The Boys - Omnibus, tome 2

Vous êtes un voyou, une racaille, une vraie de vraie. Vous avez déjà mangé un cloporte suite à un pari stupide, vous vous rendez sur Pornhub une fois par an, et vous avez renversé la glace aux fraises de votre petite soeur. Alors que vous sirotez votre troisième panaché de la soirée, vous vous posez la question : Comment diable vais-je pouvoir faire pour devenir encore plus méchant ? Rassurez-vous, Garth Ennis et son escorte de dessinateurs à moitié fous ont la solution pour vous : le deuxième omnibus de The Boys, soit environ 1300 pages de cruauté et de mauvais goût, pèse plusieurs kilos tant il prend des proportions gargantuesques (comme ma…).
Mais tout comme son auguste précédécédesseur (démerdez-vous avec ça, j'ai jamais su comment faut dire), se plonger dans des orgies de violence ne signifie pas pour autant en faire une succession de scènes gratuites dépourvues de toute réflexion (pas vrai, Rick & Morty ?). On avait démantelé — et démembré — plusieurs équipes de super-héros qui n'avaient de super et d'héroïque que le nom, il est désormais temps de s'attaquer à la némésis de Billy Butcher, le Protecteur de la Patrie, un nazillon prometteur aux pouvoirs exceptionnels. Et à mesure que Butcher se consume dans sa quête de vengeance personnelle, Hughie a de plus en plus de doute quant à sa place au sein de l'équipe : est-il réellement juste de massacrer des gens au simple motif qu'eux n'hésitent pas à le faire ? Avoir des superpouvoirs fait-il nécessairement de vous un salaud ? Et puis caillasser des superslips sans s'en prendre à la firme qui les emploie, est-ce que ce n'est pas finalement s'en prendre aux symptômes plutôt qu'au mal ?
Si le propos global s'affine, c'est également le cas de détails qui pouvaient perturber un lectorat progressiste. Alors oui, on pourrait s'amuser à chercher la petite blague vraiment problématique, et il y en a encore quelques-unes, mais franchement à quoi bon ? Les auteurs ont résolu leur plus gros cafouillage en mettant à jour leur définition du viol : le personnage de Stella est clairement montré comme victime d'un crime, et le fait qu'elle subisse ici une double peine n'est que la triste réalité que doivent encore subir aujourd'hui des millions de femmes à travers le monde. S'il ne met pas en scène de femme badass qui se ferait l'égale de Butcher (et ce n'est nullement son intention, car cela relativiserait sa critique du virilisme), Garth Ennis n'en propose pas moins des personnages féminins riches et attachants : l'histoire d'amour entre Butcher et Becky est une des plus belles qu'il m'ait été données de lire. « C'est pas bon qu'il y ait des hommes sans femmes », conclut le comic : une affirmation qui pourrait sentir le réac faussement bisounours (coucou Avatar 2), sauf qu'Ennis pense bien à rappeler à ses lecteurs qu'il existe aussi des LGBT.
Ce côté « bouquin de gauche qui s'adresse aux mecs de droite » permet également de se débarrasser de la couche écrasante qu'est devenue la pureté militante à notre époque. Des personnages peu montrés en fiction apparaissent ainsi, à l'image de ce travailliste rendu complètement aigri par le fait d'avoir l'impression que les gens qu'il défend ne le payent que d'ingratitude, comme si au final leur exploitation était de leur faute ; ou encore une amie d'Hughie ayant tous les problèmes possibles et imaginables lors d'une transition : poils au menton, gros muscles, bulldozer qu'on devine entre les jambes… Et pourtant, celle-ci ne va jamais se démoraliser, mais tourner ses particularités physiques rejetées par la société en une dérision qui n'est pas sans rappeler Tyrion Lannister. Enfin, même les pires des ordures nous arrachent un peu d'empathie : si ça n'excuse pas leurs crimes, elles les commettent souvent parce que la société ne les a pas correctement éduquées, voire les y a encouragées ; et au final, le pouvoir ne leur apporte que plus de souffrances et de dérèglements psychiques.
Au final, si l'on devait pointer un défaut, c'est la lenteur de la première moitié : on s'éloigne de plus en plus du schéma classique « buter les méchants de la semaine » pour se tourner vers des dialogues introspectifs, permettant la plupart du temps d'approfondir les persos, mais parfois franchement longuets. Or quand arrive enfin le final, c'est une succession de grand-guignol que même Joe Dante et Quentin Tarantino hésiteraient à fantasmer à cinq heures du matin : dites-vous que vous allez en avoir pour votre argent en terme de geysers de sang, avant un dernier combat plus intime et une happy end pour une fois bien méritée (même si elle est suivie d'un très long épilogue doux-amer qui je vous l'avoue m'a un peu douché).
The Boys est un grand comic qui mérite son aura. Il est radical dans sa forme comme dans son propos, mais cette radicalité n'a pas pour but d'assouvir une soif adolescente de rebellitude : elle n'est là que pour donner plus de cohérence à l'ensemble. Pour Garth Ennis, il ne peut pas y avoir de héros, tout au plus des antihéros et des gens simples vivant loin des fracas du monde. Ce qui ne doit pas nous encourager à l'inaction, mais au contraire à la vigilance face à la machine de propagande que déploient en permanence les entreprises et l'État. Et pour lutter contre ça, le mieux est souvent la culture…
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