Ce n'est pas la première fois qu'un roman explore le mal absolu.
Franck Bouysse le fait au travers d'une jeune héroïne d'une lumineuse résilience, et dans une fort belle langue, différente selon les protagonistes, mais qui est un hommage aux mots dont la beauté sauve le monde, et sauve Rose en particulier. Les lecteurs ne s'y trompent pas, qui ont déjà attribué plusieurs prix à ce livre à la presse élogieuse et qualifié de formidable par
François Busnel soi-même.
A 14 ans, la jolie Rose est vendue à un maître de forges par son paysan de père qui n'arrive pas à nourrir une famille nombreuse composée uniquement de filles. Aspect social de l'histoire : malgré le peu de précisions données, on peut identifier la Dordogne des années 1880, dans une France rurale qui se désertifie et s'appauvrit.
Commence pour Rose une vie de servitude qui tourne bientôt à l'esclavage domestique et sexuel. Avec quelques fugaces minutes ressemblant parfois à du bonheur : Edmond, le mystérieux palefrenier, amical, distant et énigmatique, et le cheval Artémis révélateur de sensations puissantes. … Les tentatives d'évasion de Rose se soldent par des échecs et des punitions, tandis que le père pris de remords décide de reprendre sa fille.
Après des péripéties glaçantes, qui apparaissent pourtant dans la logique des personnages et des situations, Rose est internée dans un ancien couvent de Chartreux converti en asile. Comment connaissons-nous son histoire ? Par des cahiers qu'elle a écrits, sortis clandestinement d'un asile étroitement surveillé par un médecin qui fait partie de la maffia du Mal. C'est un prêtre qui recueille les confidences écrites, et son action permettra un dénouement inattendu mais qui nous soulage d'une angoisse grandissante à chaque page et d'une sidération devant les profondeurs maléfiques dont est capable l'âme humaine.
Grande habileté de la construction du livre qui tient aussi du thriller par l'angoisse qui sourd et amplifie à chaque page, grande poésie d'une nature omniprésente à travers ses saisons, ses odeurs et ses lumières, grande justesse de la psychologie des personnages, et très grande empathie que nous éprouvons pour les victimes écrasées par leur passé, leur faiblesse, leur situation ambigüe ou l'accumulation d'épreuves où certains laissent la vie.
Quant aux bourreaux, les progrès de la psychologie nous ont habitués désormais à rechercher en quoi ils furent d'abord des victimes, ainsi que nous pouvons le voir dans le procès actuel des assassins du jeune Valentin. Ici, rien de tel : le trio maléfique l'est intégralement, incarnation du mal absolu, conscient, organisé, appliqué. A nous de reconnaître et d'accepter que c'est possible.
Qu'est-ce que l'homme ? C'est la question fondamentale et éternelle qui clôture ce livre remarquable et en fait une grande oeuvre.