Dominique Bona - Les Partisans - Kassel et
Druon, une histoire de famille
Faire la biographie d'un grand homme n'est pas chose aisée : jusqu'où aller dans les ramifications, dans l'évocation de la Grande Histoire et des histoires du quotidien, doser l'intime et le public, l'exercice n'est guère facile, surtout quand elle concerne des personnages contemporains, où une partie des témoins est encore vivante. Alors, faire la biographie de deux grands écrivains, quelle gageure !
Dominique Bona la réussit de manière magistrale, réussissant à manier les histoires parallèles de
Kessel puis
Druon, puis en réunissant ces histoires en une seule, en y adjoignant les histoires de la famille, des frères de
Kessel (dont l'un donc est le père de… même s'il ne l'a jamais connu), en y racontant la Grande histoire, en particulier dans la Résistance. le rôle éminent de Germaine Sablon est largement évoqué même si ce rôle sera quasiment inconnu de nos deux grands hommes.
Ce qui est intéressant dans l'écriture de
Dominique Bona est qu'elle se place comme une enquêtrice, n'hésitant pas à manier le « je », à se surprendre elle-même, à évoquer les éléments qu'elle n'a pu expliquer dans son cheminement. On imagine le travail considérable pour réussir cette double biographie, et on peut s'étonner que personne n'en est eu l'idée avant elle…
Ce qu'elle parvient à faire, outre redessiner l'histoire des deux protagonistes, est de décrire une époque, en fait plusieurs époques, et elle nous fait traverser le siècle avec mille détails qui n'empêche pas la fluidité du récit. Sacré prouesse, car beaucoup d'éléments sont souvent hors sujet (ainsi l'histoire du frère de Germaine Sablon, Jean, et la « première voix amplifiée »). Tout cela donne de la chair au récit et nous avons l'impression d'être avec elle dans une machine à remonter le temps, à regarder
Kessel et
Druon agir dans une société qu'elle nous décrit patiemment et avec moultes détails passionnants que certains n'hésiteront pas à passer car ils ne concernent pas directement les deux sujets de sa biographie. Au final, elle parvient à rester autour des 500 pages, et on peut penser que le manuscrit initial était trois fois plus long ! Un vrai travail d'éditeur qu'on ne peut que saluer.
Bien sûr, le morceau de choix du récit est l'écriture du chant des Partisans («
ami, entends-tu… »), finalement réalisé à trois, avec
Anna Marly. On se met à penser que si
Kessel n'avait pas été foncièrement anti-gaulliste, ce chant serait devenu notre hymne national…
Dominique Bona ne cache rien des défauts de ses héros, le côté cavaleur et fougueux de
Kessel, en particulier. Elle fait indéniablement de cette biographie une référence pour de nombreuses années. Un tout petit défaut, qui est plus un tic d'écriture, Madame Bona ne peut pas s'empêcher de signaler qui en est, qui n'en est pas, qui est rentré, qui n'est pas rentré…je parle là de l'
Académie Française, dont elle fait partie. Cela donne parfois le sentiment d'un monde entre soi. Mais cela ne gâche en rien le plaisir de la lecture, car en plus de tout cela,
Dominique Bona écrit bien ! Ce livre est tellement riche qu'on peut regretter l'absence à la fin de l'ouvrage d'une bibliographie des sources primaires et secondaires de l'autrice, même si les notes de bas de page nous aident à les retrouver. Mais on peut penser que d'autres sources ne sont pas indiquées et c'est un peu dommage. Mais c'est un reproche bien anodin et surtout inutile si l'on veut juste prendre un grand plaisir de lecture.