Je foule le sol herbeux et capte les premières sensations. La fraîcheur matutinale se confronte aux timides rayons du soleil, l'issue du combat entre le froid et le chaud est encore incertaine. Cette alchimie subtile où se mêlent les effluves de la nuit exhale l'odeur du matin.
Le long des travées improvisées s'alignent, sur des tables plus ou moins bancales, des objets disparates sortis d'un coffre de voiture et posés là un peu au hasard, comme des proies offertes aux regards circulaires des chineurs. Au pied des tables, des caisses en carton regorgent de bibelots et de livres. Sur une couverture à même le sol divers articles, outils étranges, boites de jeux, ustensiles dépareillés, objets non identifiés. Difficile de repérer quelque chose d'intéressant dans ce magma informe. Et puis brusquement l'attention est attirée par un petit détail, on s'approche et l'on trouve une caisse de livres. Sans pouvoir identifier le contenu exact, on devine à quelques signes qu'il faut s'arrêter et fouiller. Bonne pêche, des livres neufs d'auteurs célèbres, des classiques, des contemporains, des romans, de la poésie, des essais. C'est comme tomber sur un arbre fruitier à la bonne saison, il faut cueillir sans tarder. Les vendeurs n'ont pas besoin de parler pour nous raconter l'histoire de ces livres. On capte une partie du message par un mot, un geste, un regard, on imagine le reste, il y a toujours du souvenir, de la nostalgie, des douleurs et des plaisirs associés au parcours d'un livre.
Je repars avec une dizaine de titres parmi lesquels le livre de
Christian Bobin «
La part manquante ». Je ne connais pas cet auteur, mais je fais confiance à l'ancien propriétaire qui semblait avoir bon goût au vu du cortège de bons livres que contenait cette caisse. le résumé de la quatrième de couverture m'a intrigué « Ce n'est pas pour devenir écrivain qu'on écrit. C'est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour ».
Voilà l'histoire de cette rencontre avec ce livre prometteur, mais au final un peu décevant. Onze petites histoires en forme de poèmes en prose sur des instants de vie, des impressions, des souvenirs, des réflexions philosophiques à propos de tout et de rien. le style est très étonnant, à part. S'il s'agissait d'un chanteur on dirait que l'auteur à une signature vocale unique. C'est l'intérêt de ce petit livre de 98 pages qui nous embarque dans un monde presque onirique où tout est suggéré, évoqué, esquissé de manière vaporeuse. Des phrases courtes, des moments de vie évoqués avec une certaine nostalgie. Une sourde plainte, un regard posé sur l'enfance, la femme, la neige, une baleine aux yeux verts, une pensée errante et intime que l'on ne comprend pas toujours, mais qui doit être simplement ressentie comme l'herbe humide de rosée matinale sur un chemin emprunté par hasard. Des phrases au rythme envoûtant comme le pendule d'un hypnotiseur. Fruit exotique à goûter par curiosité.
- "
La part manquante"
Christian Bobin, folio (2014), 98 pages.