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EAN : 9782897660369
Le Noroit (03/10/2016)
4.17/5   3 notes
Résumé :
Bronwen Wallace est née en 1945 et décédée en 1989 en Ontario, Canada. Poète, nouvelliste, essayiste et activiste, elle a milité pour les droits des femmes et les droits civils. Tour à tour fondatrice d'une librairie pour femmes, travailleuse communautaire auprès de femmes, enseignante et journaliste, elle a publié une correspondance avec Erin Moure (Two Women Talking Correspondence 1985-1987) dans laquelle les deux auteures discutent des théories féministes. Un pri... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
"Sa poésie est comme un meuble construit sans clous, avec une facture si précise que chaque morceau et chaque angle de son bois se trouve en équilibre avec les morceaux avoisinants. Chaque poème est une merveille, matérielle et transcendante.

Bronwen Wallace avait le visage d'un sage, d'un hibou, de quelqu'un d'humain et d'animal à la fois, qui veille sur nous la nuit. Et elle veille toujours, poète rigoureuse, intense, forte de ses principes – mais aussi encourageante, généreuse, curieuse et juste. " Erin Moure
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Émerger

C'est l'heure du jour que tu préfères : ce moment
juste avant la nuit, quand les couleurs
et les formes des choses semblent oublier
leurs contours quotidiens, de façon à ce que le son
d'un passant sifflant dans la rue soit la dernière lueur rose
à l'horizon, s'estompant parmi les autres bruits
de circulation et de rire en lilas, en bleu-gris.
Rien n'est défini maintenant. Contre le ciel les arbres
sont si immobiles qu'ils vibrent dans l'effort
de se tenir debout et les murs des maisons
hésitent comme s'ils devaient se dissoudre,
dévoilant des vies emmêlées
et enchantées comme celles des poupées.
Tu avais une amie qui ouvrait ainsi
les secrets pour toi
et lorsque tu penses à elle maintenant
c'est souvent lors de soirées comme celle-ci,
quand la dernière lueur
qui est en soi une forme de silence
donne à la pièce l'impression d'un miroir,
translucide comme la mémoire.
Tu peux presque sentir le café que tu lui faisais alors,
voir la vapeur s'élever de la tasse bleue, ses doigts
arrondis autour d'elle, se réchauffant.
Tu peux voir encore la façon dont ses mains bougeaient
lorsqu'elle parlait, créant un second langage,
t'attirant au cœur même de ses mots
là où vivaient les vraies histoires.
Et ses yeux, suivant tes phrases
où bon elles menaient
jusqu'à donner l'impression ces nuits-là
que vous entriez chacune dans la vie de l'autre
comme si elles étaient des pays
non pas ceux, superficiels, créés par les cartes,
ou par une conversation banale, mais le genre
qui serpente et plonge sous les événements quotidiens
comme les labyrinthes que tu suivais enfant
ou le monde nouveau qui s'ouvrit
pour toi seule quand tu découvris le mensonge.
Vous viviez alors à l'intérieur de chacune
et chacune de ces nuits était un lieu
que vous habitiez ensemble, un lieu
où tu pensais pouvoir retourner toujours.
Les phares d'une voiture passant dehors
surprennent les fantômes brillants rassemblés
dans les coins de la pièce. Cela te rappelle
la chambre que tu avais enfant
et la façon dont tu te blottissais sous tes couvertures comme un escargot,
regardant les lutins qui habitaient les tiroirs de la commode
planer à travers le miroir et sur le plafond
jusqu'à ton lit. C'était l'odeur de ton ourson
qui alors te sauvait ainsi que la lisière en satin du drap
à tes joues, aussi douce que le sommeil.
C'était les voix de tes parents dans la cuisine,
lointaines et sécurisantes comme l'enfance. Même de jour
tes parents remplissaient leur vie avec tant de confiance
que tu croyais qu'ils étaient nés dans le monde adulte
ou arrivés là, des années auparavant, avant
l'existence des livres d'histoire et des cartes, et qu'ils l'avaient fait
à leur ressemblance. Pas comme toi.
Cognant tes orteils sur les meubles métamorphosés
pendant la nuit, tes bras soudainement sortant
des manches de ta veste préférée
comme un épouvantail,
comme quelqu'un d'autre.
Tu peux maintenant en rire, même
si tu ne t'es rendu compte que récemment
de tout ce temps passé ainsi :
presque une invitée dans ta propre vie,
errant en attendant quelqu'un
ou quelque chose pour t'expliquer les faits.
Il était toujours tard quand elle partait
et tu restais debout sur le seuil attendant
qu'elle démarre la voiture, et ensuite
seule tu t'assoyais dans le noir
pendant les quelque vingt minutes que durait son trajet
jusqu'à chez elle. Comme tu verrouillais les portes, jetais un œil
sur les enfants, tu pouvais l'imaginer faire la même chose
de façon à ce que dans ces nuits le sommeil n'ait été qu'une autre
une autre entrée faite ensemble par vous.
Elle est morte depuis longtemps maintenant.
Tu avais pensé que cela aurait fait une différence,
mais non. Et même si ton besoin d'explication
te met en colère, c'est encore là.
Comme si elle te la devait, en quelque sorte.
Comme si quelqu'un te la devait.
Ah, tu as appris la sagesse courante
tu peux même te sentir guérir ces jours-ci, presque
assez forte maintenant pour entrer de nouveau dans ce lieu
que vous habitiez ensemble. Et tu sais
que tu ne comprendras jamais tout de toute façon
pas plus que tu ne peux comprendre tes voisins
de ce que tu vois par leurs fenêtres éclairées
encadrées, comme des panneaux publicitaires.
Et pourtant.
Une part de toi résiste à tout ça.
Y résiste avec ce pur entêtement irréfléchi
dans lequel tu vivais enfant,
cette plus subtile sagesse
que tu redécouvres maintenant.
Certaines personnes sont un pays
et leur mort te déloge.
Tout ce que tu partageais avec eux
te le rappelle : une partie de toi en exil
pour le reste de ta vie.
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Corning through
traduction d'Isabelle Miron

It's the time of day you like best: that hour
just before dark, when the colours
and shapes of things seem to forget
their daylit boundaries, so that the sound
of someone whistling in the street is the last pink
light on the horizon, fading through other sounds
of traffic and laughter into lilac, into blue-grey.
Nothing is solid now. Against the sky the trees
are so still they vibrate with the effort
of holding themselves in and the walls of the houses
hesitate as if they might dissolve,
revealing the lives behind them, intricate
and enchanted as the lives of dolls.
You had a friend who opened
secrets for you like that
and when you think of her now
it's mostly on evenings like this one,
when the last ofthat light
which is itself a kind of silence
gives to the room a mirror-like quality,
translucent as a memory.
You can almost smell the coffee you d make for her then,
see the steam rising from the blue cup, her fingers
9
curled around it, warming themselves.
You can still see the way her hands moved
when she talked, creating a second language,
drawing you in
to the very centre of her words
where the real stories lived.
And her eyes, following your sentences
wherever they led,
until it seemed those nights
you entered each other s lives
as if they where countries,
not the superficial ones that maps create,
or ordinary conversation, but the kind
that twist and plummet underneath a day's events
like the labyrinths you followed as a child
or the new-made world that opened
for you alone when you discovered lying.
You lived within each other then
and each of those nights was a place
you inhabited together, a place
you thought you could return to always.
The headlights from a passing car outside
startle the bright ghosts that gather
in the corners of the room. It makes you remember
the bedroom you had as a child
and how you huddled under the covers like a snail,
watching the goblins who lived in the dresser drawers
glide across the mirror and over the ceiling
into your bed. It was the smell of your teddy bear
that saved you then and the satin edge of the blanket
at your cheek as smooth as sleep.
It was the voices of your parents in the kitchen,
far away as growing up and as safe. Even by day
your parents filled their lives with such a confidence,
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you believed they had been born into adulthood
or arrived there, years ago, before
there were any history-books or maps, and made it
their very own sort of place. Not like you.
Stubbing your toes on the furniture that changed
overnight, your arms suddenly appearing
from the sleeves of your favourite jacket
like a scarecrow s,
like somebody else.
You can laugh at it now, although
it's only lately you 've begun to realized
how much of your time you 've spent like that:
almost a guest in your own life,
wandering around waiting for someone
or something to explain things to you.
It was always late when she left
and you 'd stand in the doorway, waiting
till she'd started the car, then
sit in the dark yourself
for the twenty minutes or so it took her
to drive home. As you locked up, checked the kids
you could imagine her doing the same thing,
so that on those nights sleep was just another opening,
another entry you made together.
She s been dead for a long time now.
You 'd thought that would make a difference,
but is hasn 't. And though you feel angry
at your need for an explanation
it's still there. As if she owed it to you somehow.
As if somebody did.
Oh, you 've learned the accepted wisdom of it.
Can even feel yourself healing there days, almost
strong enough now to re-enter the place
11
you inhabited together. And you know
you '11 never figure it all out anyway;
anymore than you can understand your neighbours
from what you see in their lighted windows
framed, like public advertisements.
Andyet.
Apart of you resist all that.
Resist it with the pure, unthinking stubbornness
you lived in as a child,
that harder wisdom
you are rediscovering now.
Some people are a country
and their deaths displace you.
Everything you shared with them
reminds you of it: part of you in exile
for the rest of your life.
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La traduction est un envoûtement. On marche dans les pas de l'autre, on épouse son
rythme jusqu 'à ce qu 'il devienne intimement le nôtre. Quelquefois on ne s'en départit
pas facilement. Cela donne parfois lieu à la création d'un nouveau poème, imprégné
certes de la présence du premier, mais exprimant ce qui, de nous, n'avait pu se dire
auparavant.



C'est l'heure que tu préfères
ce moment juste avant la fin
de la nuit lorsque le monde
encore endormi, se laisse bouger par les rêves.
Dehors, les graminées, les fleurs hautes et les oiseaux s'ébrouent
tiraillés encore par le sommeil qui tarde à lâcher prise.
Le contraste est plus violent en ville
où rien ne bouge jusqu'à la soudaine première porte
qui claque et le moteur de la voiture qui démarre
crevant tout d'un coup le silence.
C'était ton amoureux d'alors qui t'avait
incitée à l'éveil. Tu te tirais du lit
pour t'asseoir seule et écouter ton corps
les yeux clos. Pendant que tu observais en silence
chaque parcelle de matière tressaillir de lumière,
tu venais tranquillement à la vie, découvrais ainsi en toi
un monde nouveau comparable au lac sans ride sur lequel tu te laisses, l'été,
porter en canot. Emergeait alors une conscience aiguë de la paix
qu'encore aujourd'hui tu retrouves lorsque tu arrives à t'extirper
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du tourbillon de la pensée ; transformation de la perception
à laquelle puise l'expérience poétique même.
Pendant qu'il s'était perdu dans les méandres de la nuit
tu avais poursuivi ce rituel, le rendant chaque matin plus essentiel ;
vos trajectoires, comme un grand X avec au centre un seul point
de jonction. Certains êtres passent comme des ombres dans nos vies
alors que d'autres y entrent et nous réveillent à cette part de soi
non encore explorée.
Cependant ce matin, quoique t'appliquant
avec minutie à ouvrir ton corps, ta conscience fuit :
cette ultime tentation que sont les mots
de ce poème qui tournoient dans ta tête
et que de guerre lasse tu jettes sur papier
pour qu'ils te laissent en paix.
Tu y reviendras plus tard.

Isabelle Miron
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Ça a commencé par un petit poème
pour Virginia Woolf
ça n'allait pas parler de l'histoire
ni des choix ou de la vie des femmes
ni de la complexité de leurs amitiés
ou des innombrables détails concrets
de leur vie ordinaire
qui n'apparaissent jamais dans les poèmes
mais pendant que j'écris ces mots
ces détails familiers s'interposent
entre le poème que je voulais écrire
et celui-ci, où les visages délicats
de mes enfants, les visages de mes amies
et même ceux de femmes inconnues
illuminent la page blanche
et plus profonds que le silence
se pressent autour de moi
en attendant leur tour.
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