(Cette critique peut d'abord sembler plutôt négative mais c'est simplement que je dois expliquer ce qui m'énerve de ce livre avant d'en arriver à dire pourquoi au final c'est un très bon essai.)
Cet essai de l'historien et sociologie
Gérard Bouchard se veut une plongée dans l'histoire de l'histoire nationale du Québec. En gros, dans un premier temps, il analyse de quelle façon l'Histoire du Québec a été enseignée à l'école primaire et secondaire depuis le 19e siècle. Puis, il offre sa propre vision de comment elle devrait être enseignée.
Il tente de trouver une voie qui, entre autres, se conjugue bien à
l'interculturalisme.
Pour les Français :
l'interculturalisme est la théorie la plus connue de Bouchard. C'est elle qui sert de doctrine officielle pour l'intégration des immigrants au Québec. Cette approche cherche à trouver un équilibre entre le multiculturalisme Anglo-Saxon, et la nécessité d'une certaine protection culturelle pour un Québec noyé dans la culture canado-américaine. Dans la pratique, ce n'est pas toujours réussi, mais la théorie est bien.
Il tente ici de faire un travail d'équilibriste semblable :
1- Éviter que les cours d'histoire deviennent des séances d'endoctrinement à Gloire de la PatrieNaN.
2- Inculquer tout de même un certain sens de la nation. Bouchard n'apprécie pas les cours qui suivent le modèle "éducation à la citoyenneté" parce qu'à son avis, il est impossible de vouloir améliorer sa communauté, ou de travailler sur un projet de société, sans aimer sa nation. (Ici, je suis en désaccord. Et puisqu'il ne cite aucune étude qui appuierait cette thèse, je vais simplement hausser les épaules. le projet qu'il propose à partir de cette thèse reste tout de même intéressant.)
Une autre critique que je ferais à la section plus empirique du livre est la suivante : son analyse dernière que la nation est presque complètement ignorée des manuels d'histoire du Québec depuis les années 1960. C'est ce qui le dérange, c'est la raison pourquoi il écrit cet essai. Sauf qu'il mentionne quelque part, au passage, sans y revenir, que 95% des professeurs d'histoire sondés admettent que la nation reste tout de même le fil conducteur qu'ils donnent à leur cours tout le long de l'année scolaire.
M'enfin, ça commence à sonner comme un problème imaginaire.
Je fais une autre parenthèse nécessaire ici : Les travaux de Bouchard des 20 dernières années tournent autour des mythes nationaux. C'est quoi ça? En gros, ce sont ces histoires (pas nécessairement fictives) qui ancrent des valeurs profondément au coeur des citoyens d'une nation. Pensez Jeanne D'Arc ou la Révolution pour la France. La Conquête ou la Grande Noirceur pour le Québec.
Ce que propose Bouchard ici pour fonder une histoire du Québec pluraliste est de miser sur ces mythes particuliers de notre histoire qui ont des visées universalistes. L'égalité est une valeur que partagent la France, les USA et le Québec par exemple. Mais les mythes de ces trois nations divergent au point où le mot ne veut pas dire la même chose dans ces trois lieux. On parlerait d'égalité des chances (sur la ligne de départ) aux USA, d'égalité des droits en France et d'égalité sociale au Québec.
Le fil conducteur d'une telle histoire du Québec serait donc le suivant : la lutte.
La lutte contre l'oppression, la lutte contre l'assimilation, la lutte contre l'injustice. Cette approche permettrait à la fois de (A) mettre de l'avant le Québec lorsqu'il lutte pour ses idéaux : s'émanciper du clergé, du Canada anglais, des capitaux américains, de la couronne britannique. Et (B) dénoncer ces moments où le Québec n'a pas été à la hauteur de ces idéaux. Où il s'est lui-même fait l'oppresseur des minorités, des autochtones ou même de ses minorités anglophones.
Cette approche n'aurait pas à mentir pour rendre la nation plus belle. Elle demanderait d'aimer la nation conditionnement à ce qu'elle soit à la hauteur de ses propres idéaux. Et c'est ensuite notre travail à tous de s'assurer qu'elle le soit.