Je vis luire un petit éclair et mon automatique vint, comme par enchantement, dans la paume de ma main droite. Déjà, j'avais par deux fois pressé la détente.
Un poids lourd chuta de branche en branche, rebondit et vint s'écraser sur la route.
- M... ! Vous en avez décanillé un ! lança Paul Jouan.
Il venait de mettre un genou à terre et surveillait les frondaisons. Aucune riposte ne venant, je jugeai que ça allait comme ça et replaçai mon arme sous mon aisselle gauche. Paul Jouan se releva. Il semblait légèrement estomaqué.
- Comment avez-vous fait ? questionna-t-il tout en continuant à surveiller le terrain.
- J'ai vu quelque chose briller et j'ai tiré dessus, dis-je. Il se trouve que je tire plutôt bien.
- Plutôt ! renchérit-il.
Ça semblait décidément calme. Avec Paul Jouan derrière moi, je contournai la fosse et allai examiner ma victime. Avec deux balles dans la tête, elle n'aurait pas risqué de courir bien loin. Il portait le vêtement et le chapeau de paille classique des paysans ; mais aussi une cartouchière pleine et une carabine d'origine tchécoslovaque passée en bandoulière.
La guerre décuplait l'agitation d'une ville qui n'a jamais été morose, comme presque tous les ports, et je me retrouvais plongé dans la vie de follingue d'une ville où tout le monde est pressé d'arriver nulle part.
Cavassa me conseilla Cholon pour passer le temps et poussa la gentillesse jusqu'à me fournir deux ou trois adresses d'établissements qui valaient le détour. Je préférai aller flâner sur les quais, attiré, en bon pékin que je suis, par tout ce qui touche à la mer. En fin d'après-midi, je retournai attendre Cavassa au bar du Majestic.
J'embarquai sur un Chinook, énorme banane transporteur de troupe, en compagnie de Cavassa et d'un capitaine follement amoureux de son arme qui, durant tout le trajet, nous vanta les mérites de l'hélicoptère. A l'en croire, l'emploi de l'hélicoptère sonnait le glas des guerilleros, sa mobilité extrême mettant fin à leur seul avantage qui justement était la mobilité. Je ne partageai pas entièrement son opinion, tout d'abord parce que cet appareil est une cible merveilleuse, ensuite parce qu'il est bruyant et très voyant, que son arrivée est pour ainsi dire téléphonée et que, de tout temps, l'axiome est vrai qui dit qu'un homme averti en vaut deux ; mais je me gardai bien de contrarier le capitaine.