie, femme follement amoureuse de son mari Diego, femme peintre qui travaille à l'instinct :
Claire Berest nous propose sa vision colorée de
Frida Kahlo dans un roman biographique hommage à la gran pintura, qu'elle révèle sous toutes ses facettes, surtout les plus intimes.
On pourrait penser de prime abord que la peinture est ce qui alimente
Frida Kahlo, comme souvent pour les grands artistes. Or, Frida est venue à l'art par hasard, pour tromper le temps, se réapproprier un corps devenu étranger après le violent accident de tramway qu'elle connaîtra à 17 ans, faisant s'envoler ses rêves d'études de médecine. Non, si un feu entretient
Frida Kahlo, c'est celui de son amour pour
Diego Rivera, avant même de le rencontrer, et qu'elle ressentira envers et contre tout pour lui toute sa vie.
Claire Berest montre bien dans ce roman d'amour inconditionnel que la peinture, pour essentielle qu'elle fut pour Frida, n'est rien à côté de l'amour fou qu'elle ressent pour son Dieguito, l'oeuvre de sa vie. Un amour proche du sacrifice et un sacerdoce permanent, presque incompréhensible au vu des nombreux défauts de
Diego Rivera, parmi lesquels son manque de constance (et de respect, puisqu'il séduisit même sa belle-soeur Cristina), dont
Frida Kahlo était d'ailleurs pleinement consciente.
« Tu ne remarques pas qu'on décide un jour la couleur dominante d'une personne et qu'après on ne se remet plus en question ou alors très difficilement ? Qu'est-ce que ça dit de nous ? »Si
Claire Berest ne tranche pas concernant la couleur dominante de
Frida Kahlo, elle place toutefois le roman sous plusieurs couleurs tutélaires pour chacune des parties du roman, dédiées à la rencontre de Frida avec Diego, son mariage avec celui-ci et les nombreux voyages qu'ils effectuèrent aux Etats-Unis pour que Diego honore les commandes qui lui ont été faites, à lui le peintre communiste, par des magnats capitalistes (jolie ironie), le succès de Frida qui est allé de pair avec l'éloignement d'avec
Diego Rivera avant les retrouvailles. La vie de Frida se révèle ainsi haute en couleurs, en sentiments, hauts comme bas, en exaltation de la vie, l'artiste vivant toujours intensément ce qui ne permettait jamais vraiment aux autres d'oublier que la mort succède toujours à la vie.
L'affection et l'admiration de
Claire Berest pour Frida est perceptible dans ce roman, cette peintre à qui à elle lie son parcours d'écrivaine, réel comme fictif : le Journal de Frida n'est-il pas le seul livre que lit son personnage Alma dans «
L'orchestre vide » ? Ne met-elle pas les noms de
Francis Picabia et de
Gabriële, ses arrière-grands-parents, dans la bouche de
Diego Rivera ? Lui qui séjournera avec Frida au Bevoort Hôtel de New York, comme les Picabia avant eux ? On sent dans le déroulé impeccable et précis de
Frida Kahlo l'autrice de «
Gabriële », co-écrit avec sa soeur Anne, avec qui il emprunte pas mal de qualités. Malheureusement, alors que j'aime l'art de
Frida Kahlo, je n'ai pas réussi à partager l'enthousiasme de l'autrice pour l'artiste, rafraîchie par la distance qu'elle met paradoxalement dans son écriture. Comme si elle n'osait pas s'approprier tout à fait l'artiste, trop consciente peut-être de l'influence que
Frida Kahlo peut exercer sur elle. C'est dommage parce que cela m'a empêchée de profiter pleinement de ce roman qui reste toutefois magnifiquement écrit.