Premier contact avec l'oeuvre de
Pierre Bordage par le biais de ce recueil de cinq nouvelles parues entre 1999 et 2004, créé tout exprès à l'attention des scolaires pour faire découvrir son travail sur les récits courts. L'édition originale de 2004 en compte douze. Bordage reconnaît lui-même qu'il est plutôt un écrivain de cycles romanesques de science-fiction.
L'homme est modeste, car ce qui frappe très vite ici c'est une maîtrise consommée de cet art de la nouvelle : concision, précision des mots, tranchants et glaçants, une chute qui fait mouche, tout en parvenant en quelques pages à planter le contexte et l'ambiance. Tout ce qui adolescent m'avait fait aimé la SF, avec les nouvelles de Bradbury, Brown, Dick...
Ces textes ont tous en commun de nous projeter dans notre futur de terriens, un futur très plausible. Sur cette Terre en piteux état écologique, l'homme devenu largement artificiel a pourtant su devenir quasi-immortel. Vivre deux cents ans n'est pas rare, dès lors qu'on a la possibilité de remplacer ses organes. Ces humanoïdes sont cernés par la technologie, les mondes et jeux virtuels, la domotique. Mais l'argent, les intérêts financiers continuent de corrompre, vecteurs de comportements immoraux et criminels. La puce électronique est reine, et quand elle est placée dans le corps humain, sa petite musique incessante renseigne et surveille, aliénant l'individu. La génétique, le clonage sèment le trouble. L'individu est-il encore libre ?
Rapidement, sur chacun des textes :
"Nouvelle VieTM" parle du brevetage du code génétique. L'homme n'a pas le choix, une société de biotechnologie a acheté son ADN. Veuf, lorsque deux hommes viennent le chercher, il pense protéger sa fille...qui n'est pas innocente...Quand l'ADN qui se transmet de génération en génération est en jeu, la traîtrise et la cupidité vient se nicher au coeur des familles !
"La classe de maître Moda" traite de l'enseignement virtuel et du partage des connaissances, sous l'angle de l'élitisme et de la ségrégation par la race et par l'argent. Les élèves occidentaux au super-QI se voient implanter une puce dans la nuque pour accéder aux super-cours dispensés par l'intelligence artificielle Maître Moda. Mais un petit brésilien des favellas s'est invité...Piratage ? Expérience destinée à tester la capacité à s'émouvoir de ces jeunes surdoués qui ne sortent plus jamais de la prison dorée ?
"Jour de noces" nous plonge dans un monde où le virtuel a complètement pris le pas sur le réel. Tout est factice...on se rend à un mariage en pénétrant la fenêtre virtuelle...le mariage est sans doute virtuel, les membres de la famille ont pourtant l'air bien vivants quand ils s'engueulent et se remémorent. Déroutant, un peu complexe, ce texte m'a moins emballé que les autres.
"
Ma main à couper" est glaçant. le héros sans emploi dans la banlieue de Nantes est incité par sa compagne à remplir une mission pour un mystérieux employeur, moyennant une somme rondelette. En fait, il s'agit de sauver sa peau dans une partie de chasse en périmètre clos où quatre hommes ont acheté un droit...de le tuer. Comment tromper leur vigilance, alors que tout semble joué d'avance, et que la puce électronique située dans sa main gauche renseigne en permanence ses ennemis ? Il n'y a pas trente-six solutions, il va bien falloir s'en débarrasser...heureusement, un ange veille sur lui. Formidable de tension, d'action, d'horreur, mais aussi c'est étrange, d'une forme de lyrisme presque mystique ! Une nouvelle fascinante.
"Les frères du G5" met l'accent sur les dangers du clonage. Les Terriens ont colonisé Mars, qui leur fournit toutes les matières premières pour continuer de bien vivre, et notamment pour chacun un vivier de cinq vies consécutives de clones, pour prolonger largement leur existence. Mais un groupe de clônes de 5ème vie, venant de mars, entend bien se substituer à son terrien "original" pour devenir l'unique et vivre enfin sa vie propre. Clonage, altérité et liberté à travers une confrontation à mort entre un frère du G5 et son terrien de "rattachement". Eloquent !
Au final, un excellent recueil, inquiétant sur l'avenir possible du monde, tellement la course à l'hypertechnologie s'accélère...cet avenir est en fait hautement probable, la question serait plutôt à quelle échéance ces dérives mortifères ? Il témoigne de l'immense talent de
Pierre Bordage, l'un des maîtres de la SF française et internationale, devenu un étonnant classique !