L'année où fut jouée et publiée la pièce
Leonarda de Bjørnstjerne Bjørnson fut également l'année qui vit naître
Une Maison de poupée. Il ne s'agit pas pour autant de comparer ici Bjørnson et
Ibsen, malgré toute la rancoeur qu'avait accumulée
Ibsen en voyant le prix Nobel de littérature lui échapper au profit de son confrère... confrère qu'on a de nos jours largement oublié, excepté en Norvège.
Leonarda se veut un drame, ce qui n'est pas évident au premier abord. Un jeune homme amoureux, une jeune fille amoureuse, et deux parents, un oncle pour l'une et une tante pour l'autre, plutôt rétifs au mariage espéré. L'histoire va-t-elle se concentrer sur ces obstacles au mariage ? Pas le moins du monde. La tante et l'oncle, malgré leurs réticences, ne comptent pas empêcher ce mariage. On pourra noter d'ailleurs que
Leonarda n'est pas la seule pièce de Bjørnson où les personnages, aussi bêtes soient-ils (et quelques-uns le sont vraiment), ne sont pas franchement nocifs : ils ne sont pas du genre à pousser un enfant à se suicider - c'est juste un exemple pris chez
Ibsen, expert en suicides.
Seulement, dès les premières pages, les dialogues vont révéler par petites touches qu'un drame sourd effectivement sous cette histoire d'amour. Petite précision :
Leonarda n'est pas le prénom de la jeune fiancée, mais celui de la tante, qui se sent vieillir alors qu'elle est loin d'être vieille (oui, mais c'est une femme, ça vieillit vite ces machins-là).
Leonarda est une femme qui souffre, qui se contraint, et que la société juge sans cesse. le drame familial couve, on imagine des cris, des larmes, des tempêtes, des insultes, des trahisons, des meurtres, des suicides... Ah mais non, il semblerait juste que j'aie trop lu
Strindberg !
En guise de drame familial, on aura droit à des sacrifices, tout le monde (enfin, surtout les femmes), étant prêt à se sacrifier pour la bonne cause. On vire quasiment dans le mélo au dernier acte. Voilà qui aura visiblement plu au préfacier de la première édition française : c'est si beau, les larmes et les sacrifices ! Et voilà donc où se situait le goût de nos critiques de l'époque... ce qui ne correspond guère au mien - tant qu'à pleurer à coeur fendre, autant le faire avec panache : à la grecque !
Ayant lu une pièce un peu plus tardive de Bjørnson,
Un Gant (1883), qui relève de la critique sociale, je m'attendais à quelque chose de plus mordant. Ici, la condition de la femme semble constituer un véritable sujet... avant de s'étioler dans les pleurs et la culpabilité, à ma déception.