Ce livre est édité à la suite de la rétrospective monographique, récemment terminée, à Paris, au musée Jacquemart-André, qui a permis aux visiteurs d'explorer l'ensemble de l'oeuvre de Füssli, peintre et écrivain d'art britannique d'origine suisse. J'avoue qu'une ambiance si sombre se dégageait des affiches publicitaires, qui pointaient çà et là dans le métro et dans la ville, que je ne suis pas allée regarder l'exposition. En outre j'ai une prédilection pour les impressionnistes et des courants artistiques plus modernes, plus abstraits, qui demandent plus de « participation » au spectateur. Mais l'ouvrage était un cadeau réfléchi, et je m'y suis plongée avec joie. Je ne regrette pas de l'avoir consciencieusement étudié car il m'a ouvert les yeux !
Les apparitions en tant que des prémonitions de mort ou de désastre, ou des signes de trouble mental, sont fréquentes chez Füssli que les théoriciens d'art rangent du côté du romantisme noir. Son oeuvre qui illustre souvent des sujets littéraires ou bibliques, est essentiellement nocturne. C'est peut-être pour cela qu'en premier temps, j'ai eu besoin de créer « mon Füssli », moins dérangeant, plus lumineux, plus facétieux. Par exemple, si la plupart des oeuvres célèbres du peintre représentent des femmes endormies, en proie à leurs cauchemars et aux sorcelleries, je me suis attachée plutôt au personnage de Lycidas. C'est un jeune berger couché à la belle étoile, sous un ciel calme éclairé par un croissant de lune, comme par un sourire, tandis qu'un rêve poétique marque son visage sublime. Les oeuvres inspirées par Mme Füssli m'ont également attirée d'emblée, tant elle est belle et douce dans l'« Étude d'une jeune femme portant un chapeau et un ruban ». Je me suis arrêtée sur le tableau « Roméo et Juliette » qui est d'une sérénité insolite pour Füssli (voir ma citation correspondante). le dernier baiser donné en ôtant le linceul. Pour cette raison, il est totalement à part. Comme tous les autres toiles et dessins, il est analysé avec soin et clarté.
Grâce à ce riche et instructif album, j'ai fini par admirer Füssli en pensant à l'extraordinaire liberté de son regard en comparaison de ses sages contemporains. Dire qu'il était destiné à une carrière théologique, cet artiste au goût prononcé pour des symboles érotiques !
Surtout Füssli excelle dans l'art de montrer ses personnages en mouvement, comme « Rezia plonge dans la mer avec Huon » : « Füssli représente le couple se jetant dans les flots et exploite cet épisode pour créer une composition tumultueuse et extraordinairement dynamique. »
Les diablotins de Füssli m'ont fait revenir au gros livre « Les Gargouilles de Notre-Dame » de Michael Camille, fascinant par sa profondeur, car j'étais persuadée de les avoir aperçus dans certains chapitres. Mais non, je me suis trompée. Cependant je me suis aussi demandé si l'architecte des gargouilles
Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) connaissait l'oeuvre de Füssli (1741-1825), cet homme en avance sur son temps.
En tout cas, en 1850
Viollet-le-Duc voyage en Angleterre avec
Mérimée, là il a logiquement pu apprécier les tableaux de Füssli.
La dimension onirique de Füssli me fait aussi étrangement penser aux tableaux de l'Italien de Chirico (1888-1978), à ses énigmes issues de ses souvenirs personnels. La tête frénétique du cheval dans une luxueuse chambre à coucher de Füssli en est un exemple. La peinture de de Chirico est traditionnellement définie comme métaphysique parce qu'elle transpose la réalité au-delà des repères habituels et joue sur le contraste entre la précision réaliste des objets et de l'espace, que le peintre met en scène, et la dimension du songe qu'il leur offre. Les deux artistes étaient admirés par les surréalistes. Même le visage de Füssli, de profil, me rappelle celui de de Chirico, par le port de la tête, quoique je ne les aie considérés que sur des portraits ! Excusez-moi si ce billet abonde en impressions individuelles. En tous cas, c'est le livre qui est fort inspirant.