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Critiques filtrées sur 5 étoiles  

Parfois, quand la vie nous joue de vilains tours on n'a pas d'autre choix que de s'égarer volontairement comme si se retrouver du mauvais côté de la vie et respirer l'obscurité était inévitable. Alors marcher sur un fil tendu en équilibre instable devient soudainement la seule chose qu'on soit capable de faire. Mais dans l'absence (car c'est d'absence dont il s'agit dans ce roman) persiste toujours un peu d'espoir pour qu'on puisse se raccrocher à quelque chose, qu'on le veuille ou pas, même si cela doit passer par des actes qui ôtent toute dignité. Perdre pied, s'enfoncer lentement mais toujours garder la tête hors de l'eau pour pouvoir respirer, c'est de cela que nous parle Roberto Bolaño dans ce court roman publié en 2002 sous le titre "Una novelita lumpen" qui sera le dernier ouvrage à être publié de son vivant.

Lumpen, terme péjoratif qui désigne les basses classes sociales. Lumpen, mendiant, voyou, délinquant, une vie en marge, une vie sans espoir ? Peut-être pas... Délinquante, c'est ainsi que se définit Bianca la narratrice de ce récit, du moins c'est l'image qui lui vient à l'esprit quand elle se remémore la gamine d'à peine 18 ans qui par une belle journée d'été a laissé une partie de son coeur sur la route de Naples dans la fiat accidentée de ses parents.

C'est une Bianca plus âgée, établie et devenue mère qui nous raconte son histoire, l'histoire d'un moment d'égarement, il n'y a pas si longtemps, à Rome, après l'accident qui les a laissés orphelins elle et son frère. L'accident terrible dont seul subsiste le jaune de la carrosserie de la fiat, le jaune du silence, le jaune du soleil qui désormais brille sans interruption pour le frère et la soeur bien trop jeunes pour être éblouis par tant de malheur et qui, livrés à eux-mêmes dans l'appartement familial, tentent de s'accrocher à leur rêve d'une vie meilleure comme on s'accroche à une bouée pour ne pas couler et se laisser simplement dériver.

Bianca attend, Bianca se consume, hagarde elle lave frénétiquement les têtes au salon de coiffure au lieu d'étudier comme pour se laver l'esprit de tant de souffrances. Elle fait l'amour une première fois, une deuxième, une troisième, et puis encore... Avec le Libyen, avec le Bolognais, personnages inquiétants, sans nom, sans visage, sans passé, sans avenir. Mais qui sont-ils ? Et pour quelles raisons son frère a-t-il permis qu'ils s'installent dans l'appartement familial ? Alors Bianca souffre en silence et comble le vide de sa vie en leur offrant son corps, Bianca triste fantôme errant à la recherche de chimères dans la grande bâtisse délabrée de la Via Germanico qui semble être restée figée dans une autre époque tout comme son propriétaire Maciste, ancienne gloire déchue du milieu du culturisme à qui elle vend un peu de tendresse, un peu de chaleur car lui aussi a perdu quelque chose qu'il ne retrouvera jamais...

L'écriture de Roberto Bolaño est âpre, silencieuse, c'est ce qui en fait toute la beauté. L'économie de mots, la crudité du langage et surtout cette forme de détachement, de distance qui est distillée tout au long de ce roman comme si rien n'était grave alors que finalement tout est grave, font de ce roman une lecture à part car dans ces pages, pas de souvenirs, pas de regrets, pas d'hommages, pas de rires ou si peu, parfois quelques sourires, les évènements ne font qu'effleurer pour ne pas blesser car vous le savez aussi bien que moi l'absence fait mal à en crever.

Roberto Bolaño nous offre un récit aphasique et poétique d'une grande justesse dans lequel les contours sont flous tout comme les personnages (peu nombreux) qui passent sans se retourner comme s'ils n'avaient jamais existé ou qu'ils avaient simplement été rêvés, les fantômes d'un songe, le songe de Bianca dans lequel ses nuits sont aussi claires que ses jours. Une histoire qui pourrait être la nôtre, un frère, une soeur, une vie en suspens comme une petite mort qui serait nécessaire, qui traînent leur peine dans le clair-obscur d'une Italie encore marquée par les années de plomb. Un récit sobre d'une grande sensibilité que je vous invite à lire, qui donne la parole à la jeune fille en devenir dont j'ai trouvé le propos d'une incroyable lucidité.

"Ces vies frôlées mais jamais surprises dans leur déroulement secret derrière les murs et les vitres troubles..."
(Soufflé par Chystèle durant ma lecture : André
Hardellet - le seuil du jardin).


Remerciements à Jmb, Vagualame, Dandine.



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Bianca et son frère perdent brutalement leurs deux parents dans un accident de voiture en Italie. Ils se retrouvent seuls tous les deux dans l'ancien appartement familial avec la pension de décès de leur père comme unique moyen de subsistance. Ils tentent de poursuivre leur étude mais bien vite la nécessité d'un job d'appoint se fait sentir. le travail prend le dessus sur le lycée, Elle devient laveuse de cheveux dans un salon de coiffure et lui laveur de sueur dans un club de culturisme.

C'est dur de perdre ses deux parents à 18 ans, j'en ai fait aussi cette triste expérience la première fois à 23 ans et la seconde fois à 28 ans. le deuil te fait perdre toute notion de temps et provoque en toi une brûlure de l'âme qui se traduit par une lumière intense qui vient frapper ta rétine provoquant un éblouissement permanent. Tu ne fais plus la différence entre le jour et la nuit. Tu te retrouves dans un décor surexposé à la lumière où la balance des blancs a été complètement dérèglée.

« À partir de ce moment-là, les journées ont changé. Je veux dire, le cours des journées. Je veux dire, ce qui unit et en même temps marque la frontière entre un jour et l'autre. D'un coup, la nuit a cessé d'exister et il n'y a plus eu que soleil et lumière, sans interruption. Au début, j'ai pensé que c'était dû à la fatigue, au choc produit par la disparition soudaine de nos parents, mais lorsque j'en ai parlé à mon frère, il m'a répondu que la même chose lui arrivait. Soleil et lumière et explosion de fenêtres ».
« Je penchais à la fenêtre et regardais la rue avec ses deux rangées de voitures encore garées de chaque côté, et je ne pouvais pas croire que cette incandescence soit la nuit. Ça revenait au même de fermer les yeux ou de les garder ouverts ».

Tu vis dans un mode où le réel et l'irréel se mêlent et s'entrelacent au point de ne plus faire qu'un. Dans cet univers hyper blanc qui voudrait atténuer la noirceur de ta vie, tu demandes ma chère Bianca (Blanche en français et je n'invente rien) si tu ne vas pas devenir folle. Eh bien, tu n'es pas folle, tu n'es pas une délinquante ni une pute. Tu es simplement une jeune fille qui a perdu ses repères et qui veut se débarrasser simplement de cette douleur qu'on appelle le deuil. Comme tu le dis aussi, tu es « comme ces petits oiseaux perdus dans la tempête et qui n'intéressent plus personne ».

« Parfois, je voyais toute ma vie en négatif : une maison plus grande, dans un autre quartier, des enfants, un meilleur travail, des années, la vieillesse, un petit-fils, la mort dans un hôpital public ou couverte par un drap dans le lit de mes parents, un lit dont j'aurais aimé entendre les grincements, des grincements pareils à ceux d'un transatlantique au moment de couler, mais qui, au contraire, était silencieux comme un cercueil ».

Et puis, il y a ton frère qui arrive un soir avec deux amis rencontrés à la salle de culturisme. Il les invite à rester à demeure dans ton appartement. Ils vont désormais vivre avec toi. Comme des fantômes, des personnages sans visages, sans nom, sans histoires, ils sont uniquement là pour essayer d'exister, de surnager, de tenir. Oui je sais qu'ils te font peur ma petite Bianca et que tu cherches à les éviter, à les ignorer.

« Je crois que, pendant quelques jours, j'ai vécu comme sur la pointe des pieds. J'allais de la maison au travail et du travail à la maison, en essayant de ne pas attirer l'attention, et le soir, je regardais la télévision, pas trop, parce que mon intérêt pour les émissions qu'avant j'avais l'habitude de suivre avait commencé à décliner peu à peu ».

Et à force de se tenir à coté de toi, de manger avec toi, Ils vont vouloir coucher avec toi…

« Cette nuit-là, j'ai fait de nouveau l'amour avec l'un des amis de mon frère et la nuit suivante et celle qui a suivi cette nuit aussi, et toutes les nuits de cette semaine, et la semaine qui a suivi, jusqu'à ce que sur mon visage commence à se voir que je faisais l'amour toutes les nuits ou que je dormais peu, au point que mes collègues de travail m'ont demandé ce qu'il m'arrivait, si j'étais malade, ou quoi ».

Et quand on connait comme toi l'amour physique avant de vivre un amour sentimental, quand on perd sa virginité comme on perd ses parents aussi brutalement que toi, on offre son corps pour combler un vide immense car l'absence fait mal à crever. Et puis un jour, ils te demandent de coucher avec un vieil acteur aveugle de séries B pour lui soutirer du fric pour enfin s'assurer un avenir comme ils disent. Et toi qui vis dans le blanc tu vas connaitre la noirceur de Maciste. Tout est noir et sombre chez lui, sa maison, sa vie, tout ce qui sort de lui … Et c'est peut-être ton passage obligé, ton parcours initiatique, ta recherche du Saint Graal pour connaitre ta rédemption. Pour que tu deviennes alors une mère et une femme mariée.

« Rendre visite à Maciste, c'était penser au futur, transpirer, entrer dans des pièces où l'obscurité était totale, c'était penser au futur. Un futur qui ressemblait à n'importe quelle pièce de la maison de Maciste, mais plus lumineuse, avec des meubles recouverts de vieux draps de lit ou de couvertures, comme si les propriétaires de la maison (une maison qui se trouvait dans le futur) étaient partis en voyage et n'avaient pas voulu que la poussière s'accumule sur les choses. Et c'était ça mon futur, et c'est comme ça que j'y pensais, si on peut appeler ça penser (et si on peut appeler ça futur) ».

D'un simple fait divers, Roberto Bolano aurait pu nous plonger dans le mélodrame habituel des orphelins livrés à eux seuls, il aurait pu également nous tirer les larmes habituelles que l'on éprouve dans ce genre de situation avec à la fin soit un bonheur retrouvé ou pire une fin plus pathétique. Il n'en n'est rien, l'auteur chilien dans son dernier roman publié avant sa mort (eh oui j'ai commencé mon apprentissage avec son dernier ouvrage) nous offre avec l'innocence brute de ses deux protagonistes, une histoire où il n'y aura pas de pitié, pas de culpabilité et encore moins de regrets. Tout son art se trouve dans cette façon qu'il a de nous montrer sans fioriture mais sans vulgarité les états d'âme, les réactions de ses personnages livrés à eux seuls. Sa prose est limpide et coule de source. On la lit sans voyeurisme et sans dégout. Et on finit même par l'aimer si on s'y prend lentement pour lire ses 94 pages.

Merci à Gaëlle et à Sandrine de m'avoir fait découvrir « Un petit roman lumpen ». Leur magnifique critique à toutes les deux y a été pour beaucoup !!! Je m'en suis aussi inspiré qu'elles m'en excusent. J'espère avoir à mon tour apporté une petite pierre à cette lecture commune.

« Il pleut sur Santiago » Film de Helvio Soto (1975)
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« D'un coup, la nuit a cessé d'exister et il n'y a plus eu que soleil et lumière, sans interruption. Au début, j'ai pensé que c'était dû à la fatigue, au choc produit par la disparition soudaine de nos parents, mais lorsque j'en ai parlé à mon frère, il m'a répondu que la même chose lui arrivait. Soleil et lumière et explosion de fenêtres. J'en suis arrivée à penser que nous allions mourir. »

Le qualificatif de surexposé, comme dans un film, pourrait parfaitement convenir à ce texte magistral. Beaucoup trop de lumière ne permet pas plus de deviner à coup sûr ce qui se passe que trop de nuit.

La narratrice de ce court roman, Bianca se souvient : elle était une adolescente et venait de perdre ses parents d'un accident de voiture dans le sud de l'Italie. Elle vivait seule avec son frère dans l'appartement romain de ses parents. Rapidement ils ont abandonné leurs études et ont trouvé des petits boulots, shampouineuse pour elle et homme à tout faire d'une salle de sport pour lui. Ils parviennent à peine à s'en sortir. le frère fera la connaissance de deux hommes, qui s'installeront chez eux.

Les temps sont difficiles et le quatuor désargenté met au point une combine qui pourrait leur permettre de voler une forte somme à un ancien acteur de péplums.

Malgré les « blancs » de la narration, son atmosphère étrange, j'ai encore une fois été envoûté par le pouvoir de l'écriture de Roberto Bolaño dans ce qui devait être l'ultime roman publié de son vivant.

Viendra ensuite la publication de son oeuvre majeure posthume, « 2666 ».
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C'est le premier roman que je lis de Roberto Bolaño et pourtant, il s'agit ici du dernier roman publié du vivant de l'auteur. J'ai choisi ce livre, sûrement peu représentatif du style de Bolaño (c'est ce que j'ai cru comprendre de ce que j'ai lu), en me disant que cela pouvait être un bon moyen de ne pas me décourager pour rentrer dans l'oeuvre de cet auteur.

Ce roman est donc court, moins de 100 pages et raconte l'histoire d'une fille, Bianca, qui vient de perdre ses parents subitement dans un accident de voiture. Elle se retrouve seule avec son frère. Ils abandonnent le lycée par nécessité après avoir essayé de s'accrocher. Elle trouve un travail dans un salon de coiffure et lui, dans une salle de sport. Commence une vie d'habitude, lancinante. Un jour, le frère ramène deux "amis" à la maison. Ils s'installent. C'est le début de la fin. Ils sont biens mais entraînent le frère et la soeur vers le fond, lui vers la délinquance et elle vers la prostitution. Cela n'ira jamais jusqu'au bout mais tout de même. Elle va être d'accord pour se prostituer. La fin du roman verra la renaissance du frère et de la soeur ; ils reprennent leurs destins en main.

J'ai beaucoup aimé l'empathie dont fait preuve Bolaño. Il arrive à se mettre dans la tête de cette adolescence, à nous faire saisir ses rêves, ses envies mais aussi ses contradictions. Il arrive même à nous les faire comprendre, à faire que l'on soit d'accord.

Ce qui m'a aussi interpellé, c'est le fait que Bolaño ne dit pas la descente mais pourtant on ne réfléchit pas pour s'en rendre compte ; c'est évident. J'aime qu'il y ait un sens accessible au lecteur lambda.

Le style est normal ; en tout cas pas compliqué comme je l'imaginais(c'est que j'imagine pour tous les livres que l'on dit difficile d'accès).

Je vais donc continuer ma découverte de Bolaño.
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Bolaño adopte avec force et pécision une voix féminine capable de nous transporter à l'intérieur des questionnements et des différentes voix du personnage. L'histoire est captivante et le style de l'auteur, fluide et profond nous guide dans cet univers sincère et décadent.
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En format épais ou mince, Bolaňo est toujours grand.

"Un petit roman lumpen", mince roman de quatre-vingt dix pages, est le dernier roman publié par Bolaňo de son vivant, en 2002.

Après le décès de leurs parents dans un accident de voiture, un frère et une soeur se retrouvent seuls, pour survivre. C'est la misère, ou presque. La soeur, narratrice de cette histoire, travaille dans un salon de coiffure, et son frère dans un gymnase. Deux amis du frère, un Bolognais et un Libyen, s'installent chez eux. Leurs centres d'intérêt et leur influence sur le frère sont flous, tout comme les contours de cette histoire. Ils cherchent une combine pour s'en sortir. On a le pressentiment d'une chute, dans une vie qui ressemble à un rêve dont on aimerait sortir.

« Je crois que j'avais le pressentiment de l'imminence d'un malheur et j'avais peur pour le sort de mon frère, un sort qui avait l'air si lié à celui de ses amis. D'eux, je m'en fichais. Ils étaient plus âgés que nous et aguerris aux problèmes, mais mon frère était jeune, il n'avait aucune expérience, et je ne voulais pas qu'il lui arrive quoi que ce soit.
De temps en temps, je faisais des rêves atroces : je voyais mes parents marcher sur une route du Sud, ils ne me reconnaissaient pas, je passais sans m'arrêter, contente d'avoir autant changé, mais après j'étais prise de remords et je revenais sur mes pas, mais à ce moment-là mes parents s'étaient transformés en vers qui se traînaient avec difficulté sur le bas-côté, l'un derrière l'autre, à côté d'un panneau où on pouvait lire REGGIO CALABRIA 33 KILOMETROS, et même si je les appelais par leurs prénoms, si je leur demandais de me répondre, si je les prévenais qu'en se déplaçant comme ça, en rampant, ils n'arriveraient nulle part, ils ne se retournaient même pas avec leurs têtes de vers pour me jeter un dernier regard et continuaient imperturbablement leur chemin. »
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